“L’école entre révélation et élévation” – Discours de Najat Vallaud-Belkacem aux Controverses de Descartes

Éducation nationale Publié le 19 mars 2016


“L’école entre révélation et élévation”. C’était le thème des Controverses de Descartes qui se tenaient ce 19 mars 2016 au Centre Universitaire des Saints-Pères à Paris. Retrouvez ici le discours d’ouverture de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Participation de la ministre Najat VALLAUD-BELKACEM, aux Controverses de Descartes, au Centre universitaire des Saints-Pères - PARIS 6ième, le samedi 19 mars 2016 - © Philippe DEVERNAY

Monsieur le Recteur de Paris, cher François Weil,
Madame la vice-présidente,
Monsieur Bentolila, cher Alain,
Mesdames et messieurs les participantes et les participants à cette journée,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,

Ces controverses devaient initialement se tenir le 21 novembre dernier. Elles ont, après le 13 novembre, été reportées, et se tiennent finalement aujourd’hui.

Je suis donc heureuse de pouvoir donc les ouvrir avec vous, parce que le fait même qu’elles se tiennent, nous rappellent, dans le contexte actuel, quelque chose d’important.

Nous avons été, en janvier 2015, puis en novembre dernier, bouleversés, atteints, blessés. Mais les troubles du temps ne doivent pas troubler la pensée et la réflexion. Ce déluge de haine et de violence ne doit pas obscurcir les esprits.

Au contraire, au cœur des événements douloureux que nous vivons, nos esprits doivent conserver l’exigence, la rigueur et la lucidité qui sont d’autant plus nécessaires que nous sommes si profondément touchés.

Oui, malgré les crises que nous traversons, notre esprit doit rester ferme. Ferme sur nos principes, ferme sur nos convictions, ferme sur nos valeurs.

C’est pour cela que je tiens, aujourd’hui, dans ce lieu de pensée, d’échanges et de réflexion, profondément démocratique, à rappeler les principes qui sont ceux de l’École de la République.

Ces principes conservent une même importance, depuis la fondation de l’École de la République. Mais quelque chose a bien changé, depuis le 11 janvier, et depuis ce vendredi 13 novembre. C’est l’intensité avec laquelle cette importance est ressentie par chacune et chacun d’entre nous.

Ces principes, quelle relation entretiennent-ils avec les termes que vous avez choisis de discuter aujourd’hui dans ces controverses : révélation et élévation ?

Ces deux mots – et connaissant votre goût de la langue française, je sais que ce n’est nullement un hasard – ont un sens à la fois profondément religieux, et en même temps profane.

Mais nous sentons bien ce qui sépare une révélation divine et les révélations promises en couverture d’un magazine à sensations, qui vous dira tout des dernières aventures amoureuses d’une star quelconque.

Nous savons aussi que, dans une cérémonie religieuse, l’élévation ne présente que peu de rapport avec le sentiment ressenti par l’usager quotidien d’un ascenseur. Les mots, au fil du temps, changent de domaines, de territoires, et de lieux.

Que deviennent alors ces deux termes lorsqu’on les applique à l’École ? On pourrait être tenté de dire que l’Ecole n’est ni une révélation, ni une élévation, mais vous avouerez qu’il serait dommage qu’une aussi belle journée s’arrête aussi abruptement.

Et parce que je sais que la controverse suppose un parti-pris, le parti que je choisirai spontanément serait celui de l’élévation, par opposition à la révélation.

Le mot de révélation suppose un dévoilement soudain. Il y avait un élément inconnu : et voici que celui-ci est porté à notre connaissance.

L’élévation, à mon sens, suppose un processus qui se développe dans le temps, plus ou moins longuement. Il s’inscrit dans la continuité d’un devenir.

Or ce qui se joue à l’école n’est pas l’irruption soudaine d’une connaissance, une illumination.

J’ai, comme beaucoup d’entre nous, bien sûr rêvé, un jour, en tant qu’élève, à cette pilule magique qui donnerait immédiatement accès à l’ensemble du savoir universel.

