Remise de la Légion d’Honneur à Martin Hirsch – Discours

Ce mercredi 29 octobre 2014, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a remis les insignes de Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur à Martin Hirsch, directeur général de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris.

Retrouvez ici en vidéo le discours de Najat Vallaud-Belkacem et celui de Martin Hirsch ainsi que le texte du discours prononcé par la ministre.

 

Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs,

Cher Martin,

J’aimerais commencer par une confidence. Tu sais j’ai eu parmi mes collaborateurs plusieurs personnes qui ont travaillé pour toi. Deux choses les distinguent. La première est qu’ils ne reviennent jamais d’une réunion difficile sans clamer partout dans les bureaux « on a gagné ». La seconde est que, quand il devient patent que ce sera très compliqué de gagner, ils concluent toujours l’échange par « On va s’en sortir… On va y arriver. » Je leur ai un jour demandé s’ils appliquaient la méthode Coué. Ils m’ont répondu en chœur « qu’ils appliquaient la méthode Hirsch. Ca ressemble à la méthode Coué, à une différence près : c’est qu’on gagne à la fin ».

Cher Martin, tu aimes le défi. Tu aimes les chemins escarpés. Tu aimes sortir des clous, au risque parfois de t’aventurer dans des zones dangereuses, mais tu restes toujours très sûr de tes cordes de rappel. En montagne, on dirait qu’il n’y a rien que tu ne goûtes davantage que d’ouvrir une voie. Tu aimes y emmener une cordée solidaire, avoir une bande autour de toi. Tu n’as pas peur des chemins complexes et du désordre. Certains disent même que tu te complais dans ce désordre, car tu sais qu’il peut être plus créatif que l’ordre.

Certains parlent de la beauté du geste. On pourrait parler de la beauté du défi pour décrire le moteur qui t’anime, toujours dans le coup d’après, boulimique d’engagement dans la nécessité d’étancher une soif débordante de sens. «Mon système de récompense nerveux passe par la noblesse de l’effort» as tu répondu récemment à un journaliste. Noblesse de l’effort et noblesse du service des autres, ajouteront tout ceux qui te connaissent. Il y a là une nécessité personnelle, une nécessité à te réaliser toi-même à travers ce que tu réalises pour les autres, une nécessité qui te conduit à t’investir tout entier dans ce que tu entreprends. Tu as fait du cumul insatiable des engagements, un véritable mode de vie.

Dans « la lettre perdue », tu es revenu sur ce moteur dans des termes personnels et parfois intimes. Sa mécanique est complexe et, reconnaissons le, singulière. Ton chemin n’a pas d’équivalent. Tes racines familiales bien sûr, qui sont le fil conducteur du livre comme elles avaient été le fil conducteur de « Je cherche les clés du paradis » de Florence. Ta formation médicale hélas inaboutie – tu as longtemps nourri l’idée de reprendre tes études de médecine arrêtées dans la dernière ligne droite -, ton action à l’Assistance Publique lors d’un premier passage, au Ministère de la santé et à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, les amitiés solides et durables que tu y as établies, Emmaüs et l’abbé Pierre, la musique dont tu montres comment elle peut « faire partie de l’engagement », l’invention du Revenu de Solidarité Active et sa mise en application comme Haut commissaire aux Solidarités Actives contre la Pauvreté – un poste que tu as toi même inventé -, la création du service civique et de l’agence chargé de l’animer… A travers la légion d’honneur, nous sommes ici réunis pour rendre l’hommage de la République à ton parcours, à ta force de conviction et à tes réalisations.

J’en retiens moi au moins deux choses. La première, c’est la conviction que l’engagement est à repenser et à réinventer, qu’il est la plus grande ressource mobilisable disponible pour notre société. Le Président de la République était hier à Paris avec les 15 porteurs de projet reconnus dans le cadre de « la France s’engage ». Cette initiative dont tu as eu l’idée, que nous avons travaillé ensemble, est née d’un constat simple : il y a une certaine forme d’urgence à montrer que notre société est capable de produire par elle-même des solutions pour faire face à des défis nouveaux. La société française est riche d’idées, de projets et d’engagements, qui sont la matière première du lien social. Nous connaissons tous, dans notre action quotidienne, des engagements, des initiatives concrètes, qui répondent à des problématiques simples, mais courantes. Nous savons la force particulière de ces initiatives, construites avec pragmatisme par des gens convaincus que notre société gagnerait tant à démultiplier. C’est à tout cela que s’attache la France s’engage.

