30 ans du Bac pro : Discours sur l’Enseignement professionnel

Villeurbanne-Lyon Publié le 4 septembre 2015

Retrouvez ici le discours de Najat Vallaud-Belkacem sur l’Enseignement professionnel, prononcé à l’occasion des 30 ans du Bac pro, au lycée des métiers de l’hôtellerie et de la gastronomie François-Rabelais, à Dardilly dans la métropole de Lyon.

Seul le prononcé fait foi,

Madame la Sénatrice et Vice-Présidente du Conseil régional,
Madame la Conseillère Régionale,
Madame la Rectrice, Monsieur le Recteur honoraire,
Monsieur le Président du Conseil Éducation-Économie,
Mesdames et Messieurs les élus,
Monsieur le Proviseur,
Mesdames et Messieurs les enseignants,
Chers élèves,
Chers professionnels de la région, toques blanches et autres représentants de la gastronomie,

Mesdames et messieurs,

Si je vous parle de pâtisserie, d’aéronautique, de haute couture, sans doute reconnaîtrez-vous là trois des secteurs qui font la grandeur de la France. Trois des secteurs qui nous rendent fiers d’être Français mais dont beaucoup ignorent qu’ils fonctionnent au quotidien grâce aux nombreuses personnes qui ont été formées par un lycée professionnel.

Une France efficace et pleine de saveurs. Une France compétitive, attractive pour les entreprises étrangères. Une France dont on s’arrache les compétences et les savoir-faire à l’autre bout du monde. Voilà ce qu’est notre pays grâce à la voie professionnelle. Voilà ce qu’il est grâce à vous, enseignants, chefs d’établissement, élèves et entreprises qui accueillez nos jeunes professionnels.

Et c’est la raison pour laquelle, au-delà du lancement de l’année des 30 ans du bac pro, sur lequel je reviendrai dans un instant, je suis venue partager avec vous ma vision de l’enseignement professionnel, parce que vous représentez l’Avenir de la Nation et que ce constat, j’aimerais le diffuser à l’ensemble des Français.

***

  1. Je crois essentiel en effet de rappeler en quoi la voie professionnelle est essentielle à la France, en quoi elle contribue à son succès, à sa diversité et à sa réussite ; et en quoi nous pouvons collectivement en être fiers.

L’enseignement professionnel est indispensable parce qu’aujourd’hui comme il y a trente ans, il répond à des besoins économiques et sociaux précis de notre pays : l’enseignement professionnel permet de pourvoir la France en métiers professionnels dont elle a besoin. Des métiers d’ouvriers, de techniciens, de cadres ; que ce soit dans le secteur industriel ou tertiaire. Des métiers du geste, les horlogers, les cuisiniers… et des métiers, aussi, qui incarnent la solidarité de la Nation envers les plus fragiles, qu’il s’agisse d’aide à domicile ou d’accompagnement des personnes en situation de handicap, ou de personnes âgées.

Et je crois qu’il y a trop longtemps que nous n’avons rappelé la cohérence d’ensemble du système éducatif et de la place qu’y occupe l’enseignement professionnel. Cette cohérence, il y a trente ans, apparaissait clairement : l’enseignement général devait permettre d’accéder à des études supérieures longues, l’enseignement technologique à des études supérieures courtes, et l’enseignement professionnel à une insertion professionnelle directe après l’obtention du baccalauréat professionnel, sans fermer la porte de l’enseignement supérieur aux meilleurs élèves de la voie professionnelle qui souhaitaient, leur bac en poche, poursuivre leurs études. C’est avec cette préoccupation que les pères fondateurs du bac professionnel, et parmi eux le Recteur Daniel Bloch qui nous honore aujourd’hui de sa présence, ont créé le baccalauréat professionnel. A l’époque, c’était la Fédération des industries électriques et électroniques qui se tournait vers l’Education nationale pour lui demander de former davantage de bacheliers de technicien pour répondre aux besoins de leurs entreprises. Pour répondre aux évolutions du marché du travail à long terme, il fallait globalement doubler le nombre de bacheliers et permettre aux titulaires d’un BEP d’accéder à un niveau de diplôme plus élevé, d’où la création du bac pro.

