Nous avons bien des dossiers à voir ensemble – Entretien à la Dépêche de Tahiti

À l’occasion de sa visite au fenua, la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a accordé une interview à la Dépêche de Tahiti.
Lutte contre le décrochage, signature de la convention décennale de l’éducation et contraintes liées au morcellement géographique du territoire : Najat Vallaud-Belkacem livre la position du ministère à quelques heures de son arrivée à l’aéroport de Tahiti-Faa’a.

Quelles sont les raisons de votre venue en Polynésie française ?
Il n’y avait jusqu’à présent jamais eu de visite d’un ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en Polynésie. Il m’a donc semblé important de témoigner de l’attachement du gouvernement de la République au système éducatif polynésien. Avec le Pays, nous partageons une même ambition pour l’école qui doit faire réussir tous les enfants et donner un avenir à notre jeunesse.
La signature de la convention décennale pour l’éducation qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017 est un moment important pour la Polynésie française. Je tenais à être présente pour montrer que l’État est aux côtés du Pays. J’ai donc répondu avec beaucoup de joie à l’invitation du président Édouard Fritch.

Lors de la Journée défense et citoyenneté, les jeunes en situation d’illettrisme ou de décrochage sont repérés. Une convention État-Pays vient d’être renouvelée à ce titre. L’État compte-t-il engager davantage de moyens pour accentuer la lutte dans ces domaines et, si oui, lesquels ?
L’illettrisme et le décrochage sont en effet des préoccupations importantes pour la ministre que je suis ainsi que pour tous les acteurs de l’éducation. Nous croyons tous, je pense, à une école qui ne laisse personne au bord du chemin et sait s’adapter aux besoins des jeunes. Lors de ces Journées défense et citoyenneté, le taux d’illettrisme constaté dépasse les 30 %. Ce n’est pas une situation acceptable. Beaucoup de mesures ont déjà été mises en œuvre pour enrayer ce phénomène. Pour ces jeunes, des modules de remédiation adaptés à leur profil sont mis en place par les psychologues scolaires et les enseignants, dans le cadre de la mission de lutte contre le décrochage. Ces dispositifs sont efficaces, ils leur permettent la plupart du temps de renouer avec les apprentissages et de reprendre confiance en eux. Je tiens aussi à remercier le régime du service militaire adapté de Polynésie française pour son engagement.

Avec le Pays, vous le voyez, nous portons une stratégie et des actions communes qui s’inscrivent désormais dans le protocole relatif à la lutte contre l’illettrisme et le décrochage scolaire signé le 10 octobre entre l’État et le Pays. Mais, au-delà de ces mesures visant à traiter le décrochage lorsqu’il a déjà eu lieu, notre action doit aussi et surtout se concentrer sur la prévention du décrochage et de l’illettrisme en agissant le plus en amont possible. Les moyens alloués par l’État dans le cadre des réseaux d’éducation prioritaire renforcés (REP+) permettent au Pays de définir une stratégie de prévention de l’illettrisme et de la mettre en œuvre très tôt, à l’école élémentaire et au collège.

En matière d’études post-bac, les jeunes disposent de choix sur le territoire. Néanmoins, certains doivent partir pour suivre des filières. Doit-on s’attendre à des évolutions ou modifications en matière de continuité territoriale ou de bourses d’aide ?
Certains étudiants de Polynésie française quittent en effet le territoire pour suivre ou poursuivre la filière d’études qu’ils ont choisie. Dans le cadre des dispositifs de continuité territoriale, et notamment le passeport mobilité étude, les services du haut-commissariat contribuent à les accompagner dans cette démarche. Sous certaines conditions et en fonction de leurs ressources, la moitié, voire la totalité de leur billet d’avion (aller/retour) vers la métropole est payé par l’État. L’examen au Parlement du projet de loi égalité réelle outre-mer a été l’occasion de débattre du dispositif de continuité territoriale. L’élaboration partenariale des plans de convergence entre l’État, les collectivités et les établissements publics sera également l’occasion d’évaluer ce dispositif et de proposer des évolutions ou modifications qui pourront prendre en compte la spécificité de la Polynésie française.

Certains établissements scolaires du second degré sont vieux, vétustes. Le ministère a-t-il des projets pour soutenir la mise à niveau des collèges et lycées ?
C’est un sujet important, qui relève tout d’abord de la compétence du Pays et je sais à quel point il préoccupe le président du Pays qui a évoqué ce sujet avec moi à Paris. Depuis 2013, après deux ans d’interruption, le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a relancé le financement des investissements immobiliers. Ainsi, entre 2013 et 2016, nous avons dégagé 1,2 milliard de francs, mis à la disposition du gouvernement pour qu’il entreprenne les travaux de réhabilitation et de construction qu’il juge prioritaires. Des rénovations d’internat sont aussi engagées avec le soutien de l’État.

Le contexte géographique du Fenua impose à des jeunes de solliciter des places en internat. Certains ne trouvent pas de place et doivent chercher des solutions avec des membres de la famille qui font hôte. Que faire face à ces contraintes ? Soutenir le développement du nombre d’internats ?
Le morcellement archipélagique est en effet une donnée géographique qu’il nous faut prendre en considération. Plus qu’ailleurs sans doute, l’accueil en internat est ici une condition de la réussite scolaire, de l’accès à l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle future. Je suis parfaitement consciente de cette problématique, nous y avons beaucoup travaillé avec le gouvernement et j’aurai l’occasion de m’exprimer sur ce sujet lors de mes interventions à Tahiti. Les demandes déposées par le Pays dans le cadre du programme des investissements d’avenir trouveront leur réponse lors de ma venue.

