Discours aux inspecteurs et personnels de direction en formation à l’ÉSÉNESR

Éducation nationale Publié le 1 avril 2016

Ce vendredi, la ministre s’adressait aux 500 inspecteurs et personnels de direction de l’Éducation nationale en formation à l’ÉSÉNESR de Poitiers. L’occasion pour la ministre de revenir sur les objectifs de la Refondation de l’École et de dire tout son soutien aux équipes :

 

Retrouvez ici le discours prononcé par la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche :

Madame la Préfète,
Madame la Rectrice,
Monsieur le Directeur,
Mesdames et messieurs les Inspecteurs et les personnels de direction,
Mesdames et messieurs les membres du personnel de l’ÉSÉNESR,
Mesdames et messieurs

Chers amis,

Je suis très heureuse de partager avec vous ce moment symbolique de clôture de votre formation statutaire, étape importante dans votre parcours de cadres supérieurs de l’Éducation Nationale.

Les attentats de novembre nous avaient contraints à différer cette rencontre. Ils n’ont pas entamé notre détermination à agir sur le terrain, ni à maintenir ce rendez-vous auquel je tenais beaucoup, avec vous et, au-delà, avec tous les collègues que vous représentez.

En tant que cadres de l’Éducation Nationale, vous êtes les relais essentiels de la politique éducative.

Que vous soyez inspecteurs des premier ou second degré ou personnels de direction, ce qui vous rassemble, c’est ce rôle si particulier d’initiateur, de pilote pédagogique et éducatif, de relais, de soutien et d’accompagnement des équipes éducatives.

Sans pilote, une politique, aussi ambitieuse soit-elle, ne reste qu’une parole vaine. Sans accompagnement, aucune mise en œuvre ne peut s’accomplir. Et sans relais c’est aussi la possibilité, pour les acteurs qui sont sur le terrain, de se faire entendre, qui disparaît.

Oui, dans toutes vos missions, d’inspection, de pilotage des EPLE, de conseil et de mise en œuvre de la politique éducative, vous êtes irremplaçables.

Ce qui nous unit, c’est donc d’abord une relation de confiance. Et cela, dans les deux sens. La confiance qu’une ministre a en vous. Et celle que vous devez également avoir dans votre ministre. Et nous en avons besoin, compte tenu de l’ampleur de la tâche que nous sommes aujourd’hui en train d’accomplir : la refondation de l’Ecole.

Plus une entreprise est vaste, plus son ambition est grande, et plus il est nécessaire, pour l’accomplir, de procéder graduellement. Étapes après étapes. Un pas après l’autre.

Une telle démarche est la condition de sa mise en œuvre. Mais elle peut parfois entraîner un effet néfaste : la répartition devient alors un morcellement avec le risque de voir s’accumuler des dispositifs et des réformes à appliquer ; la cohésion initiale s’estompe peu à peu, jusqu’à disparaître tout à fait.

Il ne reste alors plus qu’une interrogation : pourquoi ? Quel est le sens de ce que l’on me demande d’entreprendre ? Quel est le rapport qu’entretient telle circulaire particulière avec un objectif plus général ?

Ces interrogations sont légitimes. Nous avons besoin, pour agir, de donner du sens à nos actions. C’est le sens qui nous porte au quotidien, dans l’accomplissement de nos missions.

Voilà pourquoi, je veux d’emblée vous dire deux choses.

La première, c’est que je mesure votre engagement – tout particulièrement ces derniers mois. Je le salue, et je vous en remercie. Sans vous, sans votre professionnalisme, la refondation de l’Ecole n’aurait pas pu se mettre en place aussi efficacement, et avec une telle qualité.

La seconde, c’est que j’ai entendu vos inquiétudes et vos préoccupations. Je connais les difficultés, les oppositions et les résistances que certains d’entre vous ont rencontrées sur le terrain.

Devant celles-ci, je tiens à vous assurer de mon soutien. Et dans de tels moments, il est de ma responsabilité de remettre en évidence le sens de notre action, à toutes et à tous.

