Nous avons aussi besoin que les entreprises s’impliquent à l’école – Entretien aux Echos

Éducation nationale Publié le 2 décembre 2015

Objectif insertion professionnelle. Ce mercredi 2 décembre 2015, le journal Les Échos publie un entretien avec la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Najat Vallaud-Belkacem, sur le rapprochement nécessaire entre l’École et le monde professionnel. « Comment imaginer une bonne insertion dans un environnement dont on ne connaîtrait rien ? », explique ainsi la ministre au moment de présenter plusieurs mesures visant à rapprocher École-Entreprises.

Retrouvez ici l’entretien publié par Les Échos :

Le gouvernement s’était engagé à rapprocher l’école de l’entreprise. Où en est-on ?
Plusieurs choses ont été faites, comme par exemple les 31 campus des métiers et des qualifications. Ce sont des outils formidables que je compte encore développer avec les régions. Plus généralement, sur le rapprochement école-entreprise, de très nombreuses initiatives existent. Mais, globalement, elles sont protéiformes, et pas toutes très lisibles. J’ai donc souhaité avoir désormais un pilotage national et une évaluation systématique des dispositifs. Cela nous permettra d’identifier les bonnes pratiques locales, qui méritent d’être généralisées. Par exemple, les comités locaux école-entreprise (CLEE) existent dans 16 académies. Ils vont être étendus aux 14 autres à partir de la rentrée prochaine. La relation école-entreprise est une responsabilité partagée de l’école et des entreprises : nous pouvons faire un bout du chemin, mais nous avons aussi besoin que les entreprises acceptent de s’impliquer, dans l’accueil de stagiaires par exemple.

Quelles initiatives locales méritent de faire l’objet d’une politique nationale ?
S’agissant du stage de 3e, par exemple : son utilité est avérée, mais pour qu’il soit pleinement utile aux élèves, il faut en améliorer la préparation. Dans certaines académies, les élèves sont systématiquement préparés à leur stage de 3e, dans d’autres non. Toutes le feront désormais. Ensuite, beaucoup d’entreprises ne se sentent pas assez outillées pour bien accueillir ces jeunes. Nous allons créer un MOOC pour aider les tuteurs de stage à le faire et à définir le contenu du stage. Enfin, nous allons étaler ces stages de 3e sur l’ensemble de l’année scolaire.

Mais certains élèves ont du mal à trouver des stages…
Oui. C’est, depuis des années, un vrai défi pour notre système scolaire. Nous avons créé depuis septembre des pôles de stage (il y en aura 330) qui vont pouvoir se déployer partout sur le territoire. Ce sont des « brigades » constituées de plusieurs chefs d’établissement et chefs de travaux, installées à l’échelle d’un bassin d’emploi, et destinées à trouver des stages à ceux qui n’ont pas de réseau personnel. Chacun de ces pôles se verra renforcé de deux jeunes en service civique dans les mois à venir. Ce sont ainsi 660 jeunes qui vont se déployer dans les 330 pôles pour démarcher les entreprises, nouer des partenariats, etc.

Le stage de 3e est maintenu, mais pas la « découverte professionnelle 3 heures »…
Elle a été remplacée par le parcours Avenir, qui est également entré en vigueur en septembre. Contrairement au dispositif précédent, ce parcours s’adresse à tous les élèves, de la sixième à la terminale. Et il n’est pas optionnel. Il se manifeste sous deux formes : une dimension disciplinaire – nous proposons aux enseignants des outils pédagogiques pour que, par exemple, un professeur de français comme d’anglais soit capable de proposer à ses élèves des exercices autour du monde professionnel. Et une dimension « rencontre avec le monde professionnel » : notre objectif est que chaque élève, pendant sa scolarité au collège, puisse avoir accès au moins à une visite d’entreprise, une rencontre avec un professionnel, un stage et un projet concret de type mini-entreprise ou concours. La réforme du collège qui prévoit un nouvel enseignement pratique interdisciplinaire consacré au monde économique et professionnel permettra d’y parvenir. L’objectif est de faire découvrir aux élèves le maximum de facettes du monde professionnel et, ainsi, de préparer sereinement la réflexion sur les ambitions et l’orientation. Il est important de ne pas attendre la classe de 3e pour sommer les élèves de choisir leur voie.

Et pour les lycéens ?
Le parcours Avenir se poursuit jusqu’à la classe de terminale. Il aura une coloration différente. Pour améliorer cette relation dans tous les lycées et tous les collèges, les chefs d’établissement et les inspecteurs bénéficieront désormais d’un parcours complet de formation de 56 heures pour apprendre à nouer des partenariats avec les entreprises et mettre à jour leur connaissance des métiers et des organisations. Sur ces 56 heures, un stage obligatoire d’une semaine (35 heures) en entreprise viendra alimenter ce parcours de formation.

