A Meyzieu, Najat Vallaud-Belkacem a inauguré l’Espace Germaine-Tillion

Droits des femmes Publié le 24 mars 2013

Samedi 23 mars à Meyzieu, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes et porte-parole du gouvernement inaugurait l’Espace Germaine-Tillion, aux côtés de Michel Forissier maire de Meyzieu, Jean-Jack Queyranne président du Conseil régional, Danielle Chuzeville, présidente du Conseil Général, Jean-François Carenco préfet du Rhône et Marc Tixier président du conseil d’administration de la caisse d’allocations familiales. Ce nouvel espace est dédié à la petite enfance et à la famille dans le quartier du Mathiolan.

La structure regroupera 6 structures municipales et associatives en visant l’objectif de créer « des équipements de services publics globalisés », attractifs et forts. Jean-Jack Queyranne a ainsi expliqué le soutien de la Région par la volonté de faire que la politique de la ville permette la « création de nouveaux lieux de vie ».

L’inauguration a permis à Najat Vallaud-Belkacem de rendre hommage à celle qui « reste intensément vivante » Germaine Tillion, la résistante et ethnologue.

Najat Vallaud-Belkacem a ainsi salué celle qui était « un idéal d’humanisme dans un siècle si peu humain », notant l’importance de rendre hommage aux femmes de l’histoire française et républicaine « qui doivent être des grands hommes comme les autres ». « Germaine Tillion par son exemple, son parcours, va montrer la voie aux jeunes qui fréquenteront nombreux cet espace dans les années à venir », a-t-elle déclaré en conclusion de l’inauguration.

Via Le Progrès.


Discours prononcé à l’occasion de l’inauguration de l’espace Germaine Tillion

Monsieur le Maire,
Monsieur le Préfet du Rhône, Préfet de la région Rhône-Alpes,
Monsieur le Président du Conseil régional Rhône- Alpes,
Madame la Présidente du Conseil général du Rhône
Monsieur le Président du Conseil d’administration de la CAF du Rhône,
Madame la représentante de l’association Germaine Tillion, Chère Nelly FORGET,
Mesdames et Messieurs les Elus(e)s,

Je veux d’abord vous remercier sincèrement pour votre invitation, Monsieur le Maire, qui témoigne de votre attachement profond à ce que le nom de Germaine Tillion, sa mémoire, et l’exemple qu’elle incarne s’inscrivent pleinement dans le champ d’une mémoire partagée par toutes et tous: celui de la culture républicaine, celui de notre mémoire nationale.

C’est un honneur pour la Ministre des Droits des femmes d’être ici à vos côtés pour vous dire à quel point le choix que vous avez fait – celui d’une femme – pour désigner ce nouvel espace associatif de votre commune est important à mes yeux : c’est un acte civique de grande valeur que je me devais de venir saluer, au nom de la République tout entière.

Parce que c’est une femme, parce que c’est la mémoire de la Résistance et de la Déportation, parce que c’est Germaine Tillion.

Un honneur doublé du plaisir de le faire ici, bien sûr, à Meyzieu, dans le Rhône, dans l’agglomération lyonnaise, sur ce territoire auquel je suis attachée, et dans lequel je suis plus heureuse que jamais d’exercer mon mandat d’élue locale, dans un climat – je tiens à le saluer – toujours empreint de respect, d’estime et de volonté de travailler ensemble, plus souvent dans un rassemblement constructif que dans la division.

Un état d’esprit qu’aurait sans doute salué Germaine Tillion, cette immense figure intellectuelle et morale qui dépassait tous les clivages, cette personnalité hors du commun qui incarne si haut cet idéal que nous partageons tous, fait d’amour de la France, d’engagement au service des valeurs de la République, de recherche constante et passionnée de la vérité et de la justice, un idéal d’humanisme dans un siècle qui fut pourtant si peu humain, et qui se forgea dans les plus terribles épreuves de l’histoire.
Je suis, comme beaucoup d’entre vous sans doute, d’autant plus sensible à l’hommage que nous lui rendons aujourd’hui que ces dernières semaines, ces derniers jours sont venus nous rappeler douloureusement que les grands témoins, et les acteurs de la Seconde Guerre Mondiale nous quittent peu à peu.