C’est d’autant plus important que nous partageons l’essentiel. L’idée qui, par sa force, nous rassemble : celle du progrès.

C’est elle qui guide votre action, comme elle guide la mienne, comme elle guide aussi celle des enseignants, jour après jour, sur le terrain.

Le progrès, ce n’est pas une addition, ce n’est pas une logique quantitative : c’est une logique qualitative. Ce n’est pas faire plus ! C’est faire mieux. Et c’est une amélioration qui, pour l’École, est profondément nécessaire.

Oui, nous faisons face à une situation d’une rare complexité.

Dans l’Avant-Propos du rapport d’activité 2014-2015 de l’ESENESR, son directeur, Jean-Marie PANAZOL, que je salue, résumais parfaitement ces enjeux. Je le cite :

« Les cadres de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche ont […] à tenir compte d’un double phénomène :

  • l’accélération des réformes propres au MENESR, en lien avec les lois votées en juillet 2013,
  • les mutations sociales et sociétales qui affectent les services publics en général, le service public d’éducation en particulier.»

Je souscris entièrement à ce constat, qui vous amène, monsieur le directeur, à insister sur « les nouvelles dimensions des activités d’encadrement », et j’en profite pour souligner la qualité de la formation, tant initiale que continue, de l’ESENESR et saluer toute l’équipe qui vous accompagne dans ce travail.

J’ajouterai cependant une précision importante. C’est que ces deux dimensions, les réformes propres à mon ministère, et les mutations sociales et sociétales, sont liées.

C’est bien pour répondre aux changements, et, plus largement, aux défis de notre époque, que ces réformes sont entreprises. Ces deux enjeux sont inséparables.

La loi de refondation de l’Ecole, votée en juillet 2013, a un seul objectif : préserver et assurer, aujourd’hui, dans l’époque où nous sommes, la mission centrale de l’École : former des citoyens autonomes, éduqués, instruits et cultivés, et le faire pour chaque enfant, sans discrimination, sans inégalité.

C’est, je le répète, la mission de l’École de la République depuis sa fondation.

Mais pour continuer à l’accomplir aujourd’hui, dans des circonstances différentes, elle doit évoluer. Elle doit changer en profondeur : c’est bien ce que signifie le terme même de refondation.

Et l’idée centrale de cette refondation, c’est celle du lien et de la complémentarité. Oui, nous avons besoin de liens. Nous avons besoin de complémentarité entre tous les aspects de la scolarité. Nous avons besoin de cohérence. Et cela pour une raison simple : la nature même de l’École nous y incite.

Lorsque l’on aborde l’École, on ne peut accepter les réponses simplistes, qui se résument à des choix sans nuances : instruction ou éducation, humanités ou insertion professionnelle, égalité ou excellence.

On ne peut l’aborder qu’en tenant compte de sa nature profonde : l’école est le lieu d’un devenir, avec tout ce que le terme suppose de singularités et de facettes multiples.

Le premier devenir, porte bien entendu sur le développement des savoirs et des connaissances nécessaires pour être à même de communiquer, d’échanger, d’agir. Ce sont ces savoirs, lire, écrire, compter, que l’on réunit sous l’appellation de fondamentaux. Ils sont les piliers sur lesquels s’édifient les autres devenirs.

Le second devenir, qui prolonge celui-ci, c’est un devenir citoyen, qui conduit l’élève depuis le cercle familial jusque dans une société républicaine, avec ses droits, ses devoirs et ses valeurs.

Le troisième devenir est celui lié aux arts, à la culture, à tout ce qui en l’être humain marque une prise d’autonomie progressive vis-à-vis de la seule nature.

Le quatrième devenir, non moins essentiel, est celui qui favorise l’arrachement aux déterminismes sociaux.

Le cinquième devenir, enfin, est celui qui mène vers l’insertion professionnelle.

Tous ont en commun de former un être libre, autonome. Et cela nous rappelle le sens étymologique du mot école.