Allez-vous détacher les enseignants en entreprise un à six mois, comme le propose un récent rapport ?
Même si l’idée est séduisante, il paraît difficile de les détacher aussi longtemps. Nous allons créer un module de formation continue, optionnel, dédié à l’esprit d’entreprendre. Par ailleurs, nous allons aussi puiser dans la réserve citoyenne qui offre la possibilité, à des gens de bonne volonté, aux salariés des entreprises, de venir faire partager leur parcours ou leur expérience. Enfin, les 4.500 conseillers de l’enseignement technologique (un dispositif très ancien composé de jeunes retraités bénévoles) seront également mobilisés, par exemple pour accompagner les élèves dans leurs projets de mini-entreprise.

Vous avez signé une convention avec PSA Peugeot-Citroën que vous qualifiez de « symbole » de la relation école-entreprise…
Au niveau national, on a une trentaine d’accords-cadres et environ 25 conventions avec des entreprises ou des branches professionnelles. Ce qui est très intéressant, dans cette convention que nous venons de renouveler avec PSA comme dans celles que je prépare avec GRDF ou Renault, ou que je viens de signer avec CISCO, c’est qu’elles sont l’occasion d’associer les entreprises à chacune des nouveautés que j’évoquais : ainsi, on retrouve dans ces partenariats leur participation aux pôles de stage, au parcours avenir, ou encore aux comités locaux école-entreprise à l’échelle de leur territoire. Par ailleurs, ce sont autant d’opportunités pour les établissements (notamment professionnels) de se voir mis à disposition des équipements, informés des dernières évolutions technologiques et bénéficier d’une filière de recrutement pour leurs élèves…

Ne craignez-vous pas les critiques sur le fait que vous laissez entrer l’entreprise à l’école ?
Non. L’école, pour moi, doit avoir un horizon plus vaste que la porte de la classe. Sa mission, d’ailleurs, l’y oblige, elle qui doit – c’est l’article 1er du code de l’éducation- « permettre à chacun de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation, d’exercer sa citoyenneté… Mais aussi de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle ». Comment imaginer une bonne insertion dans un environnement dont on ne connaîtrait rien ? Ces partenariats avec des entreprises et des branches d’activité sont bien sûr une opportunité pour les élèves comme pour l’Éducation nationale. Qui plus est, ils permettent une connaissance véritablement réciproque, c’est-à-dire aussi aux professionnels des entreprises, de porter un regard plus éclairé sur la réalité (et donc l’extraordinaire richesse) de l’Education nationale, de mieux la comprendre loin des jugements hâtifs, et généralement d’en sortir pleins de bonne volonté à travailler main dans la main, tant il est vrai que comme pour beaucoup des missions confiées à l’école, cette dernière ne peut pas tout porter seule et a besoin de partenaires qui œuvrent dans le même sens pour y arriver.

PSA dit vouloir « faire évoluer les modules pédagogiques » : cela ne risque-t-il pas d’inquiéter certains enseignants ?
Il faut arrêter de penser que l’Éducation nationale construit ses diplômes professionnels – et donc les modules pédagogiques – seule dans son coin, de façon complètement éthérée. On a, fort heureusement, développé un travail en commun dans le cadre des commissions professionnelles consultatives depuis plusieurs années et nous ne cessons de l’enrichir. Donc ce n’est pas un gros mot que de dire que le monde professionnel est là aussi pour dire quels sont ses besoins, et qu’on adapte nos diplômes pour mieux outiller nos jeunes. Ce qui ne veut pas dire qu’on va devenir l’école de PSA, qui n’est qu’un partenaire parmi d’autres – je m’apprête d’ailleurs à signer une autre convention avec Renault. Le grand avantage de nos formations professionnelles, on ne le dit pas assez, c’est qu’elles développent chez nos jeunes la maîtrise des gestes professionnels (en cela, bénéficier des dernières techniques mises au point par nos grandes entreprises est évidemment un plus) mais aussi une culture générale (avec un programme qui n’est le fait que de la seule Education nationale), indispensable dans un monde professionnel en constante évolution.

Adhérez-vous à l’idée du ministre de l’Économie Emmanuel Macron de déréglementer l’accès à certaines professions qui seraient de fait accessibles sans diplôme ?
Il a depuis précisé son propos et c’est tant mieux. Le message aux jeunes doit être clair et porté collectivement : l’accès à une qualification professionnelle reconnue par un diplôme est une garantie d’insertion, ce n’est pas un frein. Pour les jeunes, c’est une garantie qu’ils maîtriseront les compétences requises par les entreprises et qu’ils pourront faire valoir ces compétences ailleurs s’ils changent de travail. Pour les professionnels, c’est une garantie de qualité et même d’excellence dans un contexte où tous les métiers augmentent en technicité. Pour les consommateurs, c’est une garantie de sécurité. N’allons donc surtout pas inciter les jeunes à « zapper » l’étape du diplôme pour entrer dans un métier.

Téléchargez le dossier de présentation des mesures visant à développer les relations école-entreprise :

20151202-DP-Rapprocher-école-entreprise


Propos recueillis par Marie-Christine Corbier pour le journal Les Échos.
Photo de Une :
Signature du partenariat Éducation nationale – Groupe PSA – © Philippe Devernay / MENESR.

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