Décrochage : discours au colloque de la Fondation de France

Éducation nationale Publié le 17 novembre 2014

Najat Vallaud-Belkacem est intervenue en ouverture du colloque “Aider tous les collégiens à réussir ? Pratiques et controverses” organisé avec la Fondation de France à la Cité internationale universitaire de Paris, vendredi 14 novembre 2014.

Cette journée a permis de rendre compte des pratiques pédagogiques et éducatives qui se sont avérées efficaces pour lutter contre le décrochage. Les acteurs de terrain ont débattu avec des experts, de leurs pratiques innovantes et de la manière de transformer le collège.

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La ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche s’est exprimée a signé avec Philippe Lagayette, président de la Fondation de France une nouvelle convention de partenariat entre le ministère et la Fondation de France.

Retrouvez ici le discours de la ministre :

Seul le prononcé fait foi.

Madame la Députée,
Monsieur le Président de la Fondation de France,
Chers enseignants, chefs d’établissement, CPE, conseillers d’orientation, assistants sociaux, infirmiers scolaires et partenaires associatifs mobilisés contre le décrochage scolaire,
Mesdames et messieurs,

Merci, Monsieur le Président, pour les mots que vous venez d’avoir. Vous le savez, je tenais beaucoup à être présente aujourd’hui, parce que la Fondation de France est un fidèle partenaire de l’éducation nationale et parce que nous nous avons tous ici 620 000 bonnes raisons d’être présents. 620 000, parce que c’est le nombre d’élèves qui, aujourd’hui, sont considérés comme en grande difficulté et ont “décroché” du système scolaire au fil des ans. Le chiffre de 140 000 jeunes circule plus fréquemment : il correspond au nombre annuel de jeunes sortants du système scolaire sans qualification mais masque en réalité la réalité globale du décrochage scolaire : nous parlons bien de 620 000 jeunes, soit l’équivalent de l’ensemble de la population d’un département de la taille de la Charente-Maritime.

C’est ce constat commun qui nous réunit : celui du refus de l’échec scolaire et la volonté partagée de tout mettre en œuvre pour permettre à chaque élève de réussir.
Le décrochage scolaire est bien sûr le résultat de causes multiples et imbriquées. Des causes individuelles, certes, mais qui ne doivent pas occulter les facteurs collectifs qui, par conséquent, relèvent bien de notre responsabilité collective de pouvoirs publics et de partenaires associatifs engagés ensemble pour construire une société plus juste.
Ces facteurs collectifs de décrochage, je ne les citerai pas tous car vos échanges d’aujourd’hui seront l’occasion d’y revenir. Je m’attarderai toutefois sur deux d’entre eux, à commencer par le déterminisme social. Rappelons-le, sur 28 pays, la France est en 26ème position en matière d’inégalités scolaires. Ces difficultés s’accentuent encore pour les élèves issus de l’immigration : ils risquent deux fois plus que les autres d’être en échec scolaire. Et les élèves issus de milieux défavorisés ont une probabilité 1,5 fois plus forte de redoubler que ceux issus de milieux favorisés. Plus grave encore, ces inégalités sociales se sont creusées en France au début des années 2000 : les études montrent que de 2003 à 2012, le système scolaire est devenu plus inégalitaire. Concrètement, cela signifie que lorsque l’on appartient à un milieu défavorisé, on a aujourd’hui moins de chances de réussir en France qu’en 2003.

Second facteur de décrochage sur lequel je souhaite m’attarder : un cadre collectif qui ne prenne pas suffisamment en compte les rythmes et les capacités des différents élèves. Car c’est bien de ce dont il s’agit lorsque l’on parle de décrochage : décrocher, c’est ne pas réussir à suivre le groupe. C’est décrocher par rapport à une norme. Cela n’enlève en rien à la valeur intrinsèque d’un élève, mais cela peut être la source d’une grande souffrance pour un élève.
Le rôle de l’école, c’est de permettre à chaque élève d’acquérir de manière pérenne un socle commun de compétences, de connaissances et de culture, ce que les élèves doivent maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. Mais le rôle de l’école, c’est aussi de tenir compte du rythme et des capacités de chaque élève pour atteindre ce socle commun. Ce n’est pas chose aisée, avec 12,3 millions d’élèves, mais cela doit être notre objectif. C’est ce que font les enseignants, je le sais, au quotidien dans leur classe et c’est au cœur de leur pédagogie. C’est aussi au cœur des dispositifs de prévention et de lutte contre le décrochage scolaire, des dispositifs relais, et des actions innovantes qui ont pu être mises en place grâce à l’appel à projets “aidons tous les collégiens à réussir”.