Un mot, j’aime à le rappeler, qui vient du skholé grec qui signifie « temps libre ». Et je préciserai, avec Bourdieu, non seulement un temps libre, mais un « temps libre et libéré des urgences du monde qui rend possible un rapport libre et libéré à ces urgences, et au monde. »

Parce que l’École est lieu d’un « devenir », qu’il s’agit aussi bien d’engendrer que d’accompagner, il convient de donner à l’ensemble de la scolarité une cohérence, une continuité.

Aussi le sujet de l’orientation qui est l’une de vos missions partagées, chacun dans son rôle, constitue aujourd’hui un enjeu majeur.

Votre action va, par exemple, permettre de rompre avec une orientation subie, par la mise en place d’un accompagnement au long cours de l’élève et de sa famille, s’appuyant sur l’ensemble des compétences développées par chaque jeune.

Elle va permettre à chacun d’être acteur de son parcours et de pouvoir évoluer d’une filière à une autre, sans être condamné à poursuivre dans une voie qui n’était pas la sienne.

Une orientation réussie, c’est un sens qui est donné à une existence, à la scolarité. C’est un combat gagné contre les déterminismes économiques et sociaux.

De la même façon, notre action contre le décrochage, que j’ai amplifiée par l’annonce d’un plan systémique en novembre 2014, est essentielle.

Ce plan ne vient pas de nulle part. Il s’appuie sur les innovations de terrain en les faisant changer d’échelle, en les légitimant, les systématisant, et en les structurant. C’est tout un travail qui s’accomplit grâce aux acteurs de terrain, et grâce aux cadres.

Nous sommes en train d’obtenir, dans ce domaine, des résultats significatifs. Il y a 5 ans, plus de 140 000 jeunes sortaient du système sans qualification. Ils sont 110 000 cette année.

C’est encore trop, nous sommes d’accord. Mais cette baisse est aussi un encouragement à continuer d’agir, ensemble, à tous les niveaux.

Car lorsque je me déplace sur le terrain, je mesure ce que ces avancées, ces progrès, doivent à chaque membre des équipes éducatives et à vous en particulier.

Je connais l’engagement qu’implique, de votre part, le décret concernant les recalés à l’examen. Mais je tiens aussi à vous rappeler à quel point cela constitue un véritable levier pour lutter contre le décrochage et l’échec scolaire.

En 2013, 83 500 élèves arrivés jusqu’en terminale – donc présents dans nos établissements – ont échoué à l’examen. Sur ces 83 500 élèves, seuls 3 sur 10 se sont réinscrits à l’examen l’année suivante en bac professionnel, et 7 sur 10 en bac général GT.

Notre rôle, là où nous sommes, c’est d’agir pour que, dans chaque lycée, quelques élèves franchissent cette étape et préparent la suivante.

Leur permettre de redoubler dans leurs établissements, c’est les convaincre de rester « avec nous », pour les accompagner de façon adaptée jusqu’à l’examen.

La conservation des notes, c’est un moyen de les convaincre de travailler dès la première année de terminale puisqu’ils pourront bénéficier de leurs acquis.

Cela concerne en moyenne 5 ou 6 élèves supplémentaires par lycée. Mais 5 ou 6, dans chacun de nos 4300 lycées, c’est 20 à 25000 décrocheurs en moins. C’est une étape importante qui est franchie. Ce sont aussi des liens renoués entre l’école, le jeune, et sa famille.

Car au cœur des crises économiques, écologiques et terroristes que nous traversons, nous n’avancerons pas si nous ne donnons pas aux jeunes ce qui est nécessaire à chacun d’entre nous : un avenir.

La cohérence de la scolarité passe aussi par la prise en compte de cette réalité toute simple : les devenirs de nos élèves s’opèrent à différents rythmes.

Ce souci du rythme gouverne non seulement les rythmes scolaires, mais plus largement le fait de penser les programmes par cycle.

