Discours d’installation du Réseau des Lieux de mémoire de la Shoah en France

Dans le cadre de la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme qui se tient du 21 au 28 mars, Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et Jean-Marc Todeschini, Secrétaire d’État auprès du Ministre de la Défense, chargé de la Mémoire et des Anciens Combattant, ont lancé le Réseau des Lieux de mémoire de la Shoah en France ce mercredi 23 mars.

Retrouvez ici le discours prononcé par Najat Vallaud-Belkacem lors de la cérémonie d’installation :

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Monsieur le Secrétaire d’État à la Mémoire et aux Anciens Combattants, cher Jean-Marc,
Monsieur le délégué interministériel chargé de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme,
Mesdames et messieurs les présidentes et les présidents fondateurs du Réseau des lieux de mémoire de la Shoah,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,

Après Bamako et Istanbul, le terrorisme a encore frappé. Hier, à Bruxelles des femmes, des hommes, et des enfants sont morts.

Comme à Paris, en 2015, mais aussi comme à Toulouse, il y a 4 ans, ils sont morts, frappés par une violence aveugle, frappés par un déferlement de haine, frappés au cœur de leur vie, au cœur de leur existence, au nom d’une idéologie mortifère.

Ces faits douloureux et dramatiques, nous rappellent malheureusement la justesse de la phrase qu’avait prononcée le Président de la République en novembre dernier, et que le premier ministre a reprise hier : nous sommes en guerre.

Certes, une guerre d’un genre nouveau, mais dont le nihilisme, le racisme, l’antisémitisme de ces assaillants ramènent inéluctablement aux heures les plus sombres de l’histoire européenne.

Oui, nos démocraties, nos valeurs, nos pays, sont frappés par le terrorisme islamiste, et dans ce déferlement de violence, c’est non seulement des vies qui sont brisées, mais la barbarie qui cherche à s’imposer, sur les décombres de valeurs si chèrement conquises et reconquises.

Voilà pourquoi, dans des temps troublés, nous ne devons pas laisser le trouble envahir nos esprits. Nous ne cédons pas. Nous ne nous compromettons pas. Nous luttons, et nous luttons avec fermeté, avec toutes les ressources de l’Etat de droit, mais aussi avec toutes les ressources de notre République.

Loin de nous fragiliser et de nous diviser, de tels actes doivent nous rassembler autour de nos valeurs communes.

Nos démocraties sont attaquées, et ce fait seul nécessite une mobilisation de chacune et de chacun d’entre nous.

Oui, face au terrorisme islamiste, je tiens à vous dire, et je sais à quel point c’est un enjeu qui nous rassemble, que nous ne laisserons pas la barbarie et l’inhumanité l’emporter sur l’humanisme.

Je souhaite donc vous demander de vous joindre à moi, pour accomplir, ensemble, une minute de silence en hommage aux victimes de ces attentats.

Je vous remercie.

J’aurais, vous vous en doutez, aimé vous accueillir dans un contexte moins douloureux.

Car c’est aujourd’hui une grande et belle initiative qui nous rassemble. Mais je crois aussi que les circonstances nous rappellent que nous avons aussi un besoin urgent de l’histoire et de la mémoire.

Accueillir, au sein de ce ministère de l’Éducation Nationale, l’installation du réseau des lieux de la mémoire de la Shoah en France fait donc profondément sens.

Cela fait sens d’abord parce que nous sommes au cœur de la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme que nous avons lancée avant-hier avec le Président de la République à la Cité de l’Histoire de l’immigration, et nous nous rendons bien compte des résonances funèbres qui existent entre les temps passés et le contexte présent.

Ces échos renforcent notre détermination à vaincre ces fléaux que sont le racisme et l’antisémitisme. Parce que l’on ne sort de tels moments de crise, que par le haut : que par davantage de valeurs, que par l’affirmation répétée de notre refus de transiger, et par une exigence, celle du rassemblement de chacune et de chacun autour de notre humanité commune.

Voilà pourquoi des centaines d’actions sont organisées sur tout le territoire au cours de cette semaine pour sensibiliser, prévenir et rassembler les jeunes autour des valeurs de la République.

