Que les conservateurs tombent les masques ! – Entretien LePoint.fr

Éducation nationale Publié le 21 avril 2015

Retrouvez ici l’entretien accordé par Najat Vallaud-Belkacem, ministre en charge de l’Éducation nationale au magazine Le Point à propos du #Collège2016 et des oppositions que la réforme suscite.
Le Point.fr : Votre réforme du collège, pour la rentrée 2016, suscite une levée de boucliers et un appel à la grève le 19 mai de la part d’une large intersyndicale. Quelles concessions êtes-vous en mesure de faire afin de désamorcer ce conflit ?

Najat Vallaud-Belkacem : J’ai présenté la réforme début mars, nous avons négocié pendant un mois avec tous les syndicats pour l’améliorer. L’aboutissement, c’est une réforme qui a reçu, à une très large majorité, un avis positif du Conseil supérieur de l’Éducation, organe qui réunit les partenaires de l’école. La réforme s’appliquera donc en 2016 pour le bien des élèves, qui apprendront mieux grâce à de nouvelles pratiques pédagogiques, pour la plupart expérimentées avec succès depuis des années. C’est une réforme qui se base sur les réalités du terrain et pas sur la simple imagination de la Rue de Grenelle. Et qui donne une vraie autonomie aux équipes pédagogiques pour mieux répondre aux besoins de leurs élèves.

Le Point.fr : Votre réforme vise à réduire les inégalités qui se creusent au sein du collège. C’est un but certes noble, mais vos détracteurs s’inquiètent plutôt du nivellement par le bas que votre réforme impliquerait… Cette crainte s’exprime à travers notamment la refonte du grec et du latin à travers une discipline plus vague intitulée “langue et culture de l’Antiquité”. De quoi s’agit-il ?

Najat Vallaud-Belkacem : Tout le monde est d’accord pour déplorer les faibles résultats et les inégalités qui se creusent au collège. Mais lorsqu’il s’agit d’offrir à tous les collégiens les mêmes perspectives de réussite et donc de tirer tout le monde vers le haut et pas seulement quelques-uns, on nous parle systématiquement de “nivellement par le bas”. Alors, oui, ces débats le confirment une fois de plus : il y a bien une différence essentielle entre les progressistes et les conservateurs. Les premiers combattent les inégalités quand les seconds en théorisent la nécessité. Ce qui me guide, moi, c’est le souci de démocratisation de la réussite. Je ne me satisfais pas qu’un élève sur quatre ne maîtrise pas les compétences attendues en français à la fin du collège. Je ne me satisfais pas que la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance des élèves soit bien plus marquée chez nous que dans la plupart des autres pays de l’OCDE. Tirer vers le haut tous les élèves en leur donnant à tous les moyens de réussir, je vous rassure, ça ne portera préjudice à personne. Ou plutôt si, ça portera préjudice aux inégalités actuelles auxquelles certains ont toujours intérêt. 

Ce qui est frappant, c’est que ce débat sérieux et profond – élitisme dynastique versus élitisme républicain qui suppose qu’on rebatte vraiment les cartes en offrant de mêmes chances de réussite à chacun – n’est jamais mené de façon franche, en tombant les masques. Les défenseurs d’un système inégalitaire et de reproduction sociale ne vous le diront jamais frontalement, sans doute parce qu’ils perçoivent ce que leur position peut avoir d’intenable dans un pays amoureux d’égalité. Alors, ils recourent à une stratégie désormais bien rodée : multiplier les contre-vérités pour embrouiller les esprits et faire douter de la réforme. Il suffit de la lire pour dégonfler leurs accusations, mais ils savent pouvoir compter sur le fait que peu prennent malheureusement le temps de le faire.

Par exemple, le latin : non, la réforme n’enterre pas le latin. Bien au contraire. Là où il n’est aujourd’hui qu’une option (c’est-à-dire des heures de cours en plus), proposée par quelques établissements, choisie par très peu d’élèves (20 %) qui pour la plupart l’abandonnent au lycée, nous en faisons un enseignement pratique interdisciplinaire (ce qui signifie à la fois étude de la langue mais aussi de la culture et de la civilisation) présent dans la scolarité obligatoire. Cela va contribuer à démocratiser cet enseignement. 