Ce qui se résout alors, au moins en partie, c’est l’opposition entre le temps humain, un temps propre à chacun, avec certes des points communs, mais qui nécessite une certaine souplesse, et un temps qui lui serait trop cadré, trop rigide, et qui est le temps de l’année scolaire.

Penser par cycle, c’est inscrire les apprentissages dans du temps long. C’est donner à nos enseignants et à nos élèves ce dont nous avons toutes et tous le sentiment de manquer : du temps.

Et ce temps long vaut aussi pour la Refondation. Il est, pour la réussite de celle-ci, aussi important d’avoir une vision d’ensemble, que d’avoir une vision à long terme.

Nous savons bien que cela demande du temps. Nous savons bien que le travail remarquable que vous conduisez n’opère pas par magie. C’est même le contraire de la magie.

Parce que le travail, au sein de l’éducation nationale, suppose toujours un effort continu, répété, quotidien.

Nous aimerions tous parfois que la vie ressemble à ces montages qui, dans un film, interviennent pour résumer le temps de formation du héros : on le voit s’entraîner, soulever des poids de plus en plus lourds, et trente secondes après, au rythme endiablé d’une musique entraînante, le voici métamorphosé.

Mais notre temps est bien différent. Ainsi, lorsque vous avez préparé ce concours difficile, il n’y a pas eu de montage pour résumer les mois et les années de travail.

Oui, nous sommes dans ce temps humains qui progresse uniquement par nos actions et nos efforts, et non par la magie d’un montage cinématographique.

Nous devons donc agir, jour après jour. Mener, de front, plusieurs actions. Et au fur à mesure apparaissent des liens, une complémentarité, entre tous ces aspects : entre la réforme des programmes et celles des rythmes scolaires, entre la réforme du collège et celle des Réseaux d’Éducation Prioritaires.

Et c’est pour cela que votre rôle est si important : parce que vous liez tous ces aspects. Et parce que vous en expliquez le sens.

Et le meilleur moyen de comprendre la refondation de l’Ecole, c’est toujours de partir de ce que fait l’École.

L’École abolit les frontières. Elle arrache l’élève à l’ici et maintenant, sans pour autant méconnaître le contexte dans lequel il vit. Elle étend ses perspectives, par la connaissance de l’espace et du temps. Elle lui ouvre des horizons nouveaux, par les sciences et les connaissances. Mais elle le fait sans jamais sacrifier une dimension à l’autre.

L’apprentissage du Français ne suppose pas de se restreindre, soit, à un usage pratique, remplir des formulaires ou lire la notice de montage d’une étagère suédoise, soit à un usage littéraire. Mais il donne la possibilité de faire les deux.

Tout comme l’apprentissage des mathématiques ne se résume pas aux situations de la vie quotidienne.

Pour celles-ci, de nombreuses applications sont conçues pour faire le travail à notre place. Mais les mathématiques vont bien au-delà : elles sont aussi une langue, une façon de penser, et une logique particulière. Elles ouvrent vers des domaines éminemment complexes et elles permettent ensuite de programmer les applications que j’évoquais.

Et apprendre l’histoire, ce n’est pas sacrifier un temps à un autre : c’est au contraire donner au présent l’épaisseur du passé, pour mieux aborder l’avenir.

Voilà pourquoi ce qui guide la refondation, c’est une volonté de conciliation. C’est la prise en compte du caractère profondément, viscéralement humain de l’Ecole. Et c’est cette pluralité des dimensions, leur complexité, qui a parfois brouillé la perspective d’ensemble.

Et c’est justement tout le rôle des cadres que de redonner la perspective de cette action. Je sais les interrogations auxquelles vous faites face. Oui, l’ensemble du travail conduit dans le cadre de la refondation a parfois pu donner l’impression d’injonctions contradictoires.

Faut-il consolider les fondamentaux, ou développer l’Enseignement Moral et Civique ? Faut-il préparer l’insertion professionnelle de nos élèves, ou mettre en place l’Éducation Artistique et Culturelle ?