A présent, ce sont l’ensemble des secteurs professionnels qui se tournent vers l’Éducation nationale et avec lesquels nous dialoguons, au sein du Conseil National Éducation-Économie présidé avec dynamisme par Pierre Ferracci, que je remercie également de sa présence, ou dans les commissions consultatives paritaires lorsque nous rénovons les diplômes.

Aujourd’hui, en 2015, cette cohérence d’ensemble reste valable, avec des nuances et des évolutions sur lesquelles je vais m’attarder un instant.

Un changement majeur, tout d’abord : un jeune bachelier professionnel sur deux souhaite désormais poursuivre ses études. Et c’est là un défi majeur que nous avons à relever ensemble : mieux prendre en compte cette aspiration des jeunes et mieux les préparer aux modalités pédagogiques de l’enseignement supérieur, qui lui aussi doit sans doute mieux adapter sa pédagogie à ces jeunes qu’il accueille de manière croissante.

Des nuances par secteur professionnel, ensuite : dans certains secteurs, le CAP est le sésame absolu qui ouvre toutes les portes de l’excellence. Je pourrais citer le CAP d’horlogerie ou d’autres formations délivrées ici même, dans votre établissement. Dans d’autres, c’est le baccalauréat professionnel, ou encore le BTS, qui ouvrent toutes les portes.

La France a besoin de professionnels qualifiés et c’est par l’enseignement professionnel que se dessinera notre avenir.

Je ne veux cependant pas d’un enseignement professionnel qui, tel les moutons de Panurge, suivrait aveuglement les fluctuations du marché du travail, sacrifiant une vision sur la durée aux impératifs du court terme.

Mais je refuse aussi un enseignement professionnel qui oublierait l’importance de son lien avec le monde professionnel. Ce lien fonde sa spécificité, il fonde aussi sa vocation prioritaire, qui est et qui doit rester l’insertion professionnelle des jeunes. Car dans une société dans laquelle les jeunes restent les premières victimes du chômage, avec près d’un jeune sur 4 au chômage, parfois 1 sur 2 dans certains territoires, je ne crois pas que l’on puisse avoir d’autre priorité en tête. Je veux donc un enseignement professionnel fort : fort de sa singularité, fort du lien particulier qu’il établit avec les enseignements généraux ; fort, aussi, de son ancrage dans le monde professionnel.

Nous y parvenons d’ailleurs plutôt bien, puisque globalement, 60 % des bacheliers professionnels s’insèrent directement sur le marché du travail après leur bac.

A ceux qui opposent cet objectif d’insertion à celui d’élévation du niveau de qualification, je voudrais dire que c’est à mon sens un débat qui a fait son temps. L’élévation du niveau de qualification contribue en réalité directement à l’insertion professionnelle. Elle n’est pas un but en soi, elle est un outil. Avoir un diplôme plus élevé est utile pour trouver un emploi plus qualifié, pour acquérir un niveau de compétences et de connaissances qui permettra à terme de s’adapter à l’évolution des métiers. Mais c’est bien toujours en se plaçant dans une perspective d’insertion professionnelle.

Rappeler la cohérence d’ensemble de l’enseignement professionnel, c’est aussi nécessairement expliciter son articulation avec la formation par apprentissage et, sans doute, lever un certain nombre de malentendus. Ne craignons pas que l’un fasse de l’ombre à l’autre. L’enseignement professionnel et l’apprentissage sont cousins, mais ne répondent pas toujours aux mêmes objectifs, ni au même projet des jeunes et de leur famille.

Avec l’apprentissage, un jeune choisit un métier, et le contenu de la formation est adapté spécifiquement à l’exercice de ce métier. Cela comporte des avantages : le jeune formé passe un long moment en entreprise ; il a déjà un « patron » ; il est presque sur le marché du travail ; il est rémunéré. Cela implique toutefois de savoir très jeune le métier que l’on veut exercer et de trouver une entreprise acceptant de signer un contrat d’apprentissage.