Tu souhaites faire de l’engagement une pathologie contagieuse. Tu as raison, c’est essentiel pour faire sortir notre démocratie de l’ornière d’incompréhensions dans lequel elle s’enferme. Les décisions publiques sont devenues si complexes, elles obéissent à des règles tellement enchevêtrées, qu’il n’est pas facile d’imaginer comment son propre engagement, sa propre implication, pourrait avoir une influence positive sur le cours des choses. C’est probablement l’une des difficultés de l’engagement contemporain. Le pouvoir s’est dilué. Pour reprendre tes mots, «ce ne sont plus les résistants qui prennent le maquis, c’est le pouvoir lui-même qui semble camouflé, dispersé, diffus, insaisissable, qui parle avec des langage codés, des formules secrètes.» Pour retisser le lien entre le pouvoir et les citoyens, il faut partout faire renaître son moteur. La possibilité de changer la vie, de se mettre au service des autres, de s’impliquer dans l’organisation de la cité. Cela ne peut fonctionner que si cet objectif est décliné à tous les niveaux, dans tous les rouages de l’Etat, et constitue une véritable révolution culturelle. Je sais, pour te connaître maintenant un peu, que rien ne t’énerve plus que les hauts fonctionnaires qui se présentent comme de simples exécutants, qui ne proposent pas, en somme qui ne s’engagent pas eux-mêmes. Je suis convaincue comme toi que ces expériences qui ont constitué pour toi un déclic d’engagement et d’humilité, la fréquentation des communautés d’Emmaüs, la réalisation d’une semaine embarquée auprès des agents du centre Communal d’Action Sociale de Grenoble, devraient constituer un passage obligé dans notre formation.

Notre société ne peut avancer sans sortir des postures. C’est le constat qui a présidé à la création de l’Institut du service civique. «Utiliser les armes des autres – la notion d’appartenance, la force du réseau, le principe d’une culture commune – et les détourner de leur usage classique. Mettre à bas l’esprit de compétition sans baisser le niveau d’ambition. Supprimer la notion de concurrence et de rivalité sans perdre le désir de progresser.» disais- tu. Voici les objectifs que tu as fixés à l’Institut et qui, s’ils étaient sortis de leur contexte, pourraient ressembler au viatique d’un Ministre de l’Education nationale.

Sortir des postures, c’est aussi ce qui t’a conduit à créer l’Action Tank au côté de Mohammed Yunus et d’HEC. Je me souviens des conseils très simples de cet homme qui est petit par la taille et grand par la pensée, lorsque tu me l’as présenté il y a quelques mois. « Il faut – disait-il– cesser de parler de demandeur d’emplois. Il n’y a pas de demandeur d’emplois, il n’y a que des créateurs d’activité qui s’ignorent et c’est mon rôle, c’est notre rôle, de les aider à prendre conscience du potentiel qu’ils ont en eux. Essayer de réfléchir de cette façon, vous verrez que cela change beaucoup de choses ». Chiche. Pourquoi ne pas envisager cette révolution de notre système de pensée ? Pourquoi ne pas repenser les modèles économiques pour prévoir dès leur conception une place pour les plus exclus ? Avec plusieurs grandes entreprises, notamment Danone et Essilor, tu mets en pratique cette révolution dans des programmes pour la distribution de lait deuxième âge et de lunettes à prix réduits.

Notre société ne peut avancer sans sortir des postures. Cela doit concerner tout le monde. Prenons un autre exemple. « Comment s’adresser aux électeurs du Front national ? » C’est une question qui te taraude. Pour chercher une réponse, tu as entrepris une démarche originale, qui t’a conduit à passer une journée d’échange et de confrontations d’idées avec plusieurs militants de ce parti, sans arrière pensée et avec humilité. Je voudrais saluer cette démarche, qui permet de mieux comprendre ce qui dérange les électeurs du Front national dans l’offre politique républicaine, ce qui leur manque et ce qui peut les aider à surmonter leurs contradictions. C’est ce dialogue qui permet de trouver les ressorts positifs de ces électeurs plutôt que de flatter leurs bas instincts. Je crois qu’il n’y a pas d’alternative.