A toutes ces questions, on peut, sans crainte, répondre : les deux. Cela peut sembler être une simple boutade. Il n’en est rien.

C’est, je le redis, tout l’enjeu de notre action : concilier ce qui, pendant si longtemps, a été perçu comme contradictoire.

Et si je connais les difficultés auxquelles vous pouvez être confrontés, c’est aussi parce que je les ai rencontrées.

Ainsi, on m’a souvent demandé : « souhaitez-vous une école bienveillante ou exigeante ? » Mais les deux !

Et la contradiction n’est qu’apparente. Elle repose sur une mauvaise définition : car la bienveillance, ce n’est pas le laxisme. Or c’est le laxisme qui s’oppose à l’exigence.

Au contraire, être bienveillant, c’est aussi être exigeant. Cela ne signifie pas flatter. Cela signifie accompagner, aider, encourager et amener chaque élève, par son travail, par ses efforts, à progresser, sans jamais tomber dans la condamnation sans appel et le « tu n’y arriveras jamais ! ».

Et ce qui me frappe toujours, c’est que cette conciliation, nous la réalisons très spontanément dans la vie de tous les jours. Mais l’intégrer à l’école, demande des changements et des évolutions structurelles à tous les échelons.

Les enseignants sont déjà nombreux à faire de l’interdisciplinarité. Je ne l’ignore pas. Mais l’idée des EPI, est de donner un cadre et une visibilité à cette interdisciplinarité, et de la développer encore davantage en l’intégrant dans une pédagogie de projet.

Et là encore, la pédagogie de projet ne vient pas s’opposer à un cours disciplinaire : il propose de l’approfondir, et de consolider les apprentissages en mettant en œuvre les savoirs et les connaissances acquises.

Et votre rôle est majeur aussi bien pour faire évoluer l’identité professionnelle des enseignants, des personnels d’éducation et d’orientation, faire exister une véritable communauté éducative, que pour former à l’exercice de compétences et de gestes professionnels tout en confortant la dimension intellectuelle de ces métiers.

Vous encouragez et valorisez les pratiques innovantes tout en évaluant leurs effets en termes de progrès, de réponse à un besoin, de réussite de chacun. Vous permettez ainsi de mener un combat ambitieux contre les inégalités.

Ces inégalités, vous le savez, pèsent sur notre système scolaire.

Certains me trouvent obsessionnelle avec ce sujet. Mais oui je l’assume. Car je connais la réalité. Et vous aussi.

Avant même d’entrer en maternelle, les élèves les plus défavorisés ont un déficit important de vocabulaire.

Accepter cette situation, ce serait la considérer comme une fatalité. Or, il n’y a pas ici d’intervention divine qui vouerait un enfant aux gémonies dès son plus jeune âge. Il n’y a rien d’irrémédiable. Il n’y a que de « l’irrémédié ».

Mettre l’accent sur la scolarisation des moins de trois ans en éducation prioritaire, c’est se donner les moyens d’y remédier.

Mettre en place des dispositifs comme le « plus de maîtres que de classes », c’est s’assurer d’une meilleure acquisition des fondamentaux.

Assumer une répartition inégalitaire des ressources en fonction des caractéristiques économiques et sociales des territoires et de leurs populations, c’est mettre les moyens de l’école au service de l’égalité réelle.

Tous nos élèves acquièrent ainsi des savoirs essentiels, pour poser sur le monde un regard capable d’élaborer du sens.

Car la seule réponse aux inégalités, c’est la généralisation de l’exigence ; c’est la démocratisation des connaissances et des savoirs. Et pour parler plus nettement encore, c’est d’assumer l’universalité de l’École de la République.

Oui, je sais, l’universalisme républicain n’a pas bonne presse. Il est accusé d’être, au mieux, une abstraction, au pire, un aveuglement coupable. Ce n’est pas nouveau.