Avec l’enseignement professionnel, le jeune peut certes aussi choisir directement un métier, mais il choisit plus généralement plutôt un secteur professionnel dans lequel il va acquérir une formation lui permettant par la suite de choisir entre différents métiers. C’est en quelque sorte une orientation plus progressive.

Dans les deux cas, les élèves sont formés en alternance, alternant formation théorique et périodes en entreprise.

Permettez-moi d’illustrer ces complémentarités par quelques chiffres qui montrent bien qu’enseignement professionnel et apprentissage ne sont pas en concurrence et que nous avons besoin des deux : aujourd’hui, 9 bacheliers professionnels sur 10 sont formés en lycée professionnel. Au contraire, les 2/3 des élèves en CAP le passent par le biais de l’apprentissage. Il y a donc une spécialisation de fait. L’apprentissage forme un peu plus de 400 000 jeunes par an, et l’enseignement professionnel près de 700 000. Si les entreprises devaient soudainement accueillir 700 000 jeunes lycéens professionnels en contrats d’apprentissage, elles seraient bien en peine d’y parvenir. Je dis cela à ceux qui, dans l’opposition, prônent l’absorption de l’enseignement professionnel par l’apprentissage : ce n’est ni souhaitable, ni possible, et c’est méconnaître les logiques complémentaires mais différentes auxquelles répondent ces dispositifs.

Et c’est bien parce que vous avez compris l’importance de ces complémentarités que vous proposez à la fois des formations en section d’enseignement professionnel et des formations professionnelles au sein de votre lycée, le lycée François Rabelais.

J’en viens à la cohérence entre les enseignements généraux et les enseignements techniques, ce double attelage qui fait la spécificité de l’enseignement professionnel et qui en fait justement un atout immense pour notre pays face aux défis auxquels il est confronté.

Les jeunes que nous formons aujourd’hui devront, plus encore que les générations précédentes, être capables d’être mobiles professionnellement et géographiquement. C’est l’un des principaux défis que nous devons relever. Et c’est parce qu’il comprend à la fois des enseignements généraux et des enseignements techniques que le lycée professionnel prépare notre pays à relever des défis.

Une grande partie des jeunes que nous formons n’exerceront pas le même métier dans 25 ans. Les préparer à une mobilité professionnelle implique de leur transmettre une culture générale, une connaissance globale des réalités du monde, une ouverture. Parce que votre univers professionnel, chers élèves, ce n’est pas seulement Lyon, ce n’est pas seulement la région Rhône-Alpes, ou même la France. Votre univers professionnel de demain, ce sera le monde. S’y adapter nécessite des capacités d’adaptation, d’expression que les enseignements généraux apportés par les lycées professionnels permettent d’acquérir. Maîtriser les langages, savoir se positionner dans un monde en mouvement : ce sont des capacités qu’il n’était peut-être pas aussi utiles d’avoir autrefois. Et c’est pourquoi je ne crois pas qu’il faille, en lycée professionnel, faire du Français technique, de l’histoire-géographie technique… Je crois au contraire qu’il est essentiel de se placer dans une perspective d’enseignement généraliste de même exigence que pour les autres voies d’enseignement et qui concourent aux mêmes objectifs : permettre aux jeunes de se positionner dans un monde en mouvement. C’est aussi comme cela que nous remplirons notre objectif d’insertion professionnelle à long terme des lycéens professionnels : en leur donnant les armes pour s’adapter à la société de demain. Nous sommes à ma connaissance le seul pays au monde où tous les élèves de lycée professionnel se voient délivrer un enseignement obligatoire d’histoire-géographie. Je crois que c’est aussi cela, être fiers de notre enseignement professionnel : c’est donner les outils aux jeunes pour oser la mobilité ! Parce que l’enfermement géographique est l’ennemi numéro 1 de la jeunesse.

Voilà à mon sens les besoins essentiels de notre pays auxquels répond l’enseignement professionnel : répondre aux besoins des entreprises en métiers dont elles ont besoin, permettre aux jeunes d’accéder à un métier, et leur donner la culture générale et le bagage nécessaire pour être capable d’être mobiles, adaptables, et d’accompagner les mouvements de la société. Ce sont les défis auxquels la France est confrontée et ces défis, elle ne pourra pas les relever sans l’enseignement professionnel.