J’ai attendu impatiemment les progrès de la science, pour qu’enfin une machine que l’on brancherait pendant son sommeil, me permette d’apprendre en une nuit l’ensemble des langues du monde.

Mais un tel rêve – et ce n’est donc pas par hasard qu’il se forme souvent sur les bancs de l’Ecole – s’oppose au temps même du devenir, qui est celui de l’école.

Celle-ci ne transforme pas. Elle ne métamorphose pas : elle forme. C’est bien différent. On pourrait dire au fond, de la scolarité, ce que l’on dit du voyage : c’est moins la destination que le chemin qui y mène qui est essentiel.

Temps long et complexité : telles sont les caractéristiques de l’école. L’élévation qui s’y produit n’est donc pas une montée fulgurante mais bien la marche lente mais assurée de celui qui gravit des montagnes.

Si la foi les déplace, l’école les gravit. Et dans cette élévation, l’école s’oppose frontalement à la logique qui est celle de la révélation.

Une école qui élève est d’abord une école qui crée, pour chacune et chacun d’entre nous, les conditions de cette élévation.

Tout architecte vous le dira : rien ne s’érige sans fondations solides et profondes. Quelles sont donc les assises de l’élévation de l’élève ? Ce sont nos valeurs, et parmi celles-ci, la laïcité, cadre juridique de notre vivre ensemble.

Elle donne à toutes et à tous la possibilité d’entrer au sein de l’école. L’école accueille tous les enfants, sans distinction, et préserve une liberté précieuse, celle de croire ou de ne pas croire. Une liberté qui entraîne une seconde distinction fondamentale : celle du savoir et de la croyance.

Je ne vais pas ici vous redire l’histoire parfois tourmentée, parfois apaisée, des relations du savoir et de la croyance.

La figure tutélaire de Descartes suffit à nous rappeler l’union qui s’effectua parfois sous la plume de certains. Son argument ontologique est célèbre et fera l’objet, à un siècle d’écart, d’une controverse avec Kant, ce même Kant qui s’efforcera de penser La Religion dans les limites de la Simple Raison.

Entre croyance et science, l’histoire a souvent façonné des liens, même si Pascal – lui-même savant – nous rappelle l’ambiguïté de cette union, en distinguant « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », et l’oppose au « Dieu des philosophes et des savants ».

L’Ecole est donc un lieu de science. Un lieu de savoir. Des savoirs qui ont pour caractéristique première d’être constitués, fabriqués. Oui, ils ne nous ont pas été donnés un beau matin, mais ils se sont édifiés au fil des siècles, au fil de l’histoire de l’humanité.

Ils sont produits selon des règles, des pratiques et des usages qui régissent la communauté scientifique, et, en ce sens, on pourrait dire de toutes les sciences qu’elles sont des sciences humaines.

Les connaissances évoluent, progressent et s’accroissent précisément pour cette raison. Elles sont le fruit d’un travail scientifique, celui de ceux que Bachelard nomme « les travailleurs de la preuve ». La science plonge ses racines dans notre humanité, et, au sein de celle-ci, dans cette émotion que Socrate déclara être la principale vertu du philosophe : l’étonnement.

Et cet étonnement, on le retrouve aussi dans l’œuvre de Descartes mais sous un autre nom, dont le sens a aujourd’hui évolué, qui est « l’admiration ». L’admiration, première de toutes les passions, selon celui qui accorde un patronage encore bien plus haut que le mien à cette journée.

L’étonnement, vertu du philosophe, donc, et j’ajouterai sans peine, et du savant.

Oui, si vous examinez une découverte scientifique, au-delà des formules mathématiques et des imposants volumes, vous trouverez, à son origine, un étonnement.

Telle est la qualité du savant. Si assoupie sous un arbre je reçois une pomme sur la tête, ma réaction ne se fera pas attendre : j’irai m’asseoir sous un autre arbre. Newton, lui, s’étonne. Pourquoi tombe-t-elle ? Elle était bien accrochée à la branche, et la voici à terre. Que s’est-il passé ?

