“Parents–professeurs, comment restaurer la confiance” – Article du journal La Croix

Presse Éducation nationale Publié le 11 septembre 2014

Dans le journal La Croix, Najat Vallaud-Belkacem évoque l'une de ses priorités de ministre de l'Éducation nationale, la relation parents-école. Retrouvez ici l'article publié La Croix mercredi 10 septembre 2014.

D’un côté, des parents qui interviendraient trop ou au contraire auraient démissionné. De l’autre, des enseignants peu enclins – du moins guère habitués – à « rendre des comptes »… L’école a de plus en plus besoin de dialogue et de confiance.

Ce n’est pas, loin s’en faut, une guerre de tranchées. Mais si les relations entre enseignants et parents sont, dans la plupart des cas, correctes, bonnes, voire davantage, elles ont globalement tendance à se tendre à mesure que grimpe le niveau d’exigence des familles. « Les parents sont de plus en plus soucieux du bien-être psychologique de leur enfant », observe François Dubet. Surtout, poursuit le sociologue, ils ont conscience du poids croissant de la scolarité et des diplômes sur la destinée de chacun. « Vu le contexte socio-économique, les familles ne peuvent plus accepter que leurs enfants échouent à l’école », analyse-t-il.

Les familles, notamment dans les classes supérieures, ont acquis la certitude d’avoir « un droit d’intervention » sur la scolarité, estime François Dubet. « Demander des comptes à l’enseignant n’a rien de scandaleux, d’autant que la visite de l’inspecteur – une fois tous les sept ans en moyenne dans le secondaire – ne saurait suffire à réguler le système », dit-il.

Mais ce droit vire parfois à la tyrannie, observe la journaliste Anna Topaloff (1). « Les parents reprochent à l’institution son opacité, mais ne se privent pas de faire jouer leur carnet d’adresses pour obtenir des passe-droits. Or les chefs d’établissement cèdent trop souvent à leurs pressions. Il n’est pas rare que les places, dans telle filière, soient attribuées en fonction des capacités de nuisance des parents », dénonce-t-elle.

Parmi les sources récurrentes de contestation, les sanctions. « Beaucoup de parents, de tous milieux, exigent des preuves – souvent difficiles à apporter – du comportement inapproprié de leur enfant. Ils n’hésitent plus à provoquer un rapport de force. Ce faisant, ils renforcent la crise d’autorité des enseignants », commente Anna Topaloff.

« On voit depuis plusieurs années augmenter peu à peu les cas dans lesquels un père ou une mère conteste une punition, écrit avec plus ou moins d’élégance un mot dans le carnet de correspondance, voire s’adresse à l’inspecteur, laisse un commentaire rageur sur un blog ou agite la communauté des parents », confirme Roger Crucq, le président de la Fédération des autonomes de solidarité, institution plus que centenaire qui accorde aujourd’hui une protection juridique à ses 460 000 adhérents, essentiellement des enseignants.

Si leurs relations avec les parents sont parfois tendues, c’est aussi que les enseignants se sentent aujourd’hui moins reconnus, plus exposés aux angoisses qui traversent la société. La confiance ne leur est pas accordée une fois pour toutes, mais se construit au quotidien, note Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUipp. « Cela suppose de la part des collègues un grand effort de lisibilité. Pourquoi ne pas permettre par exemple aux parents qui le souhaitent de venir une fois de temps en temps, en petits groupes, assister discrètement à la classe? », suggère-t-il.

Pour le syndicaliste, la vive controverse suscitée l’an dernier par l’ABCD de l’égalité a mis en lumière ce besoin d’explication. « Inquiétés par de fausses rumeurs, des parents sont venus voir les enseignants en leur demandant ce qui se passait à l’école, si vraiment ils allaient montrer des images pornographiques à leurs enfants…

En première ligne face à ces interrogations, les profs se sont sentis attaqués de manière très injuste. Et certains sont aujourd’hui tentés de dresser une barrière pour se protéger des familles », regrette Sébastien Sihr.

« Le problème, dans cette affaire, n’est pas tant la manipulation que le fait que certains parents aient pu croire les rumeurs », souligne François Dubet. « Cela révèle l’ampleur de la crise de confiance et montre que l’école n’a plus la légitimité nécessaire pour lancer ce type d’action contre les stéréotypes, sans justifier sa démarche auprès des familles », dit-il. Un message semble-t-il entendu par le ministère, puisqu’il promet que la mise en œuvre du programme d’égalité des sexes remplaçant l’ABCD sera cette année au menu de tous les conseils d’école et d’établissement.