Le Point.fr : Des germanistes aussi célèbres que Jean-Marc Ayrault s’inquiètent du reflux de l’enseignement de l’allemand notamment à travers la réforme des classes bi-langues en sixième. Comment pouvez-vous être certaine que l’allemand ne reculera pas ?

Najat Vallaud-Belkacem : J’ai eu l’occasion d’apporter des réponses aux inquiétudes exprimées par Jean-Marc Ayrault. Il a, depuis, rappelé dans la presse qu’il souhaitait “la réussite de la réforme du collège et que, s’agissant de l’enseignement de l’allemand, les choses avaient avancé dans la bonne direction”. De quoi parle-t-on là encore ? D’une réforme qui avance l’enseignement de la LV2 en cinquième (actuellement, il débute en quatrième) et augmente de 25 % le nombre d’heures dédiées à cet enseignement sur le collège. C’est évidemment un progrès pour l’allemand. Quant aux élèves qui ont fait une LV1 allemand en primaire, on leur permet de commencer l’anglais, donc de faire deux langues dès la sixième. En définitive, demain, au lieu d’avoir 16 % des élèves qui apprennent deux langues dès la sixième (les fameuses classes bi-langues d’aujourd’hui qui ne bénéficient qu’à trop peu d’élèves), on en aura 100 % en cinquième. Expliquez-moi en quoi cela peut être un recul pour l’allemand ? Et pour ceux qui doutent de notre parole, regardez le nombre de postes que nous ouvrons pour le recrutement en allemand depuis 2012 : il est en constante augmentation, et sans commune mesure avec ce qui se pratiquait les années précédentes. Pourquoi ouvririons-nous ces postes si c’était pour faire le pari d’une baisse de la pratique de cette langue ? Cela n’aurait aucun sens. Nous tenons à la pratique de l’allemand et nous nous donnons les moyens de cette ambition.

Le Point.fr : Autre point de crispation : l’interdisciplinarité conçue comme une manière de tromper “l’ennui” – c’est votre expression – des collégiens. Pardon, mais on ne va pas au collège pour s’amuser. L’enseignement, c’est aussi l’apprentissage du goût de l’effort. C’est pénible au début, mais c’est indispensable pour accéder, avec des munitions, à la vie adulte…

Najat Vallaud-Belkacem : Nos collégiens ne savent pas assez travailler en équipe, ils n’apprennent pas à mener des projets, ils ne s’expriment pas assez à l’oral. Conduire un projet, ça n’est pas en contradiction avec l’effort, n’est-ce pas ? Prendre la parole pour argumenter, non plus, bien au contraire. Ça permet de diversifier les manières d’apprendre et donc ça permet aux élèves de mieux apprendre et de mieux réussir. D’être moins dans la réception passive de contenus, de les comprendre, de les croiser, pour mieux se les approprier. Je ne veux pas d’un collège “pour s’amuser”, comme vous dites, je veux un collège qui donne aux jeunes les clés de leur avenir personnel et professionnel. Quand 140 000 élèves quittent chaque année le système scolaire sans qualification, il faut savoir se remettre en question.

Le Point.fr : La présentation des disciplines et savoirs donne lieu à la création d’une novlangue étrange. On parle de “traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête” dans un “milieu aquatique profond standardisé” au lieu de faire de la natation dans une piscine… “Créer de la vitesse” au lieu de courir. “Produire des messages à l’oral et à l’écrit” au lieu de faire des exposés et des dissertations… Comment pouvez-vous laisser faire cette dérive sémantique ? À quoi tout cela rime-t-il ?

Najat Vallaud-Belkacem : Le Conseil supérieur des programmes a remis ses projets de programmes pour l’école et le collège il y a quelques jours. Les enseignants comme tous les professionnels utilisent un vocabulaire expert. Toutefois, je souhaite et je demande que les programmes soient lisibles par tous et donc écrits dans une langue que tout le monde peut comprendre. Une consultation des enseignants est organisée du 11 mai au 12 juin

Le Point.fr : Vous allez créer 4 000 postes pour accompagner cette réforme. À quoi correspondent-ils ?

Najat Vallaud-Belkacem : Ce sont des heures “professeurs” en plus pour que, dans chaque collège, on puisse construire l’accompagnement personnalisé, les temps en petits groupes d’élèves, les interventions conjointes de plusieurs enseignants. C’est un investissement assumé pour que chaque collégien puisse réussir.


