“Conscience politique et modes d’action chez les jeunes”: retour sur le débat

Éditos Publié le 18 avril 2011

Je ne suis pas sûre, pour répondre aux questions de certains d’entre vous, que le débat auquel nous participions vendredi au Forum Libé de Rennes, Rama Yade et moi même, aie fait l’objet d’un podcast.

A défaut, je résume ci dessous, pour ceux que le sujet intéresse, le propos que j’y ai tenu.

Mon sentiment, c’est que les jeunes ne sont ni plus ni moins politisés que ne l’étaient les générations précédentes. Mais ils le sont sans aucun doute différemment et d’abord parce que le contexte dans lequel ils inaugurent leur rapport à la politique est radicalement différent de celui de la jeunesse de leurs aînés. Nous avons aujourd’hui une génération, née après les Trente Glorieuses qui n’a connu ni la croissance durable, ni le plein emploi, dont le taux de chômage atteint des niveaux considérables et qui aujourd’hui, avec la politique telle qu’elle est conduite par le gouvernement, a toute les raisons de penser que malgré son travail ou ses études, elle vivra moins bien que ses parents. Cela peut, vous le concevrez aisément, nourrir la perte de confiance dans ceux qui, de gauche comme de droite, président aux destinées de notre pays. L’objet  du débat n’était pas de parler des politiques en faveur de la jeunesse, mais admettez que le contexte puisse influencer les modes d’actions, d’expression, d’engagement des jeunes.

En réalité, comme pour chaque génération, l’engagement politique des jeunes et la construction de leur conscience politique, se construit et prend forme à partir d’un double mouvement, d’une double dynamique: l’héritage et  l’innovation.

Pour ce qui est de l’héritage, les jeunes se trouvent aujourd’hui à la confluence d’un triple désenchantement, ce qui me semble assez inédit : la fin des grandes idéologies, la crise du capitalisme mondialisé, c’est-à-dire de la foi dans le marché et la crise climatique, c’est-à-dire la crise d’un modèle de croissance dominant. Vous conviendrez là aussi que ce carambolage puisse venir perturber le processus de construction d’une conscience politique en même temps qu’il rend irrémédiable l’invention d’autre chose.

Pour ce qui est de l’innovation, j’ai la conviction que les modes d’action, d’engagement, d’expression des jeunes (qui sont extrêmement divers) dessinent les contours de la démocratie de demain, qui sera une démocratie que je qualifierais de démocratie « oxygénée », c’est-à-dire à la fois libérée et apaisée.

Il y a des symptômes qu’il faut en effet se garder d’expliquer de façon trop univoque : je ne crois pas, par exemple, qu’il faille interpréter l’abstention ou la faiblesse de l’engagement partisan ou syndical des jeunes comme un signe de dépolitisation.

Pour ce qui est de l’abstention, premier parti de France aux dernières cantonales, il me semble que la participation électorale n’est plus chez les jeunes la norme unique d’expression civique précisément parce qu’il y en a d’autres. Le vote fait en réalité partie aujourd’hui dans les modes d’action, d’une série d’instruments démocratiques qui gagnent dans l’expression politique de la jeunesse une légitimité démocratique presque identique au bulletin de vote. La légitimité démocratique accordée par la jeunesse à la contestation, en particulier aux manifestations, est très grande et cette jeunesse est hautement consciente de son potentiel protestataire, de sa capacité de mobilisation collective et de sa capacité à faire plier les gouvernements de façon parfois plus efficace, plus immédiate et plus certaine qu’à l’occasion d’une élection dans laquelle elle est démographiquement minoritaire. On peut le regretter et déclarer que ce n’est pas la rue qui gouverne, c’est néanmoins un état de fait porteur d’un sens politique:  ces manifestations, qu’elle soient contre les réformes de l’éducation, contre la réforme des retraites, ou encore contre les bavures policières, sont, d’évidence, porteuses de revendications politiques sur le terrain de l’égalité des chances ou de l’équité intergénérationnelle.

Pour ce qui est de la désaffection envers les partis politiques, cela me parait correspondre à une demande, de la part des jeunes, de changement dans les pratiques militantes auxquelles ces plus ou moins « vieilles maisons » ne parviennent pas à répondre et il est vrai qu’il n’y a rien de tel qu’une bonne réunion politique à une heure improbable pour décourager les bonnes volontés.