Alors, j’entendais récemment les préoccupations de certains qui craignaient que l’enseignement professionnel n’ait été le grand oublié de la refondation de l’Ecole. Je tiens à la rassurer.

  1. L’enseignement professionnel, depuis 2012, n’a pas été oublié et le gouvernement a introduit des changements d’envergure.

Bien sûr, cela ne fait sans doute pas les gros titres. Les médias comme le grand public ont souvent un tropisme plus prononcé pour ce qu’ils connaissent le mieux, en tant qu’ancien élève ou que parent, et c’est bien naturel : l’école maternelle, le primaire, le collège…

Mais je tiens à le rappeler, le gouvernement a introduit des mesures qui, dans la durée, participeront en profondeur à changer le paysage de l’enseignement professionnel. Laissez-moi vous en rappeler quelques unes :

  • La création des campus des métiers et des qualifications, en 2013, et la mise en réseau d’établissements d’enseignement professionnel d’une même filière: pour mieux prendre en compte les besoins de long terme des filières économiques et rendre visible l’excellence de la voie professionnelle dans certains secteurs clefs, le gouvernement a lancé en 2013 puis développé l’an passé les campus des métiers et des qualifications. Dans un même pôle, se mêlent les formations en lycée professionnel, en apprentissage, dans les universités, les laboratoires de recherche, au service d’un secteur professionnel donné.

Ces campus des métiers et des qualifications, que nous avons créés, sont une chance pour les jeunes, une chance pour les entreprises et une chance pour les territoires.

Une chance pour les jeunes, parce qu’être formés au sein des pôles spécialisés que sont les campus est un atout sur leur CV et augmente leurs chances d’être recrutés.

Une chance pour les entreprises, parce que recruter un jeune formé dans un campus des métiers et des qualifications, c’est avoir la garantie que ce jeune a reçu une formation adaptée aux enjeux de la filière.

Une chance pour les territoires, parce que cela leur permet de renforcer leur attractivité en se spécialisant dans un secteur, comme Brest avec les industries de la mer, ou Clermont-Ferrand avec le numérique.

  • Deuxième mesure adoptée par le gouvernement et qui doit contribuer à revaloriser l’enseignement professionnel : la généralisation du Parcours Avenir. Ce parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde professionnel va permettre à chaque élève, dès la 6ème, d’être en contact avec le monde professionnel, avec différents types de métiers, et de faire son choix d’orientation en connaissance de cause. Dans ce Parcours Avenir, que nous venons de généraliser à cette rentrée, les élèves se verront présenter toutes les opportunités qu’offrent les lycées professionnels.
  • Troisième mesure importante : la création au collège d’un nouvel enseignement pratique interdisciplinaire consacré au monde professionnel, dès la rentrée 2016. Cela va aussi permettre de sensibiliser les élèves aux formations professionnelles qui peuvent s’offrir à eux dans l’Education nationale, en travaillant sur des projets concrets, dès le collège.
  • Quatrième mesure qui vous concerne directement : la généralisation des pôles de stages dans toutes les académies, qui doit permettre d’aider les établissements à mobiliser des stages pour les élèves qui n’ont pas encore trouvé d’entreprise d’accueil. Et la priorité que j’ai fixée aux pôles de stages, pour cette première année, c’est d’aider les établissements dans la recherche des PFMP, les périodes de formation en milieu professionnel. Bien sûr, il ne s’agit pas de déresponsabiliser les élèves, qui doivent chercher un stage par eux-mêmes. Il ne s’agit pas non plus de remettre en cause la responsabilité des professeurs de lycée professionnel dans la recherche des PFMP. L’objectif est bien de vous donner un outil supplémentaire pour trouver des entreprises lorsque vous avez épuisé les solutions qui étaient à votre disposition. Ces pôles ne seront pas des banques de stages, car nous avons vu en échangeant avec les entreprises et les académies que ce n’était pas nécessairement le plus efficace. Il s’agira de brigades au niveau des bassins d’éducation et de formation ou par filière professionnelle, au sein de chaque académie, capables de connaître finement les entreprises présentes autour de l’établissement et de lui venir en aide lorsqu’il n’a pas trouvé de stages pour tous ses élèves.
  • Cinquième mesure, et pas des moindres : nous avons créé une nouvelle indemnité annuelle de 300 euros pour les personnels enseignants des lycées professionnels, pour reconnaître votre rôle particulier dans la préparation des examens, comme pour les enseignants des lycées général et technologique. Cette indemnité, qui valorise votre engagement dans la préparation du baccalauréat professionnel et du CAP, entre en application dès cette rentrée ; elle sera revalorisée à 400 euros à la rentrée 2016 et elle a vocation à progresser.

