Au Forum mondial de la démocratie à Strasbourg : devenir citoyen, ça s’apprend

Éducation nationale Publié le 7 novembre 2016

Najat Vallaud-Belkacem a ouvert lundi 7 novembre, avec la Première ministre de Norvège, le Forum mondial de la démocratie 2016, au siège du Conseil de l’Europe à Strasbourg. Le thème cette année “Démocratie et égalité : que peut l’éducation?” interroge sur la capacité de l’école à former à la citoyenneté. Lire le discours de la ministre :

Monsieur le Secrétaire général,
Madame la Première ministre de Norvège,
Monsieur le Maire de Strasbourg,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs en vos titres, grades et qualités,

Si nous regardons la situation actuelle, nous voyons, autour de nous, s’accumuler les défis.

Ces défis sont immenses. Ces défis sont, pour nous, pour l’Europe, autant d’épreuves.

Nous voyons la montée des populismes et des nationalismes. Ils germent sur les terreaux toujours fertiles des craintes, des incertitudes et des peurs des lendemains. Nous voyons aussi la réalité de ces populations entières jetées sur les routes de l’exil. Elles viennent chercher en Europe un refuge, une terre d’asile, la possibilité d’une vie nouvelle.

Oui, nous revivons le temps des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, des génocides.

Oui, nous voyons le monde se replier dans des visions fermées, autarciques, nationalistes, avec leur cortège sordide de privation de liberté, la mise sous silence de journalistes, la négation la plus violente des droits les plus essentiels de notre commune humanité.

C’est un tableau noir que je dresse. Mais c’est la réalité de l’époque et du défi qui se pose face à nos démocraties.

De la gravité de la situation, nous sommes toutes et tous conscients. De son exigence, aussi, et des responsabilités qui sont les nôtres. Devant de tels défis, nous entendons s’élever des voix qui prônent le repli sur soi, la peur et l’exclusion.

Nous sentons que la tentation est grande, à l’intérieur même de nos pays, de transiger sur les principes, au nom d’un soi-disant réalisme.

Mais il est une chose que l’histoire de l’Europe nous apprend. C’est que l’Europe, devant les défis passés, les a toujours relevés, non par la compromission et le reniement, mais par la résistance aux obscurantismes, par plus de valeurs et plus de démocratie.

C’est pourquoi je veux souligner l’importance et la pertinence que revêt, aujourd’hui, ce 5ème Forum mondial de la démocratie.

Regardons autour de nous. Nous voyons des défis et des crises. Mais nous voyons aussi une ville, Strasbourg, dont l’histoire doit être pour nous une inspiration, aujourd’hui.

Louise WEISS le disait : “C’est à Strasbourg que l’esprit européen est le plus ouvert et le plus pur”.

C’est pour cela que je salue la tenue, ici, de ce Forum Mondial. Un Forum qui est l’occasion de souligner l’importance de notre mission commune, et je veux saluer et remercier ceux qui l’ont initié et organisé : merci, en particulier, au Conseil de l’Europe, et à son Secrétaire général, M. Thorbjorn JAGLAND, ainsi qu’aux équipes mobilisées au sein de l’Organisation pour assurer la réussite de cet événement.

Je salue également les co-organisateurs de ce Forum : la Ville de Strasbourg, son maire, M. Roland RIES, la Région Grand Est.

Enfin, cet événement a été soutenu par le Gouvernement français, et je remercie en particulier M. Jean-Baptiste MATTÉI, Ambassadeur et Représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe.

Je salue également la présence parmi nous de Catherine LALUMIÈRE dont nous connaissons la force de l’engagement pour la défense des principes fondamentaux de démocratie, pour la solidarité et pour la paix.

Les démocraties européennes ont été, ces derniers mois, ces dernières années, atteintes en plein cœur : il y a eu Paris, Copenhague, Bruxelles. Il y a eu, encore avant, Londres et Madrid.

Ces attentats qui ont frappé l’Europe ont cherché, à travers elle, à atteindre la Démocratie. A la faire vaciller.

Au lendemain de la première guerre mondiale, Paul Valéry écrivait : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »

Eh bien je crois qu’aujourd’hui, nous, démocraties, nous rendons compte que nous sommes mortelles. Nous nous rendons compte, et le Président de la République l’avait rappelé avec force devant vous, que le mouvement est réversible. La démocratie n’est jamais acquise – c’est un combat quotidien.

Le Président de la République a rappelé, il y a quelques jours, ici même, devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, l’attachement que la France porte à l’Organisation, parce que, je le cite : “vous faites progresser l’État de droit, parce que vous permettez de garder de manière vigilante les engagements que nous avons pu prendre.”

