Être malthusien à tout prix comme le réclament les tenants de la sélection pure est absurde – Entretien à L’Opinion

Défendant la démocratisation exigeante de l’enseignement et la lutte contre les inégalités scolaires, la ministre de l’Éducation nationale met en garde François Fillon et Emmanuel Macron contre « cette autonomie si séduisante pour ceux qui ne comprennent pas grand-chose à la notion de “service public” [et qui] ne ferait qu’accroître les inégalités en privant la puissance publique de son outil de pilotage et de garantie de l’égalité de traitement. »
Retrouvez ici l’interview accordée par Najat Vallaud-Belkacem au journal L’Opinion :

Pourquoi qualifiez-vous le texte sur la sélection en master de compromis historique ?
J’ai toujours déploré que la réforme LMD adoptée il y a près de 15 ans ne soit jamais allée jusqu’au bout de sa logique. De gouvernement en gouvernement, dans l’incapacité de trouver une autre solution que la sélection sèche entre licence et master, on a laissé prospérer une situation insupportable pour les étudiants. Avec une loi qui disait « pas de sélection » et une pratique qui en avait installé une de fait, et au moment le plus absurde du parcours, entre le M1 et le M2. C’est le parcours kafkaïen de ces étudiants ainsi freinés brutalement alors qu’ils avaient validé leur M1, et obligés de recommencer une année sans aucune certitude qu’il y aurait davantage de place pour eux en M2 l’année suivante, qui m’a convaincue qu’il fallait agir. Non pas comme par le passé en cherchant à imposer à tout prix une solution aux acteurs. Universités contre étudiants, étudiants contre universités. Mais en les forçant à se parler et à rapprocher le plus possibles leurs positions. Le fait que j’engage le ministère en garant que la solution trouvée au final serait accompagnée comme il le fallait a évidemment aidé. Ce qui rend ce compromis inédit, c’est donc tout simplement qu’il est désormais signé et défendu par tous les acteurs à l’unisson.

En créant un « droit à la poursuite des études », n’avez vous pas vidé la sélection de sa substance ?
Non. Les responsables de master auront désormais la possibilité de recruter, au sein de leurs masters, les étudiants qui ont le niveau académique ou le projet professionnel les plus aboutis. Et ce pour un master complet de 4 semestres. Mais quid de ceux qui, détenteurs d’une licence, ne sont pas reçus dans le master de leur choix ? Plutôt que de laisser faire la main invisible du marché, qui, on le sait, se retourne toujours contre les mêmes : les moins informés, les moins aidés, les moins fortunés quand il s’agit d’aller étudier à l’autre bout de la France, j’ai souhaité que la puissance publique se pose là en garante.
De leur possibilité de poursuivre en master s’ils le souhaitent : il reviendra au recteur de leur faire d’autres propositions cohérentes avec leur parcours. Garante aussi de conditions d’études dignes : si cette poursuite doit se faire loin du domicile, elle sera pour les étudiants aux faibles ressources aidée financièrement. Soyons clairs : nous ne souffrons pas d’un surplus de diplômés de master dans notre pays mais au contraire d’une insuffisance. 8% contre 11% dans l’OCDE. Vouloir être malthusien à tout prix comme le réclament les tenants de la sélection pure est absurde.
Il existe beaucoup de masters en France prêts à accueillir les accueillir, Il s’agit de bien orienter chacun. Mais empêcher de se qualifier davantage quelqu’un qui le souhaite, non. Ce serait un sacré gâchis pour notre pays que d’investir sur un étudiant jusqu’à sa licence, puis de le lâcher en rase campagne alors que celle-ci ne conduit pas nécessairement à un emploi. Notre économie a en plus tout à gagner de voir de multiples compétences s’épanouir dans un haut niveau de qualification plutôt que de concentrer cela sur un petit nombre d’étudiants. C’est un peu comme si on venait nous expliquer qu’il valait mieux un bon monopole que l’émergence de multiples start-up innovantes. Pourquoi les libéraux qui comprennent bien ce second raisonnement refusent de faire leur le premier ?