Vous le voyez, nous avons donc déjà franchi des pas importants sur l’enseignement professionnel depuis le début de la mandature.

Bien sûr, je sais que certains auraient espéré un retour au baccalauréat professionnel en 4 ans. Je sais bien que cette réforme, antérieure à notre arrivée, ne s’est pas faite sans heurts. Je sais bien qu’elle vous a demandé, bien souvent, de repenser entièrement vos méthodes, votre pédagogie. Comment ne pas reconnaître l’inanité des modalités de sa mise en place par l’ancienne majorité ! Comment a-t-on pu réduire la durée du baccalauréat professionnel sans le mettre en lien avec la rénovation des diplômes, sans rénover dans le même temps les programmes de l’enseignement professionnel ?

Ce fait seul témoigne d’une méconnaissance, pour ne pas dire d’un mépris, des responsables politiques de l’époque envers l’enseignement professionnel, que je juge intolérable.

Mais elle est tout aussi intolérable cette idée qu’il y aurait certains jeunes aptes à passer le bac en 3 ans, et une voie tout entière qui n’en serait pas capable !

Et la meilleure réponse, ce sont les lycéens professionnels eux-mêmes qui nous la donnent.

Ils sont aujourd’hui 80,3% à obtenir le bac professionnel.

Ils s’en sortent très bien nos lycéens !

Je crois par conséquent qu’il nous faut à présent regarder de l’avant et avoir l’honnêteté de rappeler que le baccalauréat professionnel ne concernait qu’un nombre limité d’élèves, puisque pour nombre de ceux qui avaient choisi la voie professionnelle, le BEP était le couperet qui marquait la fin de leurs études. Il y avait là une déperdition majeure de talents. En 7 ans, on constate aujourd’hui une augmentation de près de 92% des effectifs en terminale professionnelle. Je crois qu’il faut s’en réjouir, comme il faut se réjouir que les bacheliers professionnels représentent aujourd’hui près de 30% de l’ensemble des bacheliers et qu’en 4 ans le nombre de bacheliers professionnels ait augmenté de 61%.

Alors oui, c’est vrai, le baccalauréat en trois ans nécessite aujourd’hui de s’adapter à un public qui arrive plus jeune au sein du lycée professionnel et des entreprises et qui n’a ni le même bagage, ni les mêmes besoins que les lycéens d’auparavant. Je vais y revenir, car nous devons tirer les conséquences de ces évolutions. Nous devons aussi être capables de voir les nuances, car au fond le parcours en 4 ans n’a pas totalement disparu. Il reste de fait possible pour les bons élèves de CAP qui passent ensuite directement en première professionnelle.

Je crois toutefois que les grands bouleversements qui ont secoué l’enseignement professionnel ces dernières années, parfois de manière violente, ne doivent pas conduire par réaction à un retour en arrière qui n’est ni possible, ni souhaitable.

  1. Pour autant, au-delà de ce qu’a accompli le gouvernement depuis 2012, je considère comme vous qu’il est désormais temps d’aller plus loin, et je souhaite que nous franchissions un pas supplémentaire.

Je n’ignore pas que vous êtes encore confrontés au quotidien à des difficultés qui touchent à votre cœur de métier. Ce n’est pas parce que je reconnais les qualités de l’enseignement professionnel que j’en ignore les difficultés.