Une seconde ligne de force de ton action est de faire bouger les lignes de notre conception de la protection sociale, ce que tu as rappelé dans un rapport « la nouvelle équation sociale ».

Au départ, il y a une conviction qui naît moins de la lecture de tableaux de chiffres que d’une expérience vécue. La fréquentation des compagnons d’Emmaüs a été, pendant une période de ta vie, une activité exigeante, exceptionnellement riche en rencontres et en défis. Etre président d’Emmaüs, c’est souvent devoir débrouiller l’indébrouillable et démêler l’indémêlable. Le 22 janvier 2007, au petit matin, lorsque l’abbé Pierre nous a quittés, tu t’étais contenté d’une très brève déclaration : « le meilleur hommage est de continuer. » Je sais que l’une de tes grandes fiertés est d’avoir défini dans la loi du 1er décembre 2008, celle qui crée le Revenu de Solidarité Active, le statut de ces compagnons, une loi qui a été écrite avec les compagnons et leur reconnaît un droit de déroger, un droit de sortir des clous, un droit de s’entraider de la façon la plus solidaire.

Chez Emmaüs, dans les communautés mais aussi à travers la création d’Emmaüs Défi, tu as acquis une conviction dure comme la pierre, celle qu’aucun progrès de notre protection sociale ne pourra advenir si l’on continue de diviser le monde en deux catégories : les travailleurs et les assistés. Le travail est un droit reconnu par notre Constitution. Il est au coeur des vies qui se reconstruisent. Il est d’autant plus essentiel que les individus, qu’ils soient sortis de prison ou en rupture, ont besoin de redéfinir leur place dans la société. Le mot assistanat est un cancer pour notre protection sociale. Tu n’as cessé de porter ce message depuis plus de 10 ans, un message qui est au cœur même de la conception du Revenu de Solidarité Active, qui désormais ne distingue plus les travailleurs pauvres et ceux qui vivent des minima sociaux. Cette idée du RSA est née de ta conviction. Elle s’est construite dans le dialogue et tu en as passé du temps avec les associations, les syndicats, le mouvement patronal, le mouvement familial, les chercheurs. Ensuite dans ton action comme Haut Commissaire aux Solidarités Actives lorsque tu as organisé en 2008 une conférence de consensus sur les paramètres du RSA et les modalités – déjà ! – d’intégration de la Prime pour l’Emploi dans le nouveau dispositif. Alors que le bilan du RSA est aujourd’hui débattu, il est sans doute essentiel de revenir à son esprit originel et à ses objectifs pour comprendre qu’il reste la plus sûre des alternatives pour réduire la pauvreté sans créer des effets de seuil.

Depuis la création du Revenu de Solidarité Active, tu n’as eu de cesse de proposer de nouvelles solutions pour une nouvelle protection sociale qui serait véritablement inclusive. La Commission européenne t’a demandé des conseils en la matière. Au côté de Michèle Bachelet, tu as défini les éléments concrets d’un socle universel de protection sociale, qui est devenu l’une des références du G20 en 2009.

En France, là où certains chassent les trésors, tu n’as au fond de cesse de chasser les effets de seuils et faire en sorte que « les planchers ne deviennent pas des plafonds » comme tu aimes à le dire.

Il y a quelque chose de vertigineux à rappeler trop vite quelques grappes de ton engagement, de tes réussites, de tes convictions, je pourrais y passer des heures mais je n’épuiserais pas pour autant le sujet. A une journaliste qui te demandait récemment si tu avais le rêve de tout quitter, tu répondais «je n’ai pas le rêve de tout lâcher car je sais que je ne lâcherai rien.» Nous serons tous d’accord dans cette pièce pour te prier de ne jamais rien lâcher.

Cher Martin en témoignage de reconnaissance pour ton engagement exemplaire au service des autres, le Président de la République t’a nommé Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur. Et ce soir, c’est un grand privilège pour moi de te remettre cette distinction, l’une des plus hautes de notre pays.

Martin Hirsch au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de l’Ordre National de la Légion d’Honneur.

Najat Vallaud-Belkacem,
Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche,
le 29 octobre 2014.

Jeunesse Éducation nationale Publié le 31 octobre 2014

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