Les anecdotes sur l’histoire des sciences et des arts, vraies ou fausses, ont l’étonnement en partage. C’est l’étonnement d’Archimède, qui ne fut pourtant pas le premier homme à prendre un bain. C’est celui d’Aristote face aux spectacles de son époque, qui s’interroge : comment pouvons-nous prendre plaisir à la représentation de choses qui dans la vie nous dégouteraient ?

Et cet étonnement donne naissance à La Poétique. C’est cet étonnement qu’un enseignant s’efforce de susciter chez ses élèves, pour les emmener sur les chemins empruntés par les femmes et les hommes qui nous ont précédé, et qui nous ont laissé, par leurs écrits et leurs découvertes, un héritage qu’il nous appartient de transmettre.

Si j’insiste sur cette source émotionnelle du savoir, c’est pour rappeler que l’élévation que permet l’école plonge ses racines dans notre humanité. Et cette humanité fonde la communauté scolaire.

Par la laïcité, un choix fondamental est fait : donner une même place à chacune et à chacun, à celui qui croyait au ciel comme à celui qui n’y croyait pas.

Non en ignorant l’individualité et la singularité de chaque élève : mais en faisant fond sur ce qui les rassemble. Oui, les connaissances, les savoirs et la culture nous rassemblent.

Ils n’empêchent ni le débat, ni la controverse, mais leur donnent un cadre rationnel. Et dans ce cadre rationnel, nous pouvons, et même, en un sens, nous devons, étant l’époque dans laquelle nous vivons, inscrire aussi la religion.

C’est justement pour cette raison que nous consacrons à ce sujet un enseignement laïc du fait religieux. Pour que nos élèves apprennent aussi à distinguer la connaissance et la croyance, et à reconnaître en eux-mêmes quand ils savent, et quand ils croient.

La croyance supporte mal la discussion. L’argumentation. La révélation, par définition, ne s’enseigne pas. Elle est immédiate et s’impose à l’esprit : on a une révélation ou on en a pas. Point d’entre deux, ni de demi-mesure. Aucune place n’est laissée au temps long de l’enquête, de la confrontation, de la recherche de preuve et d’expérimentation.

Lorsque des tableaux représentent un saint qui a une révélation, ce n’est pas dans une salle de classe, mais sur un chemin, généralement celui de Damas, et son regard tourné vers les cieux nous dit qu’il se passe quelque chose d’indicible. D’inexprimable. Qui est aussi, en sens, au-delà de l’argumentation.

Mais ce tableau nous dit aussi beaucoup sur la conception que se fait de la religion l’artiste, et l’époque dans laquelle il s’inscrit. Ce tableau, pour être religieux, n’en reste pas moins susceptible d’être interprété, expliqué, replacé dans le temps et dans l’histoire.

L’école doit donc aussi, en tant que lieu de savoir, aborder, avec nos élèves, cette question fondamentale. Il ne s’agit en aucun cas de leur interdire de croire. Mais de leur donner des repères. De proposer une appréhension dépassionnée de cette question qui, dans le contexte actuel, est brûlante.

Et nous combattrons ainsi les confusions et les remises en cause indues dont souffrent nos enseignants.

D’ailleurs, le terme de révélation recouvre aujourd’hui un autre domaine particulièrement préoccupant : celui des théories complotistes, des méthodes de propagandes et de désinformations qui sapent les savoirs et les connaissances qui sont au cœur de nos enseignements.

La propagande et les thèses complotistes, profondément liées, ne cessent de se réclamer d’une « révélation ». Elles supposent quelque chose de caché, de masqué, qui va soudain être révélé.

C’est une logique qui a son efficacité : si vous amenez, devant une assemblée, même ici, une boîte, avec un grand point d’interrogation dessus, ou, encore plus intriguant, un panneau « ne pas ouvrir », combiens dans le public sentent naître en eux un irrésistible désir de savoir.

