Michel Butor s’est éteint. Cœur serré en repensant à ce moment et à ce texte …

Michel Butor s’est éteint. Cœur serré en repensant à l’invitation que je lui avais adressée en novembre 2007, alors en charge de la Culture en région Rhône-Alpes, qu’il avait acceptée, et au cours de laquelle il nous avait fait découvrir ce magnifique texte sur l’âge, malicieux à souhait. Tendresse.

Avez-vous revu récemment
notre vieux Michel
il n’est plus si sémillant si frétillant qu’auparavant
il était bon d’ailleurs qu’il s’assagisse un peu
même si à travers son rire tonitruant il y avait toujours chez lui du taciturne

Il était resté longtemps jeune
presque un enfant toujours ailleurs
poursuivant problèmes chimères et puis retombant sur la Terre
avec un regard étonné en essayant de compenser
maladroitement son absence par un surcroît de politesse

A vrai dire je l’ai croisé il y a juste quelques jours à quelque commémoration
je l’ai reconnu tout de suite en me disant sur le moment qu’il avait pourtant bien changé
front dégarni pas mal de ventre paupières bouffies maintes rides.

Oui de plus en plus dur d’oreille mais on ne sait exactement
quand il vous répond à côté
si c’est vraiment la surdité
ou bien distraction dérobade
car au bout de quelques instants
émergeant rieur de ses brumes
il retrouve le fil perdu

Il se plaint parfois plaisamment
ma mémoire me joue des tours
le matin quand je me promène
c’est de moins en moins longuement
le territoire que j’arpente
se rétrécit de plus en plus
j’admire au détour des chemins
les régions que je préférais

Apprendre hélas je voudrais bien c’était le plus grand des plaisirs mais le moindre appareil nouveau me rend honteux de maladresse sans parler des ordinateurs
que les enfants savent si bien
piloter dans leurs aventures
effleurant les champs du savoir

Ce qui diminue sûrement
c’est le nombre des jours qui reste à vivre
on ne peut le savoir
que lorsqu’on arrive au dernier
alors les autres se souviennent
font des calculs et aperçoivent
le moment fatal approcher
dans l’ombre des rétrospectives

Contre la mauvaise fortune
faisant bon cœur on se persuade
que ce qu’on perd d’un côté
en endurance et gaillardise
on peut le regagner ailleurs
on découvre les avantages
de la lenteur pour infiltrer
les fissures des lendemains
Ibid Je diminue

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