Bien au contraire, je souhaite, d’ici la fin de mandature, tout mettre en œuvre pour les régler avec les moyens dont je dispose pour le faire.

Le bilan de la réforme des lycées que nous lancerons à l’automne sera l’occasion de se pencher plus précisément sur les conséquences du passage au bac pro en 3 ans, mais aussi sur le passage entre le CAP et le bac pro et sur l’impact de la réforme du lycée sur le CAP, qui est lui aussi au cœur de notre enseignement professionnel. La question spécifique de la seconde professionnelle sera examinée dans un autre cadre, sur lequel je vais revenir dans un instant.

J’ouvrirai, cette année, cinq chantiers sur l’enseignement professionnel.

Le premier, non le moindre, est d’offrir à l’enseignement professionnel une perspective à long terme.

Nous possédons, avec l’étude proposée par France Stratégie sur les métiers en 2022, d’un outil essentiel pour bâtir une offre de formation cohérente qui réponde aux besoins économiques sur le moyen terme.

Par cette étude, nous acquérons la hauteur nécessaire à l’établissement d’une véritable stratégie nationale, au-delà des travaux conduits entre les académies et leurs partenaires régionaux.

Cette stratégie doit se déployer sur le territoire national, et c’est le sens de la mission que j’ai décidé de confier à mes services : mettre en lien la cartographie des filières de la voie professionnelle et l’évolution à long terme des métiers qui composent ces filières.

Mais une perspective ne vaut rien, si elle ne trouve des relais concrets sur le terrain.

C’est pourquoi mon second chantier porte sur l’amélioration du fonctionnement, pour les enseignants comme pour les lycéens, de la première année de formation en lycée professionnel.

La seconde professionnelle est une année charnière pour réussir la suite de son parcours. Or, avec le bac pro en 3 ans, je le disais et vous le constatez à chaque rentrée, les élèves qui arrivent aujourd’hui au lycée sont plus jeunes qu’auparavant.

Ils ne maîtrisent pas toujours les codes de l’entreprise lorsqu’ils abordent leur premier PFMP et ont parfois besoin de plus d’accompagnement que par le passé.

C’est une difficulté pour les lycéens, qui peuvent se sentir perdus face à l’exigence de l’enseignement professionnel ; c’est une difficulté pour les enseignants qui doivent adapter leurs méthodes ; et ce n’est pas moins difficile pour les entreprises qui accueillent ces jeunes en formation.

Sur ce sujet, vos attentes sont à la fois fortes et légitimes.

Parce que je ne crois pas aux solutions qui émergent en chambre, je souhaite bâtir les solutions avec vous.

C’est pourquoi j’ai décidé de mettre en place, dès à présent, un groupe de travail sur la première année de formation en lycée professionnel, associant les partenaires sociaux, pilotée par mon cabinet et par la DGESCO, et qui devra me faire des propositions destinées à entrer en vigueur pour la rentrée 2016.

Le troisième chantier porte sur un sujet qui me tient tout autant à cœur, parce que j’entends de manière récurrente que c’est une difficulté et nous ne pouvons nous satisfaire de la situation actuelle ; je veux parler de la formation des PLP dans les ESPE.

Après la remise en place d’une formation des enseignants par les ESPE, ce qui était indispensable, nous avons connu les succès et les difficultés propres à toute innovation.

Je salue les premiers, je ne nie pas les secondes.

J’entends notamment ceux qui me disent que la formation dispensée ne tient pas forcément compte de la singularité du métier de professeur en Lycée professionnel.

Un premier groupe de travail s’est réuni cette année sur le sujet et a commencé à dresser un état des lieux de la situation. En s’appuyant sur ces travaux, je demande à l’Inspection générale de l’Education nationale et à l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la recherche de réfléchir à la pédagogie particulière et aux parcours de formations adaptés que les ESPE doivent pouvoir proposer au public spécifique que représentent les PLP, qu’il s’agisse de professionnels en reconversion ou des jeunes issus des filières professionnelles. Ces parcours doivent pouvoir débuter dès la rentrée 2016.

Mon quatrième chantier porte sur la réussite de l’orientation des élèves dans la voie professionnelle.

