Les bonnes feuilles de «La vie a plus d’imagination que toi» – 20 Minutes

Presse À la une Publié le 24 février 2017

« 20 Minutes » a obtenu en avant-première des extraits du livre de la ministre de l’Education…

« Je m’étais juré que je ne raconterais pas, jamais », écrit Najat Vallaud-Belkacem dans La vie a plus d’imagination que toi, son autobiographie, qui paraît ce mercredi 1er mars chez Grasset et dont 20 Minutes publie en avant-première quelques extraits. Car cet ouvrage a de quoi surprendre chez cette personnalité politique, habituellement adepte de la discrétion sur sa vie privée et qui a toujours refusé d’apparaître comme le porte-drapeau de la diversité.

« Mais je ne m’appartiens plus tout à fait », écrit-elle, expliquant qu’elle souhaite apporter sa vérité pour ne pas laisser la parole à ceux qui « racontent, imaginent, affabulent ». « L’idée, c’est de parler de la France. De ma France, de la nôtre », ajoute-t-elle, car son parcours « dit quelque chose de notre pays », indique-t-elle à 20 Minutes.

Son enfance
Née au Maroc, Najat Vallaud-Belkacem y a vécu avec ses six frères et sœurs, dans une maison sans eau et sans électricité. « Quand on n’a pas eu l’eau courante, pendant des années, on est un peu différent », confie la ministre, fortement marquée par les premières années de sa vie. Elle raconte aussi son arrivée en France à l’âge de 5 ans, sans parler français. Et l’effort qu’il a fallu à toute sa famille pour trouver sa place dans ce nouveau pays : « Quand on a connu l’exil, même un exil relativement doux, sans guerre, on met toutes ses forces dans la vie. Il faut s’adapter. S’accoutumer au climat, aux routes, aux noms, au rythme, aux mœurs, s’accoutumer à la langue, mais aussi au langage invisible, du corps, des odeurs, des regards ». « Mon père disait toujours : « ne faites pas de vagues. On doit être une famille respectable »», ajoute-t-elle, expliquant que le clan a vécu « un peu en vase clos ». Autre confidence étonnante, elle explique n’avoir jamais appris à nager : « Je ne sais toujours pas, d’ailleurs. Je me demande si c’est la peur ou le sentiment qu’il est un peu tard pour s’y mettre ».

L’ascension sociale
« Nos parents rêvaient pour nous d’un autre destin », explique Najat Vallaud-Belkacem. Bonne élève, elle fait trois ans de droit, avant de réussir le concours de Sciences Po. « Jamais je ne me serais imaginée là. Comme dit toujours ma mère, “La vie a plus d’imagination que toi, ma fille !” », commente-elle. Et selon elle, son parcours doit pousser d’autres jeunes de diverses origines à lutter contre l’autocensure : « Ne vous excusez jamais d’être là où vous êtes arrivés. Ne vous excusez jamais de vouloir aller toujours plus loin et toujours plus haut. L’ambition est la richesse des pauvres. Et restez fidèles à ce que vous êtes », recommande-t-elle.
Mais la ministre de l’Education explique que prendre l’ascenseur social l’a aussi isolée : « Parfois, il m’est arrivé de ne me sentir à ma place nulle part. Je n’étais ni tout à fait partie d’Amiens, ni tout à fait à Paris. Parfois, il y a eu des repas de famille où mon opinion a été celle de l’élite, des puissants. Des repas au cours desquels les miens m’ont dit : “on ne te comprend plus. Tu es une Parisienne maintenant”. Et inversement, il m’est arrivé de me sentir en profond décalage auprès de mes camarades de Sciences Po. Parce que je ne sortais pas le soir. Parce que je travaillais jusqu’à plus soif, trop convaincue que je devais redoubler d’efforts pour prouver que j’étais bien à ma place », confie-t-elle.