J’en viens donc tout naturellement à notre partenariat, qui constitue une réponse à ce constat commun : favoriser l’innovation sociale pour identifier les leviers adaptés, en fonction des territoires et des établissements, pour prévenir et lutter contre le décrochage scolaire.
Les 270 projets qui ont pu être mis en œuvre grâce à l’appel à projets “aidons tous les collégiens à réussir” en attestent : l’innovation sociale est un puissant levier pour répondre aux priorités de la refondation de l’école. Je sais que de nombreuses équipes pédagogiques qui ont pensé et mis en œuvre ces projets sont dans la salle : à vous tous, j’adresse mes remerciements chaleureux pour votre action, votre engagement et votre professionnalisme. Je vous adresse mes remerciements, également, pour l’initiative dont vous avez fait preuve en portant ces projets. S’inscrire dans un cadre global, dans un socle commun, dans des programmes, dans des fonctionnements d’établissement, laisse fort heureusement aussi de l’espace pour l’initiative et l’innovation.
Car laisser un espace pour l’innovation sociale, c’est expérimenter des actions et les faire changer d’échelle lorsqu’elles se révèlent efficaces. L’innovation sociale, c’est s’appuyer sur les acteurs qui sont au plus proche du terrain pour imaginer des solutions qui correspondent aux élèves. L’innovation sociale, au cas d’espèce, c’est finalement une philosophie d’approche des difficultés que les communautés éducatives rencontrent.
Équipes de la Fondation de France, équipes pédagogiques, partenaires associatifs, vous avez su saisir ces espaces d’innovation et c’est grâce à vous que ces projets ont pu voir le jour. Poursuivez ce mouvement : la journée de l’innovation 2015, pour laquelle j’ai lancé un appel à projets à l’intention des équipes de terrain, sera aussi l’occasion de valoriser et de faire connaître ce qui fait réussir les élèves.

Vous avez su, par vos projets, vous adapter aux territoires en proposant par exemple des solutions adaptées aux élèves en situation de décrochage dans les zones de montagne. Vous avez su penser une organisation différente du temps scolaire pour vous adapter aux rythmes d’apprentissage des élèves. Vous avez utilisé le numérique, l’art et la culture pour remobiliser des élèves qui avaient perdu le goût de l’école. Je le dis, par votre action, vous avez sauvé des élèves.
Parce que vos projets répondent à un besoin, parce qu’ils permettent d’identifier de nouveau leviers d’action pour prévenir et lutter contre le décrochage scolaire, je signerai tout à l’heure une nouvelle convention avec la Fondation de France, en engageant mon ministère pour trois ans et en apportant un soutien financier important, à hauteur de 600 000 euros.

Ce nouveau partenariat s’inscrit dans le cadre de la politique globale que je conduis en matière d’éducation et qui vise, tout entière, à permettre la réussite de chaque élève et à atteindre l’objectif fixé par le Président de la République : diviser par deux le nombre de décrocheurs d’ici à 2017.
Favoriser la réussite de tous et lutter contre le décrochage scolaire est au cœur de la politique que je conduis, en luttant contre les inégalités, en préparant la réforme du collège, et en annonçant prochainement un plan interministériel de lutte contre le décrochage scolaire.
Favoriser la réussite de tous en luttant contre les inégalités, nous le faisons d’abord en réformant l’éducation prioritaire. C’est une évolution majeure. La carte de l’éducation prioritaire était au fil du temps devenue injuste et sa révision est un outil de justice sociale et de correction des inégalités. Il fallait la réformer ; nous le ferons.
Nous luttons aussi contre les inégalités en donnant la priorité au premier degré, car c’est dès le plus jeune âge que se joue la solidité des apprentissages. Et nous mettons les moyens en face de ces priorités : sur les 21 000 postes d’enseignants titulaires à créer sur le quinquennat, 14 000 sont en train de l’être pour le premier degré.