Je pense à la disparition, le 6 mars dernier, d’une grande Résistante qui fut l’une des proches de Germaine Tillion jusqu’à la fin de sa vie, Denise Vernay, qui était entrée, à l’âge de 19 ans, dans le réseau de Résistance Franc-Tireur, à Lyon, au début de l’année 1944.
Je pense bien sûr aussi à Olivier Philip, ce grand Résistant, ce grand serviteur de l’Etat que beaucoup d’entre nous connaissaient personnellement, si présent dans la vie, la mémoire et j’allais dire, l’identité lyonnaise.

Leur mémoire est entre nos mains: nous ne devons rien négliger, ne pas compter notre énergie ou notre temps, ni renoncer aux initiatives les plus innovantes pour la transmettre aux générations présentes et à venir, afin de nous aider, de nous guider dans la construction d’une société et d’un monde qui ne reproduisent pas les erreurs du passé. Un monde d’abord plus humain, et plus fraternel, comme Germaine Tillion n’a jamais cessé de le penser, de le vouloir et de contribuer à le bâtir.

Si nous voulons que chacun, que chacune se reconnaisse et s’identifie à ces grandes figures et s’en inspire dans sa conduite et son action, il faut bien entendu que donnions leur juste place aux femmes qui ont pris part à l’histoire de notre pays, en particulier celle de la Résistance.

Non pas pour des qualités qui leur seraient particulières, mais au contraire parce qu’elles sont, ou devraient être, des «Grands Hommes comme les autres».
Une évidence qui ne saute pas toujours aux yeux lorsqu’on regarde autour de soi, dans nos rues, sur nos places publiques ou aux frontons de nos bâtiments, et même dans les livres scolaires. Pour ne prendre qu’un exemple, parmi beaucoup d’autres : savez-vous que dans le paysage commémoratif parisien, 325 monuments et statues ont été édifiés entre 1870 et 2004 pour honorer des hommes, contre 24 femmes seulement ?

Autant de silences de l’histoire, selon la belle expression de l’historienne Michelle Perrot qu’il nous revient de réparer partout sur le territoire, comme nous le faisons ici de matin. Comme nous le ferons aussi à l’échelle du pays, comme me l’a annoncé le Président de la République le 7 mars dernier, en me demandant d’animer une large réflexion pour l’entrée d’une femme au Panthéon.

Pour la seule période de l’Occupation, en effet, les noms de Lucie Aubrac, Marie-Madeleine Fourcade, Danielle Casanova, Lise London, Berty Albrecht, Hélène Studler, Jacqueline d’Alincourt, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Charlotte Delbo, Anise Postel- Vinay, ou Geneviève de Gaulle-Anthonioz sont-là pour nous rappeler, et ne jamais oublier le rôle de celles qui, de manière trop souvent restée anonyme, ont résisté à l’égal des hommes, y compris dans la lutte armée, et la résistance militaire, pour la Libération nationale.

Germaine Tillion figure au tout premier rang de ces femmes exemplaires dont la République a su reconnaître le mérite et la valeur : on peut rappeler ici qu’elle était l’une des Françaises les plus décorées, et qu’elle partageait avec seulement cinq autres femmes, le privilège d’être grand’Croix de la Légion d’honneur.

Une figure à laquelle Lyon, aussi, cette capitale de la Résistance, a su rendre hommage en 2004 à travers l’action du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation qui lui avait consacrée une très belle exposition, montrée par la suite dans de nombreuses villes de France, notamment à nos plus jeunes concitoyens.

Mais Germaine Tillion, aux yeux de ces futures générations, incarnera sans doute davantage que la seule mémoire de la Résistance, tant son engagement dans le siècle fut exceptionnel. Née avec le siècle en 1907 en Haute Loire, Germaine Tillion nous a quitté plus que centenaire, à l’orée de ce 21e siècle, au printemps 2008.

Sa vie de femme libre, indépendante et courageuse n’a pas pas commencé avec la Guerre, et ne s’est pas éteint avec elle. Elle était, et se voulait d’abord, une ethnologue. Une grande ethnologue, très tôt reconnue par les siens comme une remarquable spécialiste des Berbères chaouias de l’Aurès algérien, ainsi que l’a rappelé Nelly Forget il y a quelques instants.

La confrontation avec l’autre, avec l’étranger, avec la diversité culturelle aura été fondamentale: cette fraternité entre les humains qui peut surmonter toutes les violences, toutes les blessures, c’est une des leçons qu’elle aura toujours eu à coeur de transmettre.

Rarement, la pensée et l’action auront été unies aussi étroitement que chez elle, qui fut toujours, inséparablement, à la fois «savante et militante », une intellectuelle et une citoyenne engagée au présent.