Et cela suppose aussi d’apprendre à vivre ensemble, à connaître l’autre et à respecter la dignité de chaque personne : mais cela exige aussi de ne jamais transiger, de ne jamais reculer sur nos principes fondamentaux.

Enfin, parce que le rôle de l’École dans cette semaine est aussi essentiel, nous avons voulu accompagner nos enseignants, les former, pour ne pas les laisser seuls, dans leur salle de classe, mais qu’ils puissent avoir accès à des ressources solides pour les aider dans leur mission.

Le combat contre la haine, est un combat qui nous concerne toutes et tous. C’est un combat universel. Et c’est un combat difficile.

Non, le combat contre la haine n’est jamais gagné. Nous devons toujours être vigilants. Ne jamais perdre de vue à quel point la paix est une chose précieuse et rare, et nous devons nous battre pour elle.

En relançant cette semaine contre le racisme et l’antisémitisme, en lui donnant une ampleur nouvelle, nous avons voulu prendre la mesure des défis auxquels notre société et notre école sont aujourd’hui confrontés.

Je tiens, à cet égard, à saluer la mobilisation des institutions et de leurs partenaires, qui nous accompagnent et dont la mobilisation donne à cette semaine l’ampleur qu’elle mérite.

Mais si une semaine spécifique est l’occasion de valoriser et de se sensibiliser, un tel combat s’inscrit dans un temps long.

Celui de l’action de terrain.

Celle de l’École, bien sûr, mais aussi des tous ses partenaires, et notamment des lieux liés à la mémoire et à l’histoire de la Shoah.

Je connais votre implication et votre engagement.

Ils se déploient notamment à travers votre participation active aux actions de citoyenneté et de formation, et cela, à destination des élèves comme de l’ensemble de la communauté éducative.

Cet engagement va se déployer encore plus fortement à travers le réseau. Un réseau crée des liens. Un réseau unit. Un réseau vaut toujours plus que la somme de ses parties. Du réseau ainsi créé entre les lieux de mémoire de la Shoah, chacun de ces lieux va prendre une nouvelle dimension, au service de la mémoire, au service de l’histoire, au service du présent de notre pays, mais aussi de l’avenir de notre République et du parcours citoyen de nos élèves.

Je tiens en particulier à saluer la façon dont vous avez inscrit dans la déclaration qui le fonde, je cite : « le réseau participe aux objectifs de la grande mobilisation de l’Ecole et de ses partenaires pour les valeurs de la république, en s’inscrivant dans le parcours citoyen de l’Education nationale, dans les programmes de l’enseignement moral et civique et dans le dispositif de la Réserve citoyenne ».

J’y suis d’autant plus sensible que c’est par cet engagement non seulement de l’Ecole, mais de chacune et de chacun d’entre nous à ses côtés, que nous pourrons relever les défis de notre époque, et ils sont nombreux.

D’ailleurs, votre déploiement de jeunes « ambassadeurs de la mémoire » témoigne de nos convictions communes, puisqu’elle rejoint pleinement la philosophie et l’action de la Réserve citoyenne.

Et c’est justement cette philosophie partagée qui m’incite à inviter tous ces ambassadeurs de la mémoire à s’inscrire dans la Réserve Citoyenne de l’Éducation Nationale, pour que nos engagements s’enrichissent et se complètent mutuellement.

Cette complémentarité existe déjà : plusieurs des membres fondateurs du réseau se sont inscrits dans cette Réserve citoyenne, et je sais que d’autres souhaitent la rejoindre. A titre personnel, je voudrais saluer Serge Klarsfeld ici présent qui, parmi les premiers, a répondu à cet appel de l’Ecole et dont nous connaissons la valeur de l’engagement et la valeur du témoignage.

Je vous le dis, vous y serez tous les bienvenus, car nous avons besoin de toutes les énergies pour aider les enseignants dans leur difficile mission de transmettre les valeurs de la République. Nous avons besoin de votre engagement, et de votre existence qui témoigne à la fois de l’exigence et de la force des valeurs qui sont les nôtres !

Ces valeurs partagées nous portent aujourd’hui et nous permettent d’affronter l’avenir avec détermination et courage.

Mais je n’oublie pas qu’elles se sont forgées aussi au fil de notre histoire, avec ses heures glorieuses et ses heures sombres.