La seconde force de la révélation, c’est qu’elle distingue celui à qui elle est faite. Elle le place parmi les élus. Et c’est un sentiment là aussi très agréable. Qui n’a pas envie d’être élu ?

Et je ne parle pas des élections démocratiques qui n’ont, de la révélation, ni la soudaineté, ni l’immédiateté, mais qui demandent elles aussi un long travail.

La révélation est donc une stratégie très efficace, et elle fonctionne pleinement sur internet, et ne cesse d’exercer, sur nos élèves, une profonde fascination. Une fascination contre laquelle il est difficile, et pourtant absolument nécessaire, de lutter.

Et le plus délicat est que la propagande joue sur ce ressort si humain que j’évoquais en parlant de l’élévation : celui de l’étonnement. Mais là où les faits engendrent l’étonnement d’où naissent les savoirs, la propagande vous impose un étonnement artificiel, faussé.

Non plus sur des faits, mais sur une fiction que l’on donne pour réelle. D’où ces vidéos truquées, ces photos trafiquées, et cette logique complotiste ramène même à la surface des faux que l’on croyait depuis longtemps oubliés, comme le Protocole des Sages de Sion.

Reconnaître la séduction et le mécanisme pervers d’une telle propagande est essentiel. Justement pour mettre en place cette dynamique d’élévation. C’est ce que nous faisons par exemple à travers l’éducation aux médias et à l’information, où nous donnons aux élèves des réflexes et un recul non seulement à travers des enseignements théoriques mais aussi grâce à la pratique, en développant notamment les médias lycéens.

Mais l’élévation, à l’Ecole, va bien au-delà. Elle élève l’élève au-delà de lui-même, de son expérience quotidienne.

Par l’histoire et la géographie, il s’élève au-dessus de l’ici et maintenant dans lequel se déploie son expérience quotidienne. Par la littérature et les arts, il va au-delà de lui-même, s’ouvre à d’autres univers, à d’autres modes de pensées. Et par les sciences, il va aussi au-delà des sensations et des impressions, pour comprendre la logique qui sous-tend les phénomènes.

Mais en même temps, en abordant toutes ces dimensions, un doute me saisit. Et si le temps de la controverse où s’impose la défense d’une opinion n’était pas dépassé ?

Après tout, à la lecture de votre programme, il y a une chose qui me frappe. L’importance qu’y prend la préposition « entre ». Et au-delà du titre même de l’événement, la plupart de vos controverses la convoquent : « La lecture entre apprentissage et enseignement » ; « l’école entre croyances et connaissances ».

Et c’est un point auquel je suis très sensible. Nous sommes en effet dans une époque qui ne cesse de poser les problèmes en termes d’alternatives, sans compromis. Oui, à l’heure du buzz et du clash, de la polémique à outrance et du débat qui tourne à l’affrontement, on a le sentiment que toute conciliation tourne à la trahison.

Pour prendre un domaine dans lequel j’ai une certaine expérience, celui des réformes de l’école par exemple, il est toujours fascinant de constater que les polémiques sont une constante de l’histoire de l’Ecole en France.

Et l’élévation que permet la perspective historique, laisse alors voir une situation moins tranchée qu’il n’y paraît au premier abord.

A première vue, les débats sur l’école convoquent deux camps immuables : on a, d’un côté, les républicains, ou les néo-républicains, de l’autre les pédagogues.

Et chacun se réclame de champions bien distincts. C’est l’instruction contre l’éducation, c’est Alain contre Freinet, Condorcet contre Rabaud Saint-Etienne.

Mais ces camps si tranchés, laissent apparaître d’étranges divergences et de surprenantes convergences.