Le racisme
Elle explique y avoir été confronté lors de son entrée en politique. « On me dit, aujourd’hui encore, “mais que veux-tu, les délinquants sont souvent des Arabes, c’est ainsi, c’est la vie. Sois réaliste”. Je crois même avoir entendu et vu cela à la télévision, dans la bouche d’analystes très pointus. Et très malins. “Toi, bien sûr, Najat, c’est pas pareil, c’est différent”. Cette dernière phrase est la pire, et elle est la preuve même. Une généralité contredite par une seule personne, une vérité déjugée par celle qui l’écoute, en est blessée, affreusement irritée, et surtout : en est témoin », s’offusque-t-elle.
« Si je n’ai pas voulu me faire le porte-drapeau de cet unique combat-là ; si j’ai refusé de me laisser assigner une unique étiquette, « la voix des banlieues », si je suis une généraliste, comme on le dit d’un médecin, et pas une spécialiste, par contre, on vient vers moi, la maturité aidant, j’ai compris qu’il me fallait être une passeuse », poursuit-elle.

Le déclic son engagement politique
En 2002, elle ne vote pas au premier tour de la présidentielle, car elle est en vacances. Et Jean-Marie Le Pen est au second tour. Elle s’en veut : « J’en ai pleuré de rage (…) Quelque temps après, je me suis inscrite au Parti socialiste. Et je me suis donnée tout entière au combat politique », explique-t-elle. Un engagement qui lui permet d’intégrer peu après le cabinet du maire de Lyon, Gérard Collomb.

Son mari et ses enfants

Elle a rencontré Boris Vallaud à Sciences Po et ne l’évoque quasiment jamais publiquement. Mais dans son ouvrage, elle brosse de lui un portrait dithyrambique : « Boris, c’est la France, dans sa splendeur et son humanité ; universel, engagé, neutre. Il incarne les gens qui ne cherchent pas ou ne voient pas les différences : bien sûr, il s’est intéressé à ma famille, à notre histoire, à mon origine. Mais comment dire ça ne comptait pas (…) Chez lui, jamais d’ombre dans les relations humaines, jamais de sens caché. Juste un homme authentiquement bon ».
De même, la ministre de l’Education évoque à plusieurs reprises ses jumeaux, Nour et Louis : « Depuis ce hasard de la gémellité, je n’ai cessé d’en remercier le destin, y voyant d’abord l’assurance que vous n’êtes jamais seuls, même durant les longues absences de vos parents. ».

La religion
Elle raconte l’effroi après l’attentat de Charlie Hebdo : « Comment ne pas défaillir d’une douleur redoublée, ce matin du 7 janvier 2015, en entendant ces mots empoisonnés des assassins de Charlie : ” On a vengé Mahomet ” ? Comment ne pas se sentir salie, ravagée trahie, honteuse malgré soi, quand on a grandi dans cette foi ? », confie-t-elle.
« Oui, il y a une nécessité urgente que l’islam et ses responsables combattent en leur sein le cancer obscurantiste. Mais cela n’a rien à voir avec l’injonction qui a pu être faite aux musulmans de se désolidariser des terroristes. Cette injonction est scandaleuse. Pace qu’elle présuppose une complaisance généralisée. Alors que c’est l’inverse : la révulsion des musulmans pour les attentats doit être un levier, non pas de stigmatisation, mais de mobilisation du pays, de tout le pays soudé autour de ces valeurs que les terroristes abhorrent (…)», poursuit-elle. D’autant que la ministre écrit avoir « découvert mon nom dans une revue clandestine de Daesh -à leurs yeux, bien sûr, je suis une double traîtresse. Féministe, laïque, française, libre… et d’origine marocaine ».

Sa conception de l’éducation
La ministre de l’Education revient sur sa méthode : « Parfois, il faut prendre de court le protocole et chahuter les convenances, bousculer les hiérarchies, court-circuiter les prérogatives. Exiger des solutions, plutôt que de bonnes raisons de ne pas faire. Je n’imagine pas faire de la politique autrement ».
On lui a souvent fait un procès en égalitarisme, de vouloir niveler les élèves vers le bas et la ministre s’en défend. En assumant « de donner plus aux écoles en difficulté qui davantage que les autres ont besoin d’un fort taux d’encadrement ». Ou en défendant sa réforme du collège, qui ne visait pas selon elle, « à mettre fin au latin ou à l’allemand par je ne sais quelle détestation de l’excellence-ces langues ne se sont d’ailleurs jamais adressées à autant de monde que depuis cette réforme », assure-t-elle. « La politique, pour moi, ce n’est pas rechercher un consensus qui n’existe que dans l’esprit des puissants, systématiquement en défaveur des plus faibles, dans la vie », insiste-t-elle.


Delphine Bancaud pour 20 Minutes

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