La citoyenneté ne peut faire l’économie du passé. Oui, nous avons non seulement un devoir de mémoire, mais aussi un devoir d’histoire. Ainsi, le parcours citoyen, dans l’école, permet, à chaque élève, d’engager, au cours de sa scolarité, une réflexion sur la mémoire de la Shoah au travers de la visite d’un lieu, d’un site mémoriel, d’un musée, d’une exposition, ou de l’étude d’une œuvre.

Car le passé, ce n’est pas que le temps. C’est aussi l’espace. Et l’histoire a laissé au cœur de nos villes, au cœur de nos territoires, sur les toiles des peintres et dans les pages des livres, des traces qui sont à la fois des cicatrices, celles des douleurs qui ne passent jamais complètement, et qui en même temps sont des signes, à comprendre, à découvrir, à déchiffrer aussi.

Oui, les lieux de mémoire, comme le rappelait Pierre Nora dans l’ouvrage collectif qu’il consacré à cette question, deviennent tels lorsqu’ils « échappent à l’oubli ». Et l’oubli ne menace pas uniquement le passé : il fragilise et met en péril notre présent.

Dans ce travail, L’École, lieu de vie et lieu de savoir, a naturellement un rôle à jouer. Un rôle qui passe naturellement par des enseignements académiques, mais qui va aussi bien au-delà, à travers la force de l’expérience vécue.

C’est le sens de notre soutien au projet de l’association « Convoi 77 », qui implique les élèves dans des travaux d’enquête, à la recherche des disparus partis dans les convois.

Oui, nous savons que ces approches pédagogiques sont extrêmement performantes et passionnent les élèves quand il s’agit de redonner un visage, une identité, aux victimes juives de la Shoah.

Parce que le vécu a une force inimitable, et c’est aussi la force du vécu qui s’exprime à travers les rencontres que font nos élèves avec des membres de la réserve citoyenne, et en particulier avec des résistants et des survivants des camps de la mort.

Et la force de leurs paroles, nous la retrouvons dans celles prononcées le 15 avril 2007 par Samuel Pisar, qui nous a quittés l’an passé, et qui déclarait, au Mémorial de la Shoah, je le cite :

« Aujourd’hui, devant les mutations vertigineuses des alliances, des politiques, des économies et des cultures, devant le retour du fanatisme, du nationalisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme, il m’arrive de me demander si le passé ne redevient pas présent.

Car personne ne peut vivre ce que j’ai vécu dans les bas-fonds de la condition humaine, puis sur quelques-uns de ses sommets, sans rechercher une vision cohérente de notre monde à nouveau déboussolé, sans ressentir un besoin viscéral d’alerter les nouvelles générations sur les dangers qui s’accumulent, et qui peuvent détruire leur univers comme ils ont jadis détruit le mien. »

Oui, nous avons besoin de ces paroles, et nous avons besoin d’histoire et de mémoire.

A cet égard, nous pouvons être fiers de la qualité de l’enseignement de l’histoire de la Shoah en France. Cette qualité est unanimement reconnue.

Cependant nous devons aussi veiller à ce que l’histoire de la Shoah soit partout connue.

Oui, nous devons nous mobiliser, pour qu’aucun territoire de la République ne soit en dehors du champ de sa connaissance.

Parce que la connaissance est non seulement une force, non seulement l’assise solide sur laquelle s’élaborent la citoyenneté et l’autonomie de l’élève, mais elle est aussi une chance.

Une chance pour l’élève. Une chance pour la société. Une chance pour la République.

S’assurer que les enseignements soient portés et reçus partout sur l’ensemble de notre territoire, c’est donc une exigence d’égalité.

La connaissance du passé, loin de nous entraver, loin de nous freiner, au contraire, nous inspire, et nous donne les moyens de nous emparer de notre avenir, en le mettant au service de nos valeurs, de nos ambitions, et de notre unité, comme société, comme démocratie, et comme République.

Et cette unité se façonnera toujours par les valeurs humanistes et républicaines qui ont tiré, des épreuves passées, une force renouvelée, et une importance toujours croissante.

Je vous remercie.

Najat Vallaud-Belkacem,
ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche


Photos © Philippe Devernay / MENESR

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