Ne faut-il pas alors donner plus d’autonomie aux établissements scolaires comme le préconise notamment François Fillon ?
Vous savez ce dont j’aurais rêvé ? Qu’au lendemain des résultats de PISA, le 6 décembre, nous puissions tenir une conférence de presse commune, droite -gauche, pour commenter rationnellement les résultats, c’est-à-dire sans mensonges sur la période qu’ils évaluent (l’avant refondation de l’école). Et qu’ensuite, nous engagions le débat sur de vrais sujets, pourquoi pas la question de l’autonomie en effet, plutôt que de perdre du temps sur des polémiques sans intérêt comme l’uniforme à l’école ou les contrevérités sur les cours d’histoire. Dans un tel débat, les français pourraient comprendre les différences fondamentales entre nous. Monsieur Fillon expliquerait son projet de donner une autonomie totale aux établissements, même aux écoles primaires, en leur permettant de recruter eux mêmes les enseignants. Je lui répondrai qu’une telle concurrence entre établissements serait bien évidemment très profitable à ceux des beaux quartiers qui auraient les moyens d’attirer les meilleurs professeurs, bien moins à ceux des quartiers défavorisés où se multiplieraient les déserts éducatifs. Cette « autonomie » si séduisante pour ceux qui ne comprennent pas grand-chose à la notion de « service public » (et j’entendais Monsieur Macron partir dans les mêmes errements) ne ferait qu’accroître les inégalités en privant la puissance publique de son outil de pilotage et de garantie de l’égalité de traitement.

Notre système éducatif est pourtant l’un des plus inégalitaires de l’OCDE…
Oui, et de ce point de vue, la décennie 2000, sous les majorités de droite, a été catastrophique. La France est le pays de l’OCDE où l’on a, durant cette période, le plus réduit notre dépense intérieure d’éducation alors que les autres pays l’augmentaient. Plus encore, lorsque je me suis plongée dans les archives, quelle ne fut ma surprise de découvrir que les fameux 80000 postes supprimés à partir de 2007 ne l’ont pas été uniformément sur tout le territoire ! Que l’on avait bien davantage sabré dans des territoires socialement fragiles à la démographie pourtant galopante (typiquement la Seine-Saint-Denis) que dans des académies plus aisées. Sans doute parce que c’était là qu’on savait le moins faire entendre ses protestations ! Le pays enfin où la question des inégalités scolaires a le moins été travaillée. Certes, les zones d’éducation prioritaire existaient depuis Savary. Mais rien n’a été fait par exemple pour adapter leur carte à la réalité sociale évolutive. On s’est contenté d’empiler les territoires et les dispositifs, de saupoudrer les moyens, en oubliant de fixer des exigences et d’y accompagner les enseignants véritablement. Au final, cette politique illisible a profondément porté préjudice à l’éducation prioritaire. A cela vous ajoutez les incroyables errements du quinquennat de MM. Sarkozy et Fillon : une formation des maitres qui disparait, une demi-journée d’école en primaire rayée d’un trait de plume… Tout ça est évidemment dramatique pour les apprentissages des enfants, et c’est cela que disent les derniers résultats PISA.

