Remise de la Légion d’Honneur à Florence Noiville – Discours


Ce mercredi 29 octobre 2014, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a remis les insignes de Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur à Florence Noiville, journaliste et auteure de romans et de livres pour la jeunesse.

Retrouvez ici en vidéo le discours de Najat Vallaud-Belkacem et celui de Florence Noiville ainsi que le texte du discours prononcé par la ministre.

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Chère Florence,

Le chemin que nous honorons ce soir et qu’il me revient de célébrer, ton chemin, est un chemin de liberté et de contre-pieds. HEC, Sciences-Po et une Maîtrise de droit des affaires t’avaient destiné à une carrière dans la finance. Alors, tu as d’abord mis ton pas dans le sillon ainsi tracé. Pendant quatre années, tu as été au service d’une grande entreprise américaine. Mais, lorsque tu as changé d’aiguillage, une maxime résumait ta décision : «la technique financière est comme le vélo : quand on sait en faire, c’est pour la vie, mais rien ne vous oblige à devenir cycliste professionnel.» Tu décidas donc de passer des chiffres aux lettres en rejoignant d’abord Bayard Presse, avant de céder aux sirènes du Monde, pour une collaboration désormais riche de 20 années.

Un deuxième contre-pied a suivi. En 1992, Stock te demande d’écrire la biographie d’Isaac Bashevis Singer. Au moment où je dis cela, il y a parmi vous trois catégories de personnes. Les premiers te connaissent si bien qu’ils ne sont pas étonnés. Isaac Bashevis Singer est devenu un morceau de ta vie et tu es devenue une pièce incontournable de sa mémoire. Ta biographie fait autorité à travers le monde.

Les seconds sont surpris. «A bon ! Je ne savais pas que Florence était Ashkénaze !…». Ils te regarderont désormais avec un peu d’affection et de tendresse yiddish.

Les troisièmes ont compris où était le contre-pied.

Ecrire la biographie d’un homme qui déteste les biographes est un morceau de bravoure. Aller jusqu’à obtenir, pour ce travail, le prix du récit biographique est un beau pied de nez. Raconter la vie d’un écrivain dont l’œuvre est plantée comme le chêne dans ses racines hébraïques, écrite dans une langue – le yiddish – que quelques milliers de personnes connaissent dans notre pays, c’est un sacré défi, relevé avec brio.

Tu as cherché les traces qui avaient pu échapper à l’enfer nazi et retrouvé quelques très vieux témoins qui l’avaient connu à Varsovie. Tu as retrouvé et interrogé le fils qu’il avait laissé derrière lui, en Pologne, à l’âge de cinq ans… À New York, tu as convaincu des femmes qui avaient compté dans sa vie de bien vouloir te parler de lui. À Stockholm, tu as rencontré ceux qui, en 1978, décidèrent d’attribuer le prix Nobel à ce grand écrivain qui s’exprimait dans «la langue de personne». Comme dans tout ce que tu as fait, tu n’as pas lésiné, tu n’as rien laissé au hasard. Et tout cela a donné un travail rare et précieux, qui fait découvrir et prendre la mesure de ce qu’a été cet auteur majeur. Et tu as d’ailleurs décidé de continuer en en prenant la direction du cahier de l’Herne consacré à Singer. Tu changes donc de pied parfois mais tu as de la suite dans les idées.

Florence, c’est aussi la passionnée de littérature anglo-saxonne. Toujours heureuse d’ouvrir de nouveau horizons aux lecteurs du Monde. J’ai lu que tu avais attrapé le virus de l’anglais dans l’enfance en écoutant les postes radios de la BBC. Ta galerie de portraits des grands auteurs que sont notamment : Toni Morrisson, David Lodge, Jonathan Coe ou Milan Kundera, se retrouve désormais sous le joli nom de Literary Miniatures, réunis dans une édition américaine ou de ton « So british », série inégalée de portraits des écrivains d’outre manche.

Tes livres sont traduits dans près de 14 langues. Mais la langue que tu pratiques, que tu travailles, que tu « burines », pour reprendre l’un de tes termes, c’est le Français. C’est la langue dans laquelle tu penses, celle dans laquelle tu dessines tes histoires. Celle que tu défends et que tu fais rayonner. C’est dans notre langue que tu crées ta propre langue.