Celui qui se revendique d’Alain et de la tradition, vante les cours magistraux. Mais cette tradition, ne date que de la fin du XIXème siècle, et c’est une pratique qu’Alain condamne sans aménité, je cite :

« D’une leçon magistrale, il ne reste presque rien après huit jours, et après quinze jours, il ne reste rien du tout. C’est en récitant, en lisant, en copiant et recopiant que l’enfant retient à la fin quelque chose. »

Et Condorcet, chantre de l’instruction, n’évoque-t-il pas, au fond, l’éducation, lorsqu’il propose de faire naître une émulation qui « a pour principe des sentiments de bienveillance, et non des sentiments personnels, comme l’émulation des collèges. »

Voilà pourquoi je ne pense pas que l’on puisse aborder l’Ecole en donnant le sentiment qu’il faut forcément choisir : « l’enseignement ou l’apprentissage » ; « les connaissances ou les compétences » ; « les fondamentaux ou l’éducation artistique et culturelle ».

En effet, la langue française offre bien d’autres ressources. Et notamment il existe une conjonction de coordination qui vaudrait la peine d’être remise en avant.

Alors, je n’irais pas jusqu’à évoquer le « et/ou » cher à Roland Barthes, mais je pense, plus simplement, au « et » : « enseignement et apprentissage » ; « connaissances et compétences » ; « fondamentaux et éducation artistique et culturelle ».

Et donc, vous vous en doutez, non pas « élévation ou révélation », mais bien « élévation et révélation » !

La véritable mission de l’école laïque est en effet de transmettre aux jeunes intelligences qui lui sont confiées la nécessité d’un équilibre exigeant entre droits et devoirs intellectuels.

Droits d’exprimer librement sa pensée mais obligation de la soumettre à une critique sans complaisance ; droits de faire valoir ses convictions mais interdiction de manipuler le plus vulnérable ; droit d’affirmer ce que l’on croit vrai mais devoir d’en rechercher obstinément la pertinence ; droit de questionner ce que l’on apprend mais devoir de reconnaître la légitimité du maître ; droits enfin d’interpréter les discours et les textes mais devoir de respecter la volonté et les espoirs de l’auteur.

Cela s’appelle la probité intellectuelle ; elle ne s’apprend ni ne se récite. Elle se forge, elle se construit à travers les démarches d’apprentissage conduites par des enseignants à la fois exigeants et bienveillants.

Cela suppose à la fois que l’enseignant recueille les représentations et les idées que chacun de ses élèves se fait du texte proposé, ou du phénomène observé. Il accueille chaque interprétation, chaque hypothèse avec attention et bienveillance et en garde les traces précieuses dans leur diversité.

Mais il sait aussi que doit venir le temps de l’exigence, de l’observation rigoureuse et du savoir établi qui distingueront l’idée originale de l’obscurantisme.

Oui, nos enseignants possèdent des savoirs et maîtrisent des règles de comportements qu’un élève n’a pas encore intégrés. Tout ceci constitue ce qu’il a, en un sens à lui révéler. Non sous la forme d’une révélation soudaine et mystique, mais en lui dévoilant ce qu’il ne sait pas encore.

C’est pour cela qu’il ne s’agit, à aucun moment, et contrairement à ce que certains semblent penser, d’inverser la place du professeur, et celle de l’élève. L’élève est un élève. Le professeur un professeur.

Et c’est justement parce que nos enseignants sont forts de leur savoirs, de leurs connaissances et de leurs compétences, qu’ils peuvent aussi, pour équilibrer cette mission nécessaire de révélation des règles, des lois et des connaissances attestées, en remplir une autre : celle de compagnon de découverte.

Je dis bien de compagnon et non pas celle d’un guide aveuglément suivi. C’est-à-dire qu’il aura à susciter et à provoquer le questionnement, à encourager la formulation d’hypothèses, à veiller à leur vérification et enfin à accoucher les conclusions provisoires auxquelles l’élève aboutira.

Ainsi, c’est au bout d’un long chemin, sur lequel l’enseignant aura tantôt été le guide éclairé et tantôt le simple compagnon de route, que l’élève augmentera l’étendue de son savoir tout en renforçant son autonomie de penser.