Je ne peux que vous redire à quel point nous avons besoin de vous, et je salue l’engagement du Conseil de l’Europe pour promouvoir l’État de droit et la démocratie.

J’ai  suivi depuis longtemps déjà l’action conduite par le Conseil de l’Europe en matière d’éducation. Elle a inspiré les États membres.

Je pense à la promotion du dialogue et de l’entente interculturelle ; au développement de la diversité linguistique et du plurilinguisme ; à la reconnaissance des qualifications – dans le cadre de la convention élaborée par le Conseil de l’Europe et l’Unesco, et cette Convention de Lisbonne est plus que jamais d’actualité dans le contexte de la crise des réfugiés.

Je pense, enfin, bien sûr à l’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’homme.

Former le futur citoyen, ce n’est pas un programme abstrait. C’est un enjeu concret, pour lequel nous avons besoin d’outils et de cadres précis. C’est pour cette raison, je l’ai dit lors de la conférence ministérielle de Bruxelles en avril 2016, que les États membres regardent avec attention le développement d’un nouveau “cadre de compétences pour une culture de la démocratie”.

Il pose clairement les bases d’un travail collectif pour nous permettre de répondre à la formidable aspiration de nos sociétés civiles à participer à la construction européenne et à ré-enchanter son modèle démocratique.

Le cadre proposé rejoint l’approche développée en France dans le nouveau socle de connaissances, de compétences et de culture, dont l’un des piliers concerne “la formation de la personne et du citoyen”.

Je serais donc particulièrement attentive à la progression de ce projet, ainsi qu’au développement du projet d’ “éducation à la citoyenneté numérique” qui sera prochainement élaboré par le conseil de l’Europe.

Si j’y suis attentive, c’est qu’il y a une convergence avec la politique que nous menons aujourd’hui en France pour l’éducation à la citoyenneté.

De la loi de Refondation de l’École de la République de juillet 2013 à la mobilisation de l’École pour les valeurs de la République de janvier 2015, nous avons porté et défendu une conception renouvelée et une ambition renforcée de l’éducation à la citoyenneté.

Nous l’avons fait, d’abord dans les textes : l’article 12 de la loi de Refondation précise, je cite : “au titre de sa mission d’éducation à la citoyenneté, le service public de l’éducation prépare les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie”.

Nous l’avons fait dans le socle commun de compétence, de connaissance et de culture, qui est un engagement que la Nation prend envers ses élèves et leurs familles.

Et nous l’avons fait dans les enseignements, avec en particulier la mise en place du Parcours Citoyen.

La création du parcours citoyen s’inscrit dans une histoire en deux temps.

Ce Parcours vient, en partie, de la Refondation de l’École. Était alors envisagé, par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École du 8 juillet 2013, un enseignement moral et civique, ainsi que l’inscription, dans le socle commun, de “la formation de la personne et du citoyen”.

Mais cet enjeu, important, devint une question brûlante au lendemain des attentats de janvier 2015.

Au sein de la grande mobilisation pour la défense des valeurs de la République, il fut alors décidé d’instaurer un parcours. Son objectif, pour être clair, n’en était pas moins complexe : former, au sein de l’École, un citoyen.

Et l’ensemble des personnels concourant à l’éducation à la citoyenneté – enseignants, personnels d’éducation, d’encadrement notamment – disposent aujourd’hui d’un texte cadre – une circulaire parue en juin 2016 au Bulletin officiel de l’éducation nationale – qui précise les grands objectifs de formation, les modalités de pilotage et de mise en œuvre de ce parcours citoyen.

Le parcours citoyen envisage l’apprentissage de la citoyenneté comme un parcours cohérent : il se déploie à la fois dans le cadre des enseignements, dans celui de l’école, et se prolonge vers la société dans son ensemble.

Il s’appuie sur des enseignements spécifiques, l’Enseignement Moral et Civique et l’Éducation aux Médias et à l’Information, mais aussi sur la vie scolaire en tant que telle.

Lieu de vie, l’École doit permettre, en fonction de l’âge des élèves, d’exercer la démocratie : ce peut être la réflexion menée par des élèves de primaire sur les règles de la classe, ou, dans les collèges et les lycées, au sein des instances et des conseils prévus par les textes : conseil de la vie collégienne ou conseils de classe.

Ce sont autant d’occasions, pour nos élèves, de développer, au jour le jour, une pratique citoyenne et je prends soin à donner, à l’engagement des élèves, une importance particulière.

La citoyenneté est aussi un savoir-faire et un savoir-être. Son apprentissage ne s’arrête donc pas aux murs de l’École.