Pour cela, il ne faut pas seulement envisager le moment qui précède l’entrée dans la voie professionnelle, mais considérer que l’orientation se joue tout au long de celle-ci.

L’orientation ne se résume pas à un choix. Elle se construit aussi par les rencontres, par l’expérience.

Combien d’entre vous ont-ils fait l’expérience d’une rencontre décisive qui a profondément influencé votre existence dans un sens que vous n’aviez pas prévu ?

L’orientation n’est pas une fatalité, mais un devenir.

Pour cela, la voie professionnelle ne doit pas être un long corridor sans issues. Entre les différentes voies, les passerelles qui pour la plupart existent déjà doivent à présent fonctionner de manière effective, et ceci dans les deux sens : pas seulement de l’enseignement général vers l’enseignement professionnel, mais aussi de l’enseignement professionnel vers l’enseignement général.

Nous devons également travailler les moments de transition, entre le CAP et le baccalauréat professionnel, mais aussi entre le baccalauréat professionnel et l’enseignement supérieur. Le devenir des bacheliers professionnels est une problématique importante et croissante, j’en suis consciente, et c’est bien la raison pour laquelle j’ai demandé à Monsieur Lerminiaux d’y travailler plus spécifiquement. On ne peut pas se satisfaire du taux de réussite de 3% des bacheliers professionnels à l’université. D’un autre côté, on doit aussi pouvoir progresser sur le taux de réussite des bacheliers professionnels, de l’ordre de 50 %, dans les BTS. Il faut donc construire de vrais parcours de réussite pour les bacheliers professionnels.

Le cinquième chantier auquel je souhaite m’atteler, c’est de rendre visible ce que la voie professionnelle offre de meilleur.

Parce que dans le regard des autres, parfois, ce que l’on ne montre pas n’existe pas, je crois sincèrement que nous devons mieux donner à voir ce que savent faire nos lycées professionnels.

Si nous ne sommes pas fiers de nous-mêmes, personne ne le sera à notre place. C’est la tête haute que nous devons parler de nos lycées professionnels.

Non par auto-conviction, mais parce que c’est une réalité : vous qui étudiez au lycée François Rabelais, ce sont vos métiers qui font la France.

Nous devons dire avec fierté à la France que l’enseignement professionnel, c’est l’exigence, la compétence, et la diversité.

Cette exigence est vécue au quotidien par les lycéens professionnels.

On vous demande d’avoir un projet précis à 15, 16 ans, là où ceux qui suivent la voie générale ont encore quelques années pour choisir un métier ou un secteur professionnel.

On vous demande de vous adapter à 15, 16 ans aux codes du monde du travail, quand certains, à vingt ans passés, n’ont jamais vu fonctionner une entreprise.

Dans vos métiers, la moyenne n’existe pas. Une pâtisserie est réussie ou ne l’est pas. Une table est bien dressée ou ne l’est pas. Dans la région lyonnaise vous savez mieux qu’ailleurs l’excellence des métiers de bouche, de l’hôtellerie, de la restauration et combien ces secteurs d’activité sont désormais concurrentiels à l’échelle internationale.

L’enseignement professionnel, c’est aussi la compétence.

Combien d’heures, de jours, de semaines, avant de posséder la dextérité requise pour le dressage d’une assiette, pour faire une julienne de carottes, ou pour la découpe d’une planche, puisque certains parmi vous se consacrent aux métiers du bois.

Mais quelle fierté aussi, lorsqu’à la maladresse des débuts succède la précision du geste, lorsque ce qui vous prenait trois heures hier se résout désormais en quelques minutes !

C’est une réussite qui repose d’une part, sur votre travail et vos efforts, et d’autre part, sur les équipes pédagogiques, les enseignants du lycée et les tuteurs en entreprise.

Car la compétence est aussi celle de ceux qui vous forment. Ce sont eux qui, par leur exigence et leur professionnalisme, vous permettent de devenir à votre tour, après l’obtention de votre CAP ou de votre baccalauréat, des professionnels.

Le rôle et le travail considérable que mènent chaque jour les équipes des lycées professionnels, nous devons aussi le donner à voir aux Français.