Mais favoriser la réussite de tous, c’est aussi réformer le collège, car donner la priorité au premier degré implique également de faire en sorte que le maillon suivant, le collège, soit au service d’une politique éducative performante. Une part trop importante d’élèves est encore aujourd’hui en grande difficulté au collège. L’organisation actuelle du collège n’est pas capable d’apporter des solutions aux élèves rencontrant des difficultés significatives à l’entrée en 6e et conduit même, dans certains cas, à l’aggravation des difficultés. Vous le savez, vous qui avez choisi avec la Fondation de France de faire porter vos projets sur le collège.
Nous travaillons donc en ce moment même à une réforme du collège qui permette d’apporter une réponse aux élèves en grande difficulté, sans remettre en cause le collège unique mais en le repensant de manière à concilier tronc commun et prise en charge spécifique des élèves.

Et puis favoriser la réussite pour tous, c’est repenser les dispositifs existants en matière de prévention et de lutte contre le décrochage scolaire.
Je le rappelle, la loi de refondation portée par le gouvernement et adoptée en 2013 instaure un nouveau droit au retour en formation pour tous les jeunes de 16 à 25 ans qui sont sortis du système scolaire sans diplôme ou sans qualification professionnelle. Il s’agit véritablement d’une nouvelle chance donnée à chacun de ces jeunes d’acquérir une qualification, soit en reprenant des études, soit étant formé en apprentissage (alternance entre l’entreprise et le milieu scolaire), soit en reprenant les fondamentaux dans une école de la deuxième chance ou en faisant une formation professionnelle pour se préparer directement à un emploi. Concrètement, tout jeune, de 16 à 25 ans, sans qualification, obtiendra dans les 15 jours suivants sa demande un entretien avec un conseiller du service public régional d’orientation. Cet entretien doit permettre de présenter au jeune toutes les possibilités de formation qui peuvent lui être proposées et de définir avec lui celle qui est la plus adaptée à son profil et à son projet. Ce nouveau droit constitue un changement important.
La lutte contre le décrochage scolaire va également évoluer puisque je présenterai d’ici la fin du mois le contenu du nouveau plan interministériel de lutte contre le décrochage scolaire.
La Fondation de France a contribué activement aux réflexions pour bâtir ce plan interministériel et le renouvellement de notre partenariat a été pensé en cohérence avec lui, avec un axe fort : le volet préventif du décrochage scolaire, dans laquelle les enjeux de mobilisation et de remobilisation sont prégnants. C’est l’une des priorités de la refondation de l’école et ce sera au cœur de notre partenariat dans le cadre de cette nouvelle convention.

Un mot de conclusion pour vous dire que si notre partenariat n’est pas nouveau, si la lutte contre le décrochage scolaire n’est pas nouvelle, ce qui a changé, c’est sans doute la manière dont l’école l’aborde et la manière dont nous l’abordons ensemble. Plus encore qu’hier, l’école se sent responsable des enfants jusqu’à la fin de l’obligation scolaire. Elle sait que ceux qui ont quitté le système scolaire en cours de route ne relèvent pas exclusivement d’une intervention sociale. Elle met tout en œuvre pour repérer les élèves en situation de décrochage et les ramener vers l’école, vers des dispositifs qui leur soient mieux adaptés. Mais j’irai même plus loin : non seulement l’école se sent désormais responsable des élèves dits “décrocheurs”, mais elle se soucie également des élèves au-delà de la fin de l’obligation scolaire, en participant à favoriser leur insertion professionnelle.
J’agirai donc, de ma place de ministre et avec la communauté éducative, pour que la scolarité obligatoire soit structurée autour d’un grand objectif : faire en sorte que tous les élèves puissent bien apprendre, pour que chaque élève puisse construire son parcours et sa vie sur une base solide et puisse espérer atteindre ses rêves. Et parce que je crois en une école ouverte sur ses partenaires, nous le ferons avec vous, Fondation de France et partenaires associatifs présents aujourd’hui, parce que c’est de nos échanges que naîtra la réussite de tous les élèves.


Photos © Philippe Devernay / MENESR

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