La voilà la force de cette simple conjonction de coordination ! Révélation et élévation sont les deux voies complémentaires par lesquelles l’école accomplit son devoir de transmission.

Sur la première, le savoir est appris, par l’élève qui écoute son enseignant décrire et expliquer les phénomènes, le regarde réaliser une expérience. Son professeur lui révèle le monde et le savoir de façon pourrait-on dire verticale, prenant là le chemin le plus direct et le plus économe en temps et en paroles. Et c’est naturellement un moment important pour l’enfant, que cet enseignement qu’il reçoit.

Mais nous avons aussi besoin d’une seconde voie. Qui consolide. Qui complète. Qui ouvre, vers la connaissance, un autre chemin. Celui de l’élévation, où l’enfant est incité à apprendre en faisant.

Il réalise lui-même une expérience suggérée par une question initiale, suivie d’une tentative d’interprétation que viendra conclure une conclusion toujours provisoire.

On contribue donc à élever son intelligence, parce qu’il s’est engagé dans une démarche de découverte.

Accompagné par son maître, l’enfant va à la rencontre des faits comme il le fait chaque jour. Chaque jour l’enfant contemple, en se posant des questions, le mouvement des vagues ou les faits et gestes des insectes ou lit un livre qui entraîne ensuite cette éternelle question : pourquoi ?

C’est probablement là la plus ancienne pédagogie qui soit. Et l’on peut, sans grand risque, parier que notre lointain ancêtre apprenait la pêche à son enfant en l’emmenant à la rivière plutôt qu’en dessinant devant lui des poissons et des hameçons sur la paroi d’une grotte.

Mais en même temps, peut-être aussi que cet ancêtre lointain prenait, au retour de la pêche, le soin d’évoquer avec son enfant ce qui s’était passé le jour même.

On peut dire à un enfant « la glace fond à 0°C ». Il pourra même apprendre cela par cœur, et vous le réciter. Mais si nous voulons l’élever, nous pouvons aussi nous interroger sur la nature de la relation entre l’eau et la glace. Et l’on pourra alors inviter l’enfant à utiliser un thermomètre pour mesurer la température pendant la fonte des glaçons dans un bol.

Il constatera alors la constance de la température pendant toute l’opération.

Peut-être lui donnera-t-on aussi l’idée de comparer les vitesses de fusion des glaçons pour diverses matières les enveloppant. Et il sera étonné – je choisis ce mot à dessein – de constater que le glaçon fond moins vite dans la laine que dans la feuille d’aluminium. Et d’autant plus étonné que la laine, c’est chaud, et que l’aluminium, c’est froid.

Je ne vais pas développer cet exemple outre mesure, mais la connaissance, au sens strict, est la même. Oui, la glace fond à 0°. Mais l’on voit bien ce qui distingue ces deux approches.

Dans la première, on acquiert beaucoup de connaissance en peu de temps. Par contre la compréhension des phénomènes est plus limitée, voire nulle. Le constat est inverse dans la seconde : on apprend peu, sur un temps long, mais avec une compréhension plus profonde.

Les deux sont nécessaires. Nous devons donc pouvoir offrir à l’élève les avantages de deux approches. Oui, l’immense intérêt d’une démarche de découverte, l’importance d’un parcours de résolution de problème, ne doit jamais faire oublier le caractère indispensable d’un par-cœur bien compris.

Il ne s’agit pas de fabriquer un enfant qui n’aurait que la ‘’tête bien pleine’’ mais de veiller à ce qu’il ait une tête bien organisée, où ce futur adulte pourra trouver des repères définitivement acquis.

Un élève ne peut pas tout découvrir, il doit aussi apprendre, et retenir. Mais nous devons nous efforcer, constamment, de lier ces deux démarches, et cela, non seulement à l’école primaire, mais pendant l’ensemble de la scolarité.

Tout l’enjeu, aujourd’hui, au sein de l’Éducation Nationale doit être celui-ci : créer des liens.

