Discours de promotion d’Ernestine Ronai au grade d’Officier de l’Ordre National du Mérite

Droits des femmes Publié le 30 septembre 2014

Retrouvez ici le discours par Najat Vallaud-Belkacem pour la décoration d’Ernestine Ronai au grade d’Officier de l’Ordre National du Mérite, discours prononcé le 29 septembre 2014 à la préfecture de Bobigny.

Chère Ernestine,

Monsieur le Président du Conseil Général,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

 

Chaque cérémonie de décoration est une fête.

Mais parfois, comme aujourd’hui, malgré le mal de chien à gérer un agenda surchargé, malgré les vicissitudes des avions et la lenteur de la circulation, cela prend une importance particulière ; et il s’y joue plus que l’hommage de la République, une reconnaissance et une amitié singulière.

Pour rien au monde, je n’aurai laissé un autre, fut-ce le Président de la République, vous honorer à ma place ce soir, Chère Ernestine.

Souvent, pour écrire un discours, on cherche ses mots. Je n’ai pas eu à le faire pour qu’ils sonnent juste. Ernestine Ronai, vous êtes juste quelqu’un de bien. Aussi à l’aise, compétente et dévouée dans une réunion interministérielle que dans un foyer de femmes battues. Aussi emphatique que déterminée. Aussi bagarreuse que douce. Aussi joyeuse que grave. Aussi aimante que révoltée. Aussi lucide qu’idéaliste. Oui une femme bien. Durant les quelques 2 ans que nous avons passés ensemble, j’aurais aimé vous soutirer vos secrets, comprendre d’où vient la flamme qui vous anime, l’énergie qui ne vous quitte jamais. Mais c’était oublier que quand vous prenez rendez-vous, ce n’est sûrement pas pour parler de vous. Non, les autres, les autres, toujours les autres. Vous avez décidé d’y consacrer votre vie, d’être à leur service et vous ne faîtes pas les choses à moitié. Il m’aura fallu attendre cette décoration pour remonter patiemment le fil de votre histoire et comprendre un petit peu.

Comprendre que c’est une histoire qui remonte à loin. Comprendre que dès votre plus jeune âge, vous grandissez en jeune fille engagée et attentive aux autres, et surtout, surtout allergique à toute forme de racisme, d’intolérance et d’antisémitisme. Vos parents juifs d’Europe centrale avaient fui le nazisme. Vous refuserez vous quelques années plus tard la guerre d’Algérie, rejoignant à 14 ans l’Union des jeunes filles de France, au sein du Mouvement Jeunes Communistes de France, un engagement auquel vous êtes restée fidèle toute votre vie, vous et votre sœur Henriette. Car lorsque vous commencez quelque chose, Ernestine, vous le menez jusqu’au bout.

Comprendre que vous ne choisirez pas votre métier, institutrice, directrice d’école, psychologue scolaire, par hasard mais mue par l’envie débordante de transmettre aux enfants. Leur transmettre le goût d’apprendre, mais aussi le goût de l’égalité, l’égalité encore et toujours.

D’ailleurs comme rien ne tient au hasard, j’ai fini par penser que c’était pour me permettre de vous honorer en qualité de ministre de l’éducation nationale que le Président de la République m’a confié il y a 3 semaines ces responsabilités. Elles me permettent ce soir de remercier la toute jeune institutrice que vous fûtes quand vous avez commencé votre carrière en Seine-Saint-Denis, à la Cité des 4 000 de la Courneuve. Le moins que l’on puisse dire, Ernestine, c’est que vous n’avez jamais été attirée par les paillettes et le confort. Vous avez toujours préféré aller là où vous estimiez que l’on avait le plus besoin de vous.

Mais revenons à ce cheminement qui a fait de vous celle que vous êtes aujourd’hui : vous prenez donc un tournant important dans votre vie, à la fin des années 1980, en devenant secrétaire nationale de l’Union des femmes françaises (UFF). En faisant évoluer l’union vers l’association « Femmes Solidaires », avec Sylvie Jan et quelques autres, vous faîtes passer l’UFF d’une association de femmes à une association féministe. Dans la foulée, vous rejoindrez Clara-Magazine et en devenez même la rédactrice en chef.

Et c’est donc au début des années 2 000, qu’avec le soutien d’élus du Conseil général, vous créez puis faîtes vivre l’inégalable Observatoire départemental des violences faites aux femmes de la Seine-Saint-Denis. Un outil unique en France dans lequel œuvre toujours la petite équipe engagée que je reconnais ce soir et à qui j’exprime toute ma reconnaissance. Dans cette aventure, Didier Paillard et Gilles Garnier ont été, je le sais, d’un fort soutien.

Combattre toutes les violences faites aux femmes, en comprendre les ressorts, identifier de nouvelles solutions toujours plus pratiques, concrètes, pragmatiques, voir et prendre en compte la souffrance des enfants dans les situations de violences, aider les femmes à en sortir vite, les accueillir, les protéger. Et surtout, surtout faire exploser le tabou, toujours lui.

On ne pourrait véritablement imaginer le développement de l’ordonnance de protection ou du téléphone portable grand danger sans l’énergie et la force de conviction que vous avez déployées toutes ces années.

Oui, après en avoir convaincu bien d’autres, vous avez vite emporté l’adhésion de la jeune ministre des droits des femmes que j’étais. Comme vous le savez, vous avez toujours convaincu tous ceux que vous avez rencontrés, à la Réunion, dans l’Allier, dans les Pyrénées-Orientales …et partout en France.

Alors je ne me prive jamais de le dire, chère Ernestine : ce que vous avez mis en place au sein de la Seine-Saint-Denis a servi de modèle pour la France entière. La mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences, la MIPROF, que nous avons créée ensemble, c’est aussi un peu notre bébé. Les 500 téléphones portables grand danger que nous distribuons, les conventions que nous signons avec chaque département, les formations que nous organisons pour les professionnels, les hébergements que nous créons, oui, tout cela on vous le doit beaucoup et si j’ai pu laisser le ministère des droits des femmes le cœur un peu lourd mais pas trop, c’est que je savais vous y laisser en gardienne incorruptible du temple.

Ma chère Ernestine, en témoignage de reconnaissance pour votre engagement exemplaire au service des autres et plus particulièrement des femmes, le Président de la République vous a nommée Officière de l’Ordre National du Mérite. Et ce soir, c’est un grand privilège pour moi de vous remettre cette distinction, l’une des plus hautes de notre pays.

Ernestine Ronai, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officière de l’Ordre National du Mérite.

Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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