Longtemps les tenants de l’universalité du suffrage ont été vus comme des utopistes ou de dangereux irresponsables. Quelles calamités ne devaient pas manquer de s’abattre sur un pays qui se risquerait à une telle lubie ! Que de catastrophes devaient, selon les textes de l’époque, en découler !

Et pourtant, quand, pour la première fois, une femme a glissé un bulletin de vote dans l’urne, il n’y a pas eu, à ma connaissance, de cataclysme ! La terre ne s’est pas ouverte en deux !

Aujourd’hui qu’avec la refondation de l’école, nous décidons de nous attaquer aux inégalités, nous entendons s’élever des prophéties analogues. Elles annoncent la ruine et la décadence de notre pays si nous nous risquons à tenir la promesse républicaine de l’égalité.

Cette promesse, il est pourtant essentiel de ne jamais la perdre de vue. Elle nous engage, toutes et tous, très vivement, à l’égard de nos élèves.

Et il n’y a ici, de ma part, ni angélisme, ni utopie, ni laxisme. Mais la conviction très ferme que la reproduction des inégalités, et leur aggravation au fil de la scolarité, constitue un danger bien réel pour notre démocratie.

Il est donc urgent d’agir, et la solution, dans ce domaine comme dans d’autres, viendra aussi d’une approche profondément pragmatique.

Ainsi, la mixité sociale ne se décrète pas. Elle ne s’impose pas.

Elle se construit, elle s’élabore, patiemment, en concertation avec l’ensemble des personnes concernées, depuis les personnels de l’éducation nationale jusqu’aux élèves et à leurs familles, naturellement, en passant par tous les acteurs susceptibles d’être mobilisés sur le terrain.

Le terrain : c’est, je crois, le mot clef dans la politique que nous menons.

Je n’engage pas une énième refonte de la carte scolaire. Parce que ce n’est pas la carte qui fera évoluer le territoire. C’est le territoire qui doit être à l’origine de notre action. C’est de lui que viendront des solutions concrètes.

Aujourd’hui, 15 académies et 20 départements, de droite comme de gauche, ont exprimé leur souhait de s’engager dans cette démarche, et nous avons dépassé le chiffre de vingt territoires pilotes, soit le double de ce qui avait été envisagé initialement.

Ceci prouve une chose : la mixité sociale n’est pas un sujet accessoire. Il y a, de la part des collectivités, un véritable désir de s’engager pour la faire aboutir, car chacun sent bien, aujourd’hui, que la situation dans laquelle nous sommes n’est plus tenable.

Ces territoires pilotes vont donc mettre en œuvre différentes mesures, qui seront, tout au long du processus, accompagnées et évaluées. Car rien ne se fera sans la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés.

Et cette mobilisation, sur le terrain, ce sont les cadres qui l’entraînent, et qui l’amènent vers une action concrète et concertée.

Et la démocratisation est d’autant plus importante, que l’Ecole, par sa nature même, par ses valeurs et par ses missions, est au cœur des défis que nous rencontrons aujourd’hui.

Les savoirs enseignés permettent aux élèves de poser sur le monde, sur notre passé, sur les textes et les œuvres, un regard capable d’élaborer du sens.

Ces savoirs sont à la fois ancrés dans une histoire, et en même temps tiennent compte des évolutions, notamment technologiques, mais aussi des bouleversements que traverse notre pays, et, plus généralement, notre monde.

La violence de ces bouleversements, vous la connaissez Alors, bien entendu, il ne s’agit pas de faire peser, sur l’École, de nouvelles missions. D’accumuler, sur elle et sur les personnels, des responsabilités trop lourdes.

Mais nous devons tenir compte de la situation actuelle. Voilà pourquoi l’apprentissage de la citoyenneté fait partie intégrante du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Voilà pourquoi a été lancée une grande mobilisation pour défendre les valeurs de la République.

Parce que l’École est, en France, une institution profondément Républicaine. Et elle prépare nos enfants au monde contemporain, pour mieux préparer l’avenir.