Pourquoi pensez-vous que vos réformes obtiendront de meilleurs résultats ?
Mais parce qu’elles répondent aux vrais problèmes du système scolaire français , et pas à des fantasmes. Que nous dit PISA ? que le niveau des élèves français serait loin d’être mauvais sil n’était pas tiré vers le bas par une inégalité affligeante de destins scolaires, pour l’essentiel liée aux conditions économiques et sociales des enfants. En d’autres termes, le jour ou on se sera assurés de conduire réellement vers la réussite scolaire les enfants de familles défavorisées, ce jour là la France renouera avec l’excellence scolaire ! Or c’est précisément la priorité de toutes les réformes conduites depuis 2012 : Investir massivement, créer des enseignants, les inciter à travailler ensemble, modifier les programmes pour s’assurer que tous les enfants acquièrent bien les apprentissages. Nos détracteurs nous font un stupide procès en « égalitarisme ». Mais c’est exactement le contraire que nous faisons. Savez-vous que pour la première fois, j’ai décidé à partir de 2015, de ne pas allouer des moyens identiques à tous les établissements scolaires en fonction de leur seule démographie ? Pour donner réellement plus à ceux qui sont les plus fragiles socialement. (consultez la répartition des postes de la rentrée prochaine pour le constater). Savez-vous que j’ai rompu avec l’uniformité du concours d’enseignant pour permettre à des candidats de France entière de passer le concours exceptionnel pour la Seine-Saint-Denis ? Pour donner plus de chance à ce département de pourvoir les postes qui restaient vacants jusqu’alors faute de candidats. Et ça marche ! Savez vous qu’un enseignant qui exerce dans l’éducation prioritaire est (depuis la réforme que j’ai faite en 2014) bien mieux payé que ses collègues, et le sera  plus encore avec les nouvelles règles de carrière (ppcr) qui entrent en vigueur en janvier ? Qu’en fin de carrière quelqu’un qui y a passé 8 ans pourra même avoir jusqu’à 1000 euros de plus par mois?  Un observateur attentif comprendra aisément que c’est tout sauf l’égalitarisme et bien au contraire, et enfin, l’adaptation au réel et une inégalité des moyens assumée pour atteindre une véritable égalité des opportunités de réussite. Donc non, le procès en égalitarisme ne tient pas une seconde. Mais ceux qui le portent et réclament « qu’on arrête de traiter tout le monde pareil » ont évidemment autre chose que ce que je vous décris là en tête : ce qu’ils voudraient eux, c’est qu’on donne plus à ceux qui ont déjà tout (d’où ce discours récurrent sur « l’élite ») quand j’estime moi que c’est en traitant mieux la difficulté scolaire qu’on élèvera le niveau de tout le monde. Y compris des meilleurs. L’OCDE ne dit pas autre chose, elle qui reconnait que notre politique en la matière depuis 2012 va enfin dans le bon sens. Et que ses effets ne pourront évidemment être mesurés que lorsque les enfants concernés auront réalisé la totalité de leur scolarité dans ce nouveau cadre, c’est-à-dire en 2021 au bas mot si on ne considère que la réforme du collège. A condition évidemment qu’une autre majorité ne vienne pas découdre tout ce que nous avons fait.

N’avez vous pas fait trop de réformes, trop vite ?
Oui nous avons fait beaucoup de réformes dans ce quinquennat. Trop vite ? Donner du temps au temps, dans notre système où l’on risque une alternance tous les cinq ans, c’est finalement renoncer à jamais aux réformes indispensables. Et puis quand on est ministre de l’Education, on doit faire face à des injonctions paradoxales. On nous dit qu’on a trop réformé, mais voyez les lycées de l’éducation prioritaire qui déplorent qu’on ne les ait pas réformés eux… Ce que je retiens, c’est que les équipes des niveaux réformés (écoles, collèges) ont en effet été très fortement sollicitées. Et qu’il faut s’engager auprès d’elles à ne plus venir toucher à rien durant les prochaines années, pour les laisser s’approprier les réformes et faire leur travail .

Avez vous songé à vous présenter aux primaires ?
Chacun se demande quoi faire dans ces moments là. Il m’est apparu inutile d’ajouter du trouble, et de diviser plus encore le vote « social-réformiste ». Bien plus pertinent de soutenir un candidat qui me semble bien positionné pour l’élection présidentielle parce qu’il a l’expérience et les qualités tout simplement. Le gouvernement a bien fonctionné lorsque M. Valls était Premier ministre, nous avons mené un travail collectif, il a soutenu les membres de son équipe sur des dossiers difficiles, démontrant ainsi qu’il saurait demain, s’il est désigné, et mener le combat et gouverner. C’est la seule chose qui m’importe.

 


Propos recueillis par Irène Inchaupsé pour L’Opinion.

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3 commentaires sur Être malthusien à tout prix comme le réclament les tenants de la sélection pure est absurde – Entretien à L’Opinion

  1. Robin-Lecourt

    Bravo et respect à vous. Vous êtes une femme brillante, une Ministre courageuse et tenace. Continuez, nous vous soutenons !

  2. LANCIEN Dominique

    Bravo Najat ! Oui ! Tous les Français(es) doivent bien Réaliser la Catastrophe qu’Ils provoqueront pour Toute la France et Sa Jeunesse si Capricieusement,Ils remettent de la Droite au Pouvoir !!!

  3. Hassan

    Il n’y a donc rien de dérisoire, de diffamatoire, d’illusoire, d’aléatoire…

    Bien à Vous…

    Merci…

Commentaires fermés.