On ne combattra pas le système prostitutionnel si on laisse la demande se développer – Interview à Libération

Droits des femmes Publié le 14 juillet 2014

Ce samedi 12 juillet, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, répondait une interview du journal Libération portant sur l'adoption par la Commission spéciale du Sénat de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.

Libération : Comment réagissez-vous à la suppression par la commission spéciale du Sénat de l’article 16 instaurant la pénalisation des clients de prostituées?

Najat Vallaud-Belkacem : D’abord, je me félicite que le Parlement progresse sur cette proposition de loi : depuis son adoption à l’Assemblée nationale en décembre, ce texte a fait l’objet d’un travail ininterrompu dans le cadre de la commission spéciale mise en place au Sénat. Pour les personnes prostituées, être ainsi l’objet de l’intérêt et de l’attention des parlementaires qui ont multiplié les auditions et les réflexions, c’est une très bonne chose. Longtemps, c’est resté un sujet tabou, emprisonné dans le silence et la fatalité. La commission spéciale a donc adopté ce texte, ce qui est une bonne nouvelle, même si elle l’a amputé d’un de ses quatre piliers, à savoir la responsabilisation des clients.

Honnêtement ce n’est pas vraiment une surprise. D’abord, vous savez bien que le Sénat est une Chambre où les majorités s’obtiennent difficilement, quel que soit le texte. Ensuite, la disposition en question faisait débat et les votes se sont partagés. Pour ce qui me concerne, je continue à penser qu’elle est indispensable à la cohérence du texte.

Libération : La pénalisation des clients semble pourtant unanimement désavouée par les acteurs de terrain?

Najat Vallaud-Belkacem : C’est faux ! Les 60 associations de terrain regroupées dans le collectif Abolition 2012 l’appellent bien au contraire toutes de leurs vœux. Elles qui vivent de près la misère et la violence du système prostitutionnel savent qu’on ne le combattra jamais véritablement tant qu’on laissera complaisamment se développer la demande qui alimente le système. Et tous les pays qui ont adopté ce type de législation voient de fait l’activité prostitutionnelle (y compris sur Internet) baisser considérablement. Ce n’est pas par hasard si, après la Suède, la Norvège, l’Islande ou plus récemment le Canada ont décidé de s’engager dans cette voie.

Libération : Là-dessus tout le monde est d’accord, mais que répondez-vous aux policiers, aux acteurs médico-sociaux qui parlent d’un risque accru de précarisation des prostituées?

Najat Vallaud-Belkacem : Que, jusqu’ici, avec le délit de racolage toujours existant, ce sont les personnes prostituées elles-mêmes qui sont criminalisées, et que c’est plutôt là que se situe le risque d’éloignement et de vulnérabilisation des personnes. Le texte prévoit au contraire qu’elles soient décriminalisées et protégées parce que considérées non plus comme coupables mais comme victimes de la prostitution. Il leur ouvre un droit à être accompagnées par la puissance publique pour sortir de la prostitution avec une autre alternative que la précarité : des solutions de séjour, de logement, d’accès aux soins, d’insertion par l’emploi, avec un fonds dédié pour financer tout ce dispositif. Croit-on vraiment que c’est en offrant enfin cette sécurisation et cette alternative aux personnes prostituées qu’on va les insécuriser ? Ceux qu’on dissuade, en revanche, ce sont les clients, mais c’est précisément l’idée. Et d’ailleurs, vous aurez noté que ça marche : depuis quelques mois, la simple perspective de cette mesure, déjà anticipée, a provoqué une réduction du nombre d’achats d’actes sexuels.

Libération : Mais même certains défenseurs de la pénalisation parlent d’une mesure plus symbolique qu’efficace !

Najat Vallaud-Belkacem : D’abord, le symbole, en soi, c’est important : que la loi adresse, en particulier aux jeunes générations, le message qu’exploiter le corps des autres (en l’occurrence le corps des femmes dans l’immense majorité) n’est pas une bonne chose, c’est loin d’être anodin ou inutile. Ensuite, non, ce n’est pas que «symbolique», bien au contraire. Responsabiliser les clients, c’est donner enfin une chance à notre arsenal législatif de lutte contre la prostitution, d’être enfin efficace.

Vous savez, cette idée n’est pas sortie comme ça d’un chapeau. Elle fait son chemin depuis 2011 et le travail réalisé à l’époque par les députés Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy (UMP). Leurs conclusions, adoptées en décembre 2011 par l’Assemblée nationale à l’unanimité, sont les mêmes que celles auxquels ont abouti ces derniers mois le Conseil de l’Europe ou le Parlement européen, qui ont tous deux voté des résolutions enjoignant les Etats membres de l’Union européenne à se doter de mesures de responsabilisation des clients pour faire reculer la prostitution. Face au fléau de la traite des êtres humains qui n’a cessé de se multiplier et de se jouer des frontières, la répression du proxénétisme seul ne suffit plus. Ceux qui, par leur demande, permettent à un système d’exploitation de se perpétuer doivent être mis face à leurs responsabilités.

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3 commentaires sur On ne combattra pas le système prostitutionnel si on laisse la demande se développer – Interview à Libération

  1. Catherine ALBERTINI

    Oui, le client est complice des proxénètes et de la traite.
    Il n’y a aucune dignité ni liberté dans la prostitution. Elle n’a aucun rôle social. Si ce n’est négatif pour toutes les femmes, puisque tout ce qui peut s’acheter peut aussi se voler. La violence contre les femmes dans les pays qui ont adopté la réglementation ou la libéralisation totale de la prostitution a explosé.
    Alors Bravo NVB pour ce combat émancipateur !

  2. LANCIEN Dominique

    Najat,je vous approuve totalement !!! Souhaitons que cette lâche décision ne soit qu’une reculade provisoire ! Vous pouvez compter sur de nombreux Français(es) pour que nous n’en restions pas Là !!! Bon repos,car il vous faudra beaucoup de Forces à la rentrée.

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