Propos recueillis par Emmanuel Berretta pour LePoint.fr le 20 avril 2015.
Photo © Philippe Devernay / MENESR

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66 commentaires sur Que les conservateurs tombent les masques ! – Entretien LePoint.fr

  1. Hans Castorp

    Personne ne peut accepter que vous fassiez passer pour une réforme un programme visant uniquement à économiser des heures et des postes en nous martelant que les élèves ont tout à y gagner.
    Ce déguisement est indigne, et vous le savez bien Madame la Ministre !

  2. Abagnale Isabelle

    Tout à fait d’accord avec les réactions sur l’allemand! Mais il ne faut pas oublier les autres langues à faible diffusion enseignée comme l’italien! Savez-vous , Madame la Ministre, combien il est difficile d’obtenir un enseignement autre que l’anglais dans le primaire. Si j’ai bien compris, comme l’italien n’est pas enseigné (malgré les démarches de ma part ) dans les écoles primaires du secteur, ma section bilangue italien va disparaître ainsi que les classes euro qui en sont la suite . Face au tout anglais-espagnol, l’italien ne fera pas le poids… C’est la mort assurée. Même ici dans les Alpes-Maritimes. Les sections bilangues et euro permettent la diversité linguistique. L’allemand et l’italien ( et les autres langues ….)doivent être réellement soutenus par un enseignement dès le primaire. Sinon, c’est l’uniformisation… et que dire du manque de reconnaissance envers tous les professeurs qui ont mis des années pour faire tourner ces sections en organisant voyages, échanges, activités diverses….Demain, les heures d’italien dans mon établissement vont certainement baisser, je vais être sur deux établissements …. Dans ces conditions, organiser tout ce qui rend l’enseignement des langues vraiment “vivant” sera compromis. J’ai choisi l’italien parce que je voulais faire partager une passion pour une culture et un art de vivre. La motivation n’est plus vraiment au rendez-vous…

  3. Gohin

    Je ne fais qu’ajouter un mot, qui redira certainement la même chose, mais visiblement c’est le credo de cette réforme que de se répéter sans rien ajouter de plus… Je voulais juste exprimer mon dégoût face à une hypocrisie sans nom: belle comédienne que notre ministre, qui affirme à tout va que l’enseignement des langues anciennes sera renforcé dans un programme où il n’existe même plus! Et pour défendre une matière que j’ai choisi d’enseigner, me voilà taxée de conservatrice!

  4. Ausgang

    Vous intervenez de plus en plus fréquemment sur les ondes ou le petit écran pour répéter sans fin le même discours ! Vous sentiriez-vous déstabilisée ? Cherchez-vous reprendre les rênes d’une réforme qui vous échappe chaque jour un peu plus…
    Les parents n’apprennent rien de plus et s’embrouillent. Quant aux enseignants, ils savent lire et comprendre vos textes. Ce qu’ils attendent de vos interventions, ce sont des réponses aux nombreuses questions qu’ils posent sur votre site et auxquelles vous ne daignez pas répondre.
    En fait, je crains bien que vous n’ayez aucune réponse à leur donner tant cette réforme sent l’idéologie, l’improvisation et le manque de professionnalisme. Qui parmi vos conseillers (je ne parle même pas de vous) a enseigné dans un collège ces vingt dernières années ? Qui connaît la réalité et les contraintes du terrain ?
    Et si vous preniez des vacances ? Prévoyez un petit voyage. Cela vous ferait du bien… et à nous aussi. Date du départ : 20 mai 2015.

  5. weballemand

    Allez une petite info pour vous montrer combien il sera facile de mettre en place une classe des langues …

    Aucun effort n’est fait pour développer l’allemand à Marseille 2ème ville de France: 3 postes fléchés seulement ont été ouverts dans les 400 écoles élémentaires marseillaises pour la rentrée 2016!!! Rien dans le 4ème, 5ème, 6ème, 7ème, 9ème, 10ème, 11eme, 12ème, 13ème, 14ème arrondissements. Deux écoles du 8ème ont un poste fléché malgré, et encore celui du Roy d’Espagne risque de ne pas être pourvu car la Conseillère pédagogique langues vivantes a appelé les 3 collègues fraîchement habilitées pour prévenir que l’école est extrêmement difficile et qu’elle recommande de bien réfléchir avant de la demander……..??! Mais alors pourquoi ne pas ouvrir dans les 16 autres écoles de l’arrondissement qui sont plus calmes?!?