«Merci à Molière sans qui cette histoire n’aurait peut être pas existé.» C’est l’une des dédicaces qui conclut ton second roman, l’Attachement.

Et de fait chacun de tes romans ont été traduits en Anglais. Bien sûr, ils le sont aussi dans des langues plus inattendues comme le Serbo-croate ou le Bengali. Tu pousses les portes de festivals étrangers dans lesquels les auteurs français sont rarement invités.

En réalité, Florence, tu nous montres que si nous voulons que la langue française garde une vocation universelle, nous devons accepter les fertilisations croisées. Nous devons accepter aussi de la faire vivre et de la moderniser dans ses usages. Nous devons sans cesse chercher à renouveler sa puissance créatrice, admettre que tout ce qui pourra enrichir cette langue française d’une idée qu’on ne trouve pas dans les mots que l’on connait déjà. Et tu pousses toujours plus loin grâce à cette langue notre compréhension du monde et notre capacité à transmettre. «Combien es-tu ?» Les trois mots qui ouvrent ton roman L’attachement, toujours, disent combien la langue française n’a pas fini de nous livrer ses surprises et son potentiel.

Mais ce qui te caractérise peut-être encore plus que tout cela, Florence, c’est ta passion de la transmission. Car écrire, lire et faire lire, ça se partage. C’est le goût du partage qu’on retrouve dans ton essai sur HEC, qui n’a laissé personne indifférent, comme dans ton œuvre pour la jeunesse, à laquelle je voudrais particulièrement rendre hommage.

Tu es, en effet, l’auteur d’une douzaine de livres pour la jeunesse, dont certains figurent sur les listes de référence que notre Ministère établit à destination des enseignants. C’est un privilège rare.et je sais combien ils apprécient le « Je cherche les clés du paradis » illustré par le très talentueux Philippe Dumas dans lequel, pour ceux qui ne le connaissent pas, à travers une histoire qui paraît simple, celle d’une maison de famille qu’on déménage, tu amènes les enfants à s’interroger précisément sur leurs racines, sur la transmission, sur le passage de témoins entre générations et sur la construction des souvenirs.

Partage toujours lorsqu’avec ta sœur Christine, vous commettez ces trois petits livres sur les mythes et héros grecs et romains. Ces livres, tu dis les avoir écrits d’abord pour tes filles, en constatant que les ouvrages que tu voulais leur faire lire n’existent pas en librairie. Ils ne sont pas écrits pour transmettre un savoir, mais pour transmettre un virus, celui d’une culture dévorée par le goût de la fiction. Les mythes sont autant d’anecdotes offertes au plaisir, au plaisir de la lecture. Autant de pierres posées dans le jardin des jeunes lecteurs, qui leur permettront peut être un jour de trouver la sortie du château de Barbe Bleue.

Si j’insiste sur cette production, c’est parce que je sais combien tu es attachée à la promotion du livre de jeunesse, qui mérite, en effet une politique à part entière. Le rapport que tu as remis en 2013 au Centre National du Livre sur ce sujet propose des options majeurs pour que les jeunes générations ne décrochent pas massivement de cette pratique, qu’elles lisent sur papier ou sur tablette. Le Ministère qui est le mien a un rôle important à jouer en la matière à la fois dans l’enceinte des écoles mais aussi en dehors, dans le cadre de l’éducation populaire, à la rencontre des jeunes qui en ont le plus besoin. Ce défi, c’est un défi fondamental, mais aussi complexe. Pour s’y attaquer, nous avons besoin de l’engagement de tous et de toutes les énergies, et je sais pouvoir compter sur la tienne et sur ta force de conviction pour en entrainer d’autres.

Chère Florence, en témoignage de reconnaissance pour ton engagement exemplaire au service de la langue et au service des autres le Président de la République t’a nommée Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur. Et ce soir, c’est un grand privilège pour moi de te remettre cette distinction, l’une des plus hautes de notre pays.

Florence Noiville, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur.

Najat Vallaud-Belkacem,
Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche,
le 29 octobre 2014.

Jeunesse Éducation nationale Publié le 31 octobre 2014