Ainsi, l’École doit tenir compte la situation dans laquelle nos élèves vivent aujourd’hui : le développement des nouvelles technologies les met face à des informations nombreuses, multiples, variées, et parfois, voire trop souvent, mensongères.

Nous ne pouvons ignorer les médias et les nouvelles technologies sous le fallacieux prétexte que les élèves en ont une pratique régulière. Car ils n’en ont pas pour autant une connaissance réelle.

Notre école doit donc jouer tout son rôle pour donner aux nouvelles générations les moyens de comprendre la société numérique, ses risques et ses opportunités.

Mais elle doit aussi, plus largement, intégrer cet enjeu dans toutes ses dimensions.

La rentrée scolaire 2016 marquera ainsi la première année du plan numérique. L’objectif est de généraliser les usages du numérique à l’école et autour de l’école, en dotant de ressources pédagogiques numériques et d’équipements les classes de 5ème à la rentrée 2016, puis les autres élèves les années suivantes.

Il s’agit d’un plan d’ensemble : il associe la refonte des programmes scolaires, la formation des personnels, et la mise à disposition de ressources pédagogiques, avec la mise en place des équipements numériques nécessaires pour la réalisation de projets pédagogiques et éducatifs cohérents et partagés.

En parallèle, avec l’appel à projet dit e-FRAN comme Espaces de formation, de recherche et d’animation numérique, nous soutenons des projets innovants à l’échelle de territoires, associant des équipes de recherche dont les travaux permettront de mieux comprendre l’impact du numérique sur la qualité des apprentissages.

Oui, le monde change. Le monde évolue. L’École aussi. Avec vous. Et grâce à vous.

Et c’est cette temporalité particulière dans laquelle nous nous inscrivons, ce sont les bouleversements que nous vivons qui rendent essentielle la formation, non seulement initiale, mais tout au long de notre carrière, tout au long de notre vie.

Il n’y a plus, comme autrefois, le moment de la formation, et celui du métier. Les deux sont liées.

Mais ce lien, à l’Éducation Nationale, existe depuis longtemps : parce qu’assurer la formation de nos élèves a toujours impliqué, pour l’ensemble des personnels, de ne jamais cesser d’apprendre.

Et c’est d’autant plus vrai aujourd’hui, que nous développons la formation continue aussi bien en ligne que dans des établissements comme celui dans lequel j’ai le plaisir de vous retrouver aujourd’hui.

Aussi, au moment de conclure, je voudrais revenir sur ce qui constitue un enjeu essentiel : la nécessité de créer des liens entre ce qui semblait parfois, à première vue, contradictoire.

Ce rapprochement des contraires, qui permet de faire émerger ce qui paraissait inconcevable ou irréalisable, porte, en tant que figure de style, un nom : celui de l’oxymore.

Ce n’est donc pas une surprise si la qualité essentielle, pour vous comme pour moi, dans notre engagement au service de l’École et de l’État, je l’ai trouvée décrite dans les pages d’un de nos plus grands poètes, Arthur Rimbaud, sous la forme d’un oxymore : celui de l’« ardente patience ».

Ardeur et patience. Voilà ce dont nous devons faire preuve. Parce que c’est ainsi que nous concilions le temps long et l’exigence de l’action quotidienne.

Et le quotidien, surtout ces temps-ci, est troublé. Je veux donc profiter de ce moment, pour dire combien j’ai apprécié, ces derniers jours, l’engagement des proviseurs de toute la France.

A la tête de leur lycée, à la tête de leurs équipes, ils ont su faire face. Faire face à la désorganisation liée aux mouvements lycéens. Faire face, parfois, à des risques de débordement. Le proviseur de la Cité scolaire Paul Bert vient encore d’en faire l’expérience.

Ces chefs d’établissements ont tout mon soutien, et j’ai d’ailleurs demandé aux recteurs d’être en permanence en contact avec eux, pour trouver les meilleures réponses aux situations les plus sensibles.