Germaine Tillion est en effet une jeune femme de 27 ans, à peine, lorsqu’elle décide de partir en Algérie pour un voyage d’études qui marquera profondément sa vie, sa pensée, sa sensibilité et fondera largement sa vision de l’humanité et des valeurs qui seront aux racines de tous ses combats, de toutes ses résistances, et de tous ses engagements à venir.

Un sens de l’engagement patriotique qui la saisira dès son retour en France, au mois juin 1940: elle refuse la capitulation, et rejoint immédiatement les réseaux naissants de la Résistance pour organiser, via la Croix Rouge, une filière d’évasion pour les prisonniers de guerre.

C’est ainsi que, très vite, elle fonde le réseau du Musée de l’Homme pour mener des actions de renseignement et de résistance civile, aussi bien pour héberger les soldats anglais que pour venir en assistance à la population juive persécutée, ou publier le journal clandestin «Résistance». Chef du mouvement, prenant tous les risques pour protéger les autres, échappant aux arrestations qui déciment le groupe, elle rejoindra ensuite le réseau Gloria, avant d’être dénoncée.

C’est le 13 août 1942 qu’elle est arrêtée, puis déportée le 21 octobre 1943 à Ravensbrück, avec sa mère, qui n’en reviendra pas.

Internée sous le numéro 24 588, elle partagera le sort atroce des 123 000 autres femmes qui seront détenues dans ce camp, mais à la différence de tant d’autres, elle trouvera la force et les ressources de consigner secrètement son témoignage en cherchant, en même temps, à comprendre les ressorts de l’horreur concentrationnaire et du nazisme, et à lui échapper en composant, par exemple, le livret d’une opérette.

Miraculeusement réchappée de la mort, dès la fin de la Guerre, elle se consacre à l’étude de ce qu’elle vient de vivre en le théorisant, et devient une intellectuelle de premier plan, intervenant dans le débat public pour défendre ce qu’elle estimera, à chaque fois, être la vérité et la justice, même lorsque ses prises de position iront à l’encontre de certains de ses compagnons de route. Elle qui se considérera toujours, d’abord et avant tout, comme une «gaulliste»; elle qui fut parmi les premières à enquêter et à dénoncer la réalité des camps soviétiques; elle a toujours su éviter le carcan des dogmatismes, et des certitudes toutes faites.

Toujours inquiète et préoccupée par les périls et les injustices du temps présent, elle le montrera en retournant en Algérie dès 1954, et en s’impliquant à sa façon, au plus proche des femmes et des hommes qui souffrent, dans la cause algérienne, et l’indépendance.

Au cours de ces années, Germaine Tillion se sera battue contre la pauvreté, la torture, la peine de mort; elle aura lutté pour la scolarisation, les droits fondamentaux des prisonniers, et le droit des femmes à accéder à l’instruction, à l’autonomie et à l’indépendance.

Des combats qu’elle ne cessera jamais de mener, par les actes et la parole, en avocate infatigable des droits humains, des valeurs républicaines et humanistes, en France, et ailleurs à travers le monde, sans frontières ni oeillères d’aucune sorte.

C’est ainsi qu’elle est restera intensément vivante, et qu’au fil des années elle s’imposera naturellement parmi ces quelques grandes figures françaises qui ont traversé le siècle avec un tel courage, une telle conviction et une telle passion, qu’elles ont forcé le respect et l’admiration de toutes et tous.

C’est ainsi qu’elle restera un exemple et une source d’inspiration vers laquelle nous tourner pour puiser la volonté, l’espoir, l’énergie et l’imagination de poursuivre sans relâche le combat républicain pour la justice, l’égalité et le sens de la fraternité humaine.

C’est ainsi que son nom a trouvé sa place ici pour désigner ce nouvel équipement, et montrer la voie aux jeunes qui le fréquenteront dans les années à venir.

Permettez-moi de rappeler les mots d’Anna Maria van Schurman, cette grande intellectuelle, savante et poétesse du 17e siècle qui craignait déjà que les femmes disparaissent de la mémoire collective avec cette belle formule : « Le souvenir ancien de notre nom se perd comme l’écume d’un bateau qui traverse la mer ».

Merci à Meyzieu de contribuer à ce que celui de Germaine Tillion ne se perdent pas, et que jamais la mémoire des ses combats de ne s’abîme dans l’océan dévastateur de l’oubli.

Je vous remercie.

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