Quand on est enseignant, établir un dialogue constructif avec les parents passe souvent par de petits actes du quotidien: s’attarder devant la grille de l’école après les cours pour bavarder, ne pas attendre que d’éventuelles difficultés apparaissent pour proposer une rencontre (en évitant soigneusement le mot « convocation »), expliquer précisément – surtout quand les parents viennent d’un milieu éloigné de l’école – ce qu’on attend d’eux et comment ils peuvent aider leur enfant à faire ses devoirs…

Comme le dit le sociologue Pierre Périer (2), « l’école s’est bâtie sur les normes des classes moyennes ». Et si elle tend la main aux familles populaires, c’est « trop souvent de manière asymétrique, sans forcément les reconnaître telles qu’elles sont ». Parfois, le fossé tient avant tout à des malentendus. Certains parents se voient ainsi taxés de démission, alors que, en se tenant à distance du professeur, ils pensent lui témoigner du respect… Tout cela s’apprend. Ou devrait s’apprendre davantage. Durant la formation initiale et aussi, insiste Pierre Périer, en formation continue. « Car les familles changent, et sans doute plus vite que l’école », plaide-t-il.

Najat Vallaud-Belkacem, elle, dit faire de la relation parents-école l’une de ses priorités, « dans l’intérêt des élèves comme dans celui des enseignants ». La ministre rappelle à La Croix que depuis la rentrée, les enseignants affectés dans les réseaux REP+, le noyau dur de l’éducation prioritaire, « bénéficient d’une décharge horaire pour consacrer davantage de temps à l’accueil des familles ».

 De même, s’agissant d’une orientation que beaucoup de jeunes perçoivent comme « subie », Najat Vallaud-Belkacem « regarde avec beaucoup d’attention » un dispositif expérimenté depuis l’an dernier dans une centaine d’établissements: « le dernier mot laissé aux parents ». « À première vue, il peut sembler absurde de faire passer un élève dans une filière s’il n’a pas le niveau requis, réagit François Dubet. Mais cette mesure a le mérite de responsabiliser tous les acteurs, en obligeant notamment les enseignants à s’expliquer, là où généralement on apprend le redoublement de son enfant avec une formule laconique sur le bulletin du dernier trimestre. »

La ministre de l’éducation veut aussi rencontrer en personne, chaque mois, des parents « pas forcément élus » pour être à l’écoute de leurs préoccupations. Car les associations de parents d’élèves, bien ancrées dans le paysage, manquent de représentativité. La FCPE, principale fédération avec près de la moitié des élus, n’a récolté l’an dernier que 1,7 million de voix sur 17 millions de votants potentiels… Certains lui reprochent – comme ils reprochent à la Peep – d’être trop politisée (elle a par exemple pris position sur le « mariage pour tous » ou le conflit à Gaza), ce qui fait le jeu d’associations locales, non affiliées.

Surtout, la FCPE recrute ses adhérents essentiellement au sein des classes moyennes et supérieures. « Pour nous rapprocher des milieux populaires, nous avons entamé un travail de fond avec de nouveaux partenaires, ATD Quart Monde, les clubs de prévention spécialisée, les centres sociaux, les associations de quartier, etc. », indique son président, Paul Raoult.

Ce militant déplore que les parents d’élèves ne jouissent à ce jour que d’un avis consultatif, dans les conseils d’école comme au Conseil supérieur de l’éducation. Paul Raoult réclame aussi « un vrai statut de représentant de parents, qui permette par exemple de justifier d’une absence auprès de son employeur lorsqu’on se rend à une réunion avec l’équipe enseignante ». La ministre Najat Vallaud-Belkacem se dit « favorable » à cette idée.

 

Denis Peiron – Journal La Croix du mercredi 10 septembre 2014.

(1) Elle est l’auteur de La Tyrannie des parents d’élèves, Éd. Fayard. (2) Il vient de publier Professeurs débutants, Éd. PUF.

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Un commentaire sur “Parents–professeurs, comment restaurer la confiance” – Article du journal La Croix

  1. Labrousse

    La ministre de l’éducation veut aussi rencontrer en personne, chaque mois, des parents « pas forcément élus » pour être à l’écoute de leurs préoccupations.

    Madame je serais donc ravie de vous rencontrer pour parler de mon problème qui vous est exposé dans le courrier en LRAR que je vous envois.
    En espérant au minimum une réponse de votre part et non pas de vos services.

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