Les partis politiques ne correspondent plus aux modes d’action de la jeunesse. Le militantisme des jeunes est un militantisme de cause, plus qu’un militantisme idéologique, ce qui induit un relâchement des identifications partisanes comme des allégeances politiques. Si le discours est désidéologisé, il n’en est pas moins politisé et les questions sociales ou de justice sont au cœur de la conscience politique de la jeunesse.

Les jeunes se mobilisent fréquemment pour des causes humanitaires, pour dénoncer le racisme, pour défendre des valeurs de solidarité notamment ou la cause des sans abris. L’action politique de la jeunesse correspond souvent à un engagement sur le temps court, sur des enjeux précisément déterminés, avec un objectif de résultat immédiat. Le tissu associatif répond aujourd’hui mieux à cette forme d’engagement spontanée. Pensez aux actions conduites par « génération précaire »,  « les enfants de Don Quichotte » ou « Jeudi noir » avec parfois le sel de la désobéissance civile. Vous noterez, dans l’inventivité, l’imagination et le caractère subversif de certaines mobilisations que je viens d’évoquer les lointains échos créatif et contestataire des bouillonnantes années 60…

Ce qu’il y a de commun entre le désamour pour les partis traditionnels et l’abstention, ce sont les questions que cela nous pose à nous, femmes et hommes politiques, relatives à nos pratiques politiques, au fonctionnement de nos partis, à l’organisation institutionnelle de notre démocratie, bref à la crise de la représentation politique que notre pays traverse et devra surmonter.

Ce que révèlent ces mobilisations « non conventionnelles » ce n’est pas un déficit de conscience politique ou civique, c’est au contraire une demande de participation aujourd’hui insatisfaite. Et s’il est un mode d’expression politique revendiqué par les jeunes c’est la démocratie participative mais une participation de demande qui met les élus dans une posture d’écoute et non d’offre qui met le citoyen en situation d’écouter, comme toujours. Les jeunes sont demandeurs de budgets et de débats participatifs, de jurys citoyens pour suivre la mise en œuvre de politiques publiques. Ils sont en première ligne des nouvelles formes d’expression politique et des nouveaux modes d’action. Ceux-ci peuvent d’ailleurs prendre bien des formes très individualisées. Les jeunes ont, par exemple, une conscience politique forte dans leur pratiques personnelles beaucoup plus éco et socio-responsables avec des initiatives plutôt amusantes comme les « carrotmob ».

Dernier mode d’action que je ne peux évidemment pas ignorer, et c’est d’ailleurs de lui que dépend la réussite d’une “carrotmob”, Internet. La jeunesse a totalement investi le cybermonde pour en faire un territoire d’action politique à part entière, un espace d’implication, de participation qui rend les mobilisations collectives plus simples et plus rapides, enrichit le débat public, un espace qui transforme les pratiques démocratiques, oblige à la transparence, qui rend possible les résistances citoyennes et mêmes les révolutions. Julian Assange, né en 1971, wikileaks nobélisable… tout cela fait réfléchir.

A quoi va ressembler donc ressemblée cette « démocratie oxygénée » ? Elle sera participative, interactive, élective et transparente. Elle prendra la forme de pratiques militantes rénovées et dématérialisées, les partis politiques auront des allures de « social club », les militants pourront aller et venir en fonction des causes, se mobiliser hors ou dans les partis, participer à des primaires sans être adhérents. Elle inventera des modes nouveaux d’expression, qu’on appellera votation citoyenne ou pétition, elle écoutera la rue, elle créera avec les citoyens eux-mêmes de nouveaux indicateurs de richesse, elle libérera les données publiques, elle limitera le nombre des mandats, confira par tirage au sort certaines responsabilités, elle donnera le droit de vote aux étrangers, elle élargira la représentativité des syndicats, bref elle sera le cœur battant de notre pacte républicain.  Merci les jeunes !

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Un commentaire sur “Conscience politique et modes d’action chez les jeunes”: retour sur le débat

  1. philgi

    Bravo Najat ! La France n’est rien sans sa jeunesse, et ce n’est pas avec ce gouvernement qu’elle sera sur un même pied d’égalité que la jeunesse dorée des beaux quartiers dont est issue Mr Sarkozy. Indignons-nous !!

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