Votre ministère considère-t-il que l’apprentissage des langues tahitiennes est suffisamment développé ?
Si l’on se fonde sur les éléments quantitatifs et sur l’offre de formation, cet enseignement apparaît bien développé. Dans le 1er degré, tous les élèves étudient les langues polynésiennes, selon une organisation pilotée par le ministère polynésien de l’Éducation, qui leur consacre de réels efforts en heures et en personnels.
J’ai, en plus, autorisé la généralisation de cet enseignement dans les classes de 6e en prévision du déploiement de la LV2 dès la classe de 5e pour tous les élèves, au lieu de la 4e auparavant. Au niveau du collège, le tahitien est aujourd’hui présent dans tous les établissements. Il est accessible à tous les élèves et apparaît comme option dans presque tous les lycées. Je me réjouis, vraiment, que cet enseignement ait été développé progressivement et soit offert à tous les niveaux.
Par ailleurs, pour ce qui concerne les contenus et la qualité de cet enseignement, de réels efforts sont engagés afin qu’une pédagogie active permette aux élèves de s’approprier la langue et la culture polynésiennes puisque les deux langues se côtoient sans cesse dans leur vie de tous les jours. Dans les années à venir, on verra sans doute naître des expériences de tahitien en discipline non linguistique (DNL) permettant par exemple d’enseigner les mathématiques en langues polynésiennes.
La réforme du collège permet d’ailleurs de placer cet enseignement au carrefour des activités des élèves, grâce à des travaux interdisciplinaires. C’est une véritable opportunité pour approfondir encore cet enseignement.

Sur le schéma directeur de la formation et de l’orientation, où en est-on ?
Nous avons engagé une réflexion d’ensemble sur la carte des formations scolaires et universitaires au niveau de ce que l’on appelle le “continuum bac-3/bac+3”, c’est-à-dire de trois ans avant le bac à trois ans après. Ce travail a pris la forme d’un rapport intitulé “Pour une meilleure cohérence de l’offre de formation en Polynésie française”, qui s’est concrètement traduit par l’adoption d’un nouveau schéma des formations en décembre 2015.
Les objectifs sont simples : nous devons d’abord réussir l’élévation du niveau d’éducation et de formation de la jeunesse polynésienne en aidant son intégration au développement de l’économie numérique. Mais il nous faut aussi faciliter l’insertion professionnelle des jeunes Polynésiens, si possible en améliorant l’adéquation entre l’offre de formation et les besoins du marché du travail. Désormais, nous déclinons donc des mesures très concrètes pour atteindre ces objectifs. Cela passe par la mise en oeuvre de la réforme du collège, par le fait de dédier les centres d’éducation aux technologies appropriées au développement (Cétad) à la préparation des diplômes post-3e et par l’accroissement du nombre de laces dans les voies générale et technologique du lycée pour soutenir l’ambition des élèves.
De même, l’offre de formation en sections de techniciens supérieurs (STS) va être développée en privilégiant le recrutement des bacheliers professionnels. Enfin, à l’Université de la Polynésie française, sont créés des diplômes universitaires de technologie (DUT) dans le domaine du tertiaire et les formations d’excellence (classes préparatoires aux grandes écoles, préparation du concours des instituts d’études politiques, etc.) vont encore être développées localement.

Comment soutenir le développement du numérique dans les collèges et lycées ?
Le déploiement du numérique éducatif est l’une de mes priorités car c’est un levier pour améliorer la réussite des élèves. J’ai tenu à ce que les établissements de Polynésie puissent prendre toute leur place dans le plan numérique du président de la République.
Le numérique est une chance, il permet de faire progresser chaque élève à son rythme, les plus en avance comme les plus en difficulté. Ici comme ailleurs, nous réussirons en agissant sur la formation des enseignants, les ressources pédagogiques numériques et l’équipement des élèves et des enseignants. En Polynésie, le vice-rectorat assiste le ministère polynésien de l’Éducation. Je vais profiter de mon séjour pour aller à Huahine, qui est la première île de la Polynésie française à être totalement connectée au numérique, tant pour les écoles que pour le collège. Le collège de Fare à Huahine est un établissement pionnier sur le plan numérique, pour lequel l’État a accompagné la Polynésie française. Les élèves et les enseignants de ce collège sont déjà équipés et des ressources pédagogiques numériques sont mises à leur disposition. Surtout, les enseignants de l’établissement bénéficient d’une formation spécifique aux usages pédagogiques du numérique. Et le Pays a pris en charge la restructuration des réseaux informatiques et les travaux d’aménagement. De la même manière, toutes les écoles de Huahine bénéficient de tablettes, à la demande du maire, qui contribue à hauteur de 50 % des investissements que cela nécessite. La généralisation de ces dispositifs à l’ensemble de la Polynésie sera progressive. D’ores et déjà, plus d’une dizaine de collèges polynésiens utilisent des dispositifs tels que D’Col, qui permet de mieux accompagner les élèves en difficulté de CM2 et de 6e.


Propos recueillis par Yan Roy pour la Dépêche de Tahiti

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2 commentaires sur Nous avons bien des dossiers à voir ensemble – Entretien à la Dépêche de Tahiti

  1. الجمهورية اليمنية

    أرجوكي سيدتي بأن اتصلي بي ضروري أنا محامي متضرر من الحرب الحالية في اليمن قصف منزلي وتوفيت زوجتي و ولدي وأرغب في الحصول على منحة دراسية لدرجة الماجستير مجانا في القانون الدولي

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