Le parcours citoyen intègre, par exemple, la visite des institutions et des services publics; la rencontre avec des réservistes citoyens – et Strasbourg, je tiens à le souligner, est la première ville à avoir rejoint la réserve citoyenne en qualité d’ambassadeur.

Ce parcours c’est aussi la visite de lieux de mémoire, la participation à des concours comme celui de la Résistance et de la Déportation ou celui sur la mémoire de l’esclavage, des traites et de leur abolition que nous avons créé il y a deux ans et appelé « La Flamme de l’égalité ».

Ces trois dimensions du Parcours Citoyen, dans les enseignements, dans l’École et dans la société, remettent l’École au cœur de la République, et la République au cœur de l’École.

Alors, dans les connaissances, certaines sont transmises dans des cadres spécifiques, comme l’enseignement moral et civique.

Mis en œuvre dès la rentrée 2015, il se décline de l’école élémentaire au lycée.

Il contribue à la construction d’une culture morale et civique qui prend en compte  quatre dimensions : la sensibilité qui vise à l’acquisition d’une conscience morale ; la règle et le droit ; le jugement ; et l’engagement.

Mais je veux aussi insister la dimension interdisciplinaire : l’ensemble des disciplines participe à la formation du citoyen, notamment l’Histoire et la langue française.

Dans l’édification du commun, de ce qui nous rassemble, l’Histoire joue un rôle essentiel.

Connaître l’histoire c’est comprendre le lent processus qui nous a conduits là où nous en sommes, et qui a donné à la France le visage qui est le sien aujourd’hui. La citoyenneté se forge par un passé commun, et un passé connu, jusque dans ses zones d’ombre.

Car dans les heures les plus sombres, se sont aussi élevés des plaidoyers vibrants au nom de l’égalité, de la liberté et de la fraternité.

Oui, c’est du spectacle des horreurs passées qu’est née, pour nos prédécesseurs, l’ardente nécessité de fonder la République. Ce sont ces horreurs aussi qui ont nourri le rêve européen.

Et cela a pris du temps. Et cela a été un chemin ponctué de rechutes, d’excès, et de violences.

Mais c’est ce chemin qui nous a menés là où nous sommes aujourd’hui. Et les troubles et les crises de notre époque ne doivent pas nous faire oublier l’ampleur de qui a été accompli, et les réussites de la démocratie.

Oui, le présent est plein de défis et de bouleversements : mais il est aussi un plaidoyer vibrant pour notre Démocratie.

Et en abordant la question du plaidoyer, je tiens à insister sur le second élément qui donne à la citoyenneté toute sa force : la langue française.

Oui, la langue est importante. Pour créer du commun. Pour débattre. Créer du commun, ce n’est pas créer de l’uniformité. Il suffit de fréquenter quelques-uns de nos lieux les plus profondément démocratiques – au hasard, l’Assemblée Nationale – pour se rappeler que l’Agora et le Forum n’ont jamais été des lieux calmes et paisibles.

Ils étaient agités, parcourus de paroles et de bruits, d’éclats de voix et de controverses. Mais l’on discute d’autant plus vivement que les fondations qui permettent le débat et l’échange sont solides.

Ne plus dialoguer, c’est la fin de la démocratie. Ne plus échanger, c’est fragmenter et diviser l’édifice Républicain, c’est favoriser le repli sur soi, au lieu de mettre en place les conditions d’un rassemblement.

L’Histoire et la langue française, sont, pour le parcours citoyen, des assises solides : mais n’oublions jamais la singularité de notre époque.

C’est dans le présent que la citoyenneté s’exerce ! Un présent qui est au cœur d’une révolution technologique qui façonne, dans notre relation avec les médias et l’information, de nouvelles manières d’être et de percevoir ceux-ci.

L’Éducation aux Médias et à l’Information a donc toute sa place dans ce parcours citoyen.

Comment envisagerions-nous l’avenir de nos démocraties sans aiguiser l’esprit critique des générations futures ? Sans les éveiller au rôle fondamental de la presse et des médias dans l’équilibre des contre-pouvoirs qui fonde l’esprit-même de nos démocraties ?

Cette éducation aux médias et à l’information s’avère d’autant plus indispensable face aux menaces qui pèsent aujourd’hui sur la liberté d’expression et sur le droit des journalistes à exercer pleinement leur métier.

A l’heure où la propagande est à portée de clic, il est essentiel de donner à nos élèves une capacité à prendre du recul et un esprit critique. C’est le sens de l’éducation aux médias et à l’information

L’École, vous le voyez, peut beaucoup. Mais elle ne peut pas tout, toute seule. Il nous fallait          aussi l’ouvrir à la société civile. C’est ce que nous avons fait, et les expériences menées sont plus que concluantes.