Et l’enseignement professionnel est aussi profondément marqué par sa diversité.

Diversité des jeunes et des professionnels qui la composent, diversité de leurs aspirations, des raisons qui les ont conduits ici.

Diversité des parcours, entre CAP et bac professionnel, entre secteurs professionnels, de la chaudronnerie jusqu’à la gestion-administration, en passant par l’élevage canin ou les prothèses dentaires.

Cette diversité est une force. Nous devons en être fiers et nous devons la montrer. La valoriser.

Ce que nous savons faire, ce que vous savez faire, c’est à nous qu’il appartient de le faire savoir, et j’ai décidé pour cela de me saisir du trentième anniversaire du baccalauréat professionnel pour célébrer et mettre en lumière, tout au long de cette année scolaire, les lycées professionnels.

Vous aurez votre rôle à jouer, chers lycéens, en participant au concours « Je filme mon lycée pro » qui débutera après les vacances de la Toussaint. Vous avez carte blanche !

Les personnels des établissements seront également mobilisés dans leur ensemble, puisque des journées nationales portes ouvertes de tous les lycées professionnels de France seront organisées les 29 et 30 janvier prochains. Nous ouvrirons les portes des lycées professionnels aux parents, aux élèves de toutes les voies, aux entreprises, aux professeurs principaux des classes de 3ème, également, car ils jouent un rôle fondamental au moment de l’orientation en fin de collège. Les établissements organiseront dans toute la France, à cette occasion, des animations. Ils feront venir des anciens élèves qui témoigneront de leurs réussites.

Et je prendrai toute ma part à cette mise en valeur des lycées professionnels en effectuant de nombreux déplacements dans les lycées professionnels à partir de janvier. La période de réserve liée aux élections régionales sera en effet terminée et je pourrai ainsi largement associer les partenaires essentiels que sont pour nous les Régions sur l’enseignement professionnel.

Mais l’enseignement professionnel, vous le savez, ce n’est pas uniquement un lieu.

Il se traduit aussi concrètement dans les réalisations de ses élèves.

Une exposition sera organisée en mai 2016 à Paris, au cours de laquelle les réalisations et les compétences des lycéens professionnels des secteurs industriel et tertiaire seront présentées. Et je souhaite que cette exposition soit déclinée, partout en France, dans les campus des métiers et des qualifications, qui pourront mettre en lumière les spécificités de chaque filière économique à laquelle forme l’enseignement professionnel.

***

Chers amis, pour tout ces chantiers, nous avons besoin les uns des autres ; j’ai besoin de vous.

Pour qu’à la méconnaissance de l’enseignement professionnel, succède sa connaissance, et, surtout, sa reconnaissance.

Je déclare donc l’année des 30 ans du bac pro officiellement ouverte !

Vive l’École de la République, vive l’enseignement professionnel, et vive la France !

Najat Vallaud-Belkacem,
Ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur
et de la Recherche


Photo © Philippe Devernay / MENESR

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Un commentaire sur 30 ans du Bac pro : Discours sur l’Enseignement professionnel

  1. Corres.bey

    Maîtriser les langages, savoir se positionner dans un monde en mouvement : ce sont des capacités qu’il n’était peut-être pas aussi utiles d’avoir autrefois. […] : c’est donner les outils aux jeunes pour oser la mobilité ! Parce que l’enfermement géographique est l’ennemi numéro 1 de la jeunesse.

    Ce sont vos mots, bien vagues: langages, langues, que voulez vous dire exactement?? En tous cas, je vous le demande: qu’en est-il de l’enseignement des langues vivantes pour les jeunes des bac professionnels, des aides à la mobilité internationale? Je n’ai rien vu de tel dans votre discours de rentrée…
    Mais il est vrai que des langues vivantes, vous l’avez déjà expliqué et rabâché à l’envi, c’est désormais à l’école élémentaire de s’en occuper!…

    Madame la Ministre, les professeurs de langues sont toujours très en colère, les vacances d’été ne les ont calmé, il s’agit maintenant d’une colère froide, et ils vous le montreront.

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