Des échanges. Des dynamiques d’ensemble. Des dynamiques entre les savoirs, entre les disciplines, entre les élèves, entre les professeurs.

Oui, nous avons besoin de cohérence et de complémentarité. Parce qu’il n’existe pas une seule et unique façon d’enseigner. Les fondamentaux, justement parce qu’ils sont fondamentaux, peuvent se pratiquer de bien des façons, et notamment dans la conduite de projets collectifs ou dans le parcours d’Éducation Artistique.

Oui, il faut des cours de français. Oui, nous devons enseigner la langue. Mais il faut aussi la pratiquer, régulièrement, et la redécouvrir sous la plume de Corneille, pas uniquement en la lisant, mais en la jouant, sur scène, au plateau.

En variant les approches, nous consolidons les savoirs. Et nous répondons tout simplement à cette réalité fondamentale : l’École n’est pas seulement un lieu de savoir et de connaissance.

Elle est aussi un lieu de vie, de cette vie qui confère aux savoirs, aux connaissances, et aux compétences, tout leur sens, toute leur valeur, et tout leur éclat.

Je vous souhaite donc une excellente journée, de belles et grandes controverses, animées, vivantes, enrichissantes, et qui sachent conjuguer sereinement l’élévation et la révélation.

Je vous remercie.

 Najat Vallaud-Belkacem,
ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche


Photos © Philippe Devernay / MENESR

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Un commentaire sur “L’école entre révélation et élévation” – Discours de Najat Vallaud-Belkacem aux Controverses de Descartes

  1. Richard Hélène

    Bonjour madame,
    très joli discours “l’enseignant-compagnon” sur le papier cela fait rêver ! Mais il faudra renverser la table pour mettre ça en place.
    Dans les écoles alternatives (Montessori et autres)on connait bien cette notion mais dans l’éducation nationale tout est figé, sclérosé…
    J’ai un fils au collège, il s’ennuie beaucoup, malgré des professeurs motivés, les savoirs sont enseignés d’une façon tellement classique qui n’ont plus aucun lien avec la réalité des enfants d’aujourd’hui. Lorsque j’ai essayé d’échanger avec certains professeurs, ou le principal, sur l’organisation ou l’ennui de mon fils. J’ai ressenti que je commettais un véritable crime “les parents n’ont pas a donné des idées au corps enseignant” c’est pathétique. Au pire je peux assumer cela, mais certains professeurs ont fait des réflexions à mon fils sur ce que j’avais osé dire ! Pourtant individuellement je suis certaine que ce sont des gens intelligents, mais j’ai pu voir qu’ils ne savent pas travailler en intelligence collective et encore moins être à l’écoute.
    Je suis aussi intervenant en arts plastiques durant les TAP, et l’essentiel de mon travail je le fais à ouvrir les enfants à leur monde intérieur à leur liberté, leur responsabilité (tout celà en 3×1/4 d’heure) J’aurai beaucoup à dire à ce sujet aussi !
    Voilà un article intéressant qui résume bien la situation https://medium.com/ticket-for-change/6-raisons-qui-prouvent-que-l-%C3%A9cole-d-aujourd-hui-ne-nous-pr%C3%A9pare-pas-%C3%A0-la-soci%C3%A9t%C3%A9-de-demain-84dceec63316#.ihv4w014k

    La France est désespérante et très en retard voilà une nouvelle école en Suède (mais j’imagine que vous connaissez)http://sympa-sympa.com/inspiration-education/lecole-du-furtur-a-ouvert-ses-portes-en-finlande-11355/
    Parce que l’espace doit aussi être pensé !

    En conclusion si j’avais les moyens mon fils irait dans une école alternative ou pas à l’école du tout, quid de l’égalité ?
    Alors pour changer tout ça des réformettes à la marge ne feront pas avancer le schmilblick, il faudra oser passer par grand coup de balai…mais j’avoue que je n’y crois pas une seconde.
    Cordialement
    Hélène Richard

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