L’École devait assumer son rôle de pilier de la République, autour de laquelle une grande mobilisation pouvait se réaliser.

Cette mobilisation, elle se poursuit aujourd’hui dans la mobilisation des réseaux et des ressources de l’Éducation Nationale et de ses partenaires pour l’accompagnement des publics migrants et de toutes les personnes bénéficiaires d’une protection internationale dans notre pays.

Avec un objectif : permettre à ces femmes, à ces hommes, à ces enfants jetés sur les routes de l’exil, d’avoir les rudiments de la langue, de ce que sont les valeurs de la République, de la manière dont fonctionne notre société.

Devenir citoyen, donc, n’a rien d’inné : cela s’apprend.

C’est un processus complexe et exigeant que nous devons soutenir : par la mise à disposition de ressources pédagogiques ; par l’accompagnement de nos personnels ; mais aussi par une réflexion plus large sur l’évaluation de l’acquisition des compétences civiques et sociales – et nous rejoignons ici les préoccupations du Conseil de l’Europe sur le cadre de compétences pour une culture démocratique.

Sur un tel sujet, nous devons agir à tous les niveaux. La complémentarité des différents niveaux d’approches entre les organisations internationales est une force et une chance.

Oui, nous avons besoin à la fois du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne, de l’UNESCO et du G7.

La preuve de cette complémentarité, je la vois dans la façon dont j’ai pu porter, lors du récent G7 de l’éducation qui s’est tenu en mai 2016 au Japon, les thèmes défendus par le Conseil de l’Europe : je pense à la lutte contre l’extrémisme violent, à l’éducation au vivre ensemble et à l’apprentissage de la citoyenneté démocratique.

Et la Déclaration de Kurashiki, adoptée à cette occasion, trace une feuille de route qui met en avant le rôle de l’éducation à la fois pour lutter contre l’extrémisme et la radicalisation mais aussi pour transmettre et enseigner les valeurs qui sont les nôtres. Et dans ce combat, par l’Education et pour l’Éducation, nous pouvons compter sur l’UNESCO dont la directrice générale s’exprimera devant vous cet après-midi.

Et en retour, l’UNESCO a besoin de l’engagement des pays membres pour défendre et promouvoir la démocratie dans le monde.

La France est particulièrement impliquée dans le processus de mise en œuvre du nouvel objectif mondial pour l’éducation (ODD 4) défini dans le cadre de l’Agenda 2030 des Nations-Unies pour le développement durable. Son but ? Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, et promouvoir l’apprentissage tout au long de la vie.

Agir au niveau mondial est important. Au niveau européen, aussi. Sur la question de l’éducation à la citoyenneté, l’Europe, berceau de la démocratie, a un rôle essentiel à jouer.

Nous avons, après les attentats de janvier 2015,  pris un engagement, qui s’est traduit par la Déclaration de Paris, sur,  je cite, “la promotion de l’éducation à la citoyenneté et aux valeurs communes de liberté, de tolérance et de non-discrimination”.

Nous y avons réaffirmé des valeurs, qui sont au cœur de la mission du Conseil de l’Europe, au cœur des conventions et des textes fondateurs qui nous unissent

La démocratie s’apprend, elle se transmet, elle se défend –  et surtout elle se vit au quotidien. Et c’est un moment essentiel de cette vie démocratique que ce forum.

Je vous souhaite donc, à toutes et à tous, d’excellents travaux. Je serai, vous vous en doutez, particulièrement attentive aux conclusions de ces trois journées passionnantes, et comme j’évoquais le forum et l’agora, je suis, évidemment, dès maintenant, heureuse de pouvoir échanger avec vous sur ce sujet.

Je vous remercie.

Najat Vallaud-Belkacem
Ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Photos © Philippe Devernay / MENESR

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4 commentaires sur Au Forum mondial de la démocratie à Strasbourg : devenir citoyen, ça s’apprend

  1. Smail

    Moi je veux l’imprimer et l’afficher sur les murs des institutions étatiques de l’autre rive de la méditerranée en particulier en Algérie

  2. Allaoui Soihib ACHIRAFI

    Bonjour! Madame la Ministre Belkacem
    Toutes mes félicitations pour cette intervention aussi enrichissante que revêt l’importance du thème abordée. J’espère que tout le monde tirera les leçons et se mettra au travail pour des Gouvernements démocratique mondiaux.
    Mes encouragements les plus vifs.

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