Et c’est pour cela que je terminerai simplement, sans oxymore, en vous assurant de mon entière confiance, et en vous disant à quel point je suis fière, en tant que ministre, de pouvoir compter sur des cadres tels que vous.

Je vous remercie.

Najat Vallaud-Belkacem,
ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

5 commentaires sur Discours aux inspecteurs et personnels de direction en formation à l’ÉSÉNESR

  1. Hassan

    Plus d’étapes que de frontières, moins d’étapes que d’univers. D’une Ecole, le système scolaire forme sans doute l’assemblage des valeurs, des savoirs et des idées jusqu’où l’unité des points de vue, des visions et des regards s’abandonne s’affranchit et se renouvelle…

    En les évoquant pacifiquement objectivement et distinctement, les changements s’abordent et participent à tout développement, et, quant à ce principe démocratiquement établi et constitutif, les développements activent et régénèrent le changement; dès lors, et en étant avisé)e de la raison collective et des sens éducatifs à porter, chacun)e, dans sa perspective ou dans ses mises à jour, simple)s ou complexe)s, ne peut mieux définir et préserver que l’ensemble valorise chaque élément, comme effectivement il symbolise chaque complément…

    D’une “Orèdrie”, tout “Orèdre” assimile et reflète les importances significatives de la réalité humaine vivante et spatiale, d’où, la Démocratie, espace ouvert et éclairé des structures et des ressources de la Citoyenneté, n’est sans doute pas une mode, ni un écran, de justice, possiblement universelle, et donc reste-t-Elle chaque fois bien relative et mieux réfléchie à tout somme égale et perfectible des natures humaines et représentatives, toujours à instruire…

    Dans ses usages, les choix d’un monde aussi diversifié que coloré dans la mesure inextricable de ses environnements et dans la tempérance infinie de ses natures, mais, aussi, dans l’évidence telle qu’elle peut être vue entendue ressentie parmi toutes sortes respectables et satisfaisantes de réciprocités temporelles et convaincues, ces choix sont-ils encore la preuve irrévocable qu’une égalité ne peut être ni informelle à son sujet, ni matérielle à son objet, car même prises au hasard des mémoires historiques ou présentes, les facultés et les volontés ayant trop souvent réuni le champs des principes batailleurs et décadents…

    Fort heureusement, plusieurs grandes causes réagissent légitimement et concilient solidairement le propre de leurs et chaque conséquences…

    Bien à Vous…

    Merci…

  2. Un peu d'autocritique serait la bienvenue....

    Comme d’habitude, on ne fait aucune évaluation critique des dispositifs et on se gargarise de mots…. Comment expliquez-vous que, dès le 2ème trimestre, on propose à des élèves de Seconde générale une orientation en voie technologique alors que ces élèves veulent devenir médecins? Comment expliquez-vous que l’on mente autant aux jeunes en les ramenant à la case départ et à leur déterminisme social puisque, certes, ils sont au lycée mais n’ont aucun moyen d’y réussir? Foutaises, foutaises, foutaises….

  3. Sonia

    Madame la Ministre,
    Je vous remercie pour votre gentillesse, humanité et simplicité notamment lorsque vous ne refusez à aucun moment le contact et la prise de photo avec vous. Je vous souhaite bon courage.

    Une personnelle de direction adjointe de l’académie de Reims.

  4. Vanessa raiffé

    Mme,
    Vous dites :”Assumer une répartition inégalitaire des ressources en fonction des caractéristiques économiques et sociales des territoires et de leurs populations, c’est mettre les moyens de l’école au service de l’égalité réelle.” À Bonneuil Matours nous sommes confrontés à cette inégalité, c’est pour cela qu’il faut conserver notre classe. Sinon des enfants vont être en échec scolaire. Beaucoup sont identifiés comme ayant besoin de plus d’accompagnement.
    Merci d’avance pour votre soutien.
    http://www.mesopinions.com/petition/politique/gardons-classe-ecole-bonneuil-matours/18848

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