    Voilà, devant tant d’hypocrisie et de mépris de la part de votre ministère, je reste sans voix et complètement démotivé!

  6. BEY Christiane

    Non, Madame la Ministre, vous n’avez toujours pas répondu à nos inquiétudes, pas plus que Mr Stéphane Le FOll, nous ne nous laissons pas berner par cet effet d’annonce …515 nouveaux postes ….rien ne dit qu’ils seront effectivement attribués car entre le nombre de postes proposé au concours et le nombre d’admis au final,le différentiel est souvent énorme mais au niveau com,c’est excellent !!! Seulement Madame, l’enjeu n’est pas d’avoir des postes supplémentaires mais de défendre l’existence de notre matière ..D’ailleurs ,à quoi bon recruter tant de profs si l’allemand devient une seule LV2 ,choisie par quelques familles réactionnaires ,à l’esprit élitiste …!!!!!
    Au fait, savez vous que notre pays a besoin de germanistes? je vous transmets un petit tableau qui en dit long sur les réels besoins de notre pays en langues vivantes. Il s’agit du nombre de demandes spécifiant les besoins en langues vivantes. (source Année 2014, http://www.anpe.fr )
    Langues demandées Nombre d’offres d’emploi collectées En % du total
    Anglais 70.220 77 %
    Allemand 11.417 12 %
    Espagnol 6.557 7 %
    Italien 3.663 4 %
    Total 91.857 100 %
    Conclusion: La France a besoin de germanistes.

  7. Hans Castorp

    Après avoir été « conservateurs », voilà vos détracteurs qualifiés ce jour de « pseudo-intellectuels » faisant dans le « n’importe quoi » au point de contaminer la presse allemande , qui , sans doute incapable de vérifier par elle même le contenu de votre réforme, répète (en allemand) ce n’importe quoi. C’est bien Madame le Ministre, on avance là, on construit, ça vole haut. On attend la suite avec impatience.

  8. Clemens Brentano

    RAS-LE-BOL de votre marketing sur ce site.

    SOYEZ polie, répondez d’abord aux questions posées par les parents et les profs.

    TOUJOURS ces mensonges, ce mépris, vous vous f… vraiment des parents et des professeurs. MISÉRABLE.

  9. Leo

    Si les futurs élèves qui quitteront dans quelques années le système scolaire apprennent à 80% les mêmes langues cela représentera un avantage incontestable pour les 20% qui auront fait un choix différent. Il est évident qu’ils pourront mieux tirer leur épingle du jeu sur le marché de l’emploi. Pour ne pas en arriver là, il est essentiel de maintenir et de développer pour tous les élèves une diversité de l’offre et des profils linguistiques en France.

  10. Sudholt Emmanuelle

    La dernière déclaration de Stéphane Le Foll est une provocation:

    http://lci.tf1.fr/france/societe/le-foll-aucune-remise-en-cause-de-l-enseignement-de-l-allemand-8601847.html

    C’est scandaleux de mentir avec autant d’aplomb…Vous faîtes exprès de ne pas comprendre ou quoi ???? Pourquoi s’entêter ??? On ne fait jamais une réforme contre les personnels..mais c’est vrai qu’on va bientôt disparaître de la circulation…
    Arrêtez d’avancer le nombre de postes au CAPES: vous savez bien qu’il ne représente rien !
    Marre de vos mensonges !
    Marre de devoir me répéter !
    Marre d’être prise pour une bille !

  11. Clemens Brentano

    Le Foll: “aucune remise en cause de l’enseignement de l’allemand” – Publié le 29/04/2015 à 13:22

    Arrêtez de nous mépriser, de nous prendre pour des CONS !

  12. PF

    Non à la suppression des classes bilangues et sections euros !
    ça fait plus d’un mois qu’on vous le dit…Faut vous faire un dessin pour que vous compreniez qu’il est urgent d’abandonner ce funeste projet ?

  13. Sudholt Emmanuelle

    Toujours en poste ? Mais qu’attendez-vous pour laisser le dossier à quelqu’un de compétent ? On est au bord de l’incident diplomatique: Fabius et Steinmeier doivent en parler ensemble !! Quelle fierté ce serait d’être LA ministre à l’origine de la disparition de l’allemand en France ?!!!!!!..

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