À Villeurbanne, discours très fort de Jean-Paul Chich pour semer les graines de la mémoire

Villeurbanne-Lyon Publié le 29 avril 2017

Ce matin à Villeurbanne, discours très fort du conseiller municipal délégué à la mémoire, Jean-Paul Chich, en cette journée nationale du souvenir des victimes et héros de la déportation. À lire ou relire ici ce rappel simple et toujours instructif.

Discours prononcé par Jean-Paul Chich le 29 avril 2017, Square de la déportation à Villeurbanne.

Nous sommes à nouveau réunis pour la journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation.
Que cette journée soit l’occasion de rappeler ce qu’a été la déportation pour plus de cent-cinquante mille personnes vivant sur le sol de France sans oublier les millions d’autres qui ont été traquées, emportées, réduites en esclavage et assassinées par les nazis.

Près de la moitié des déportés issus de France l’ont été parce qu’ils étaient juifs, hommes, femmes et enfants.
De ceux-là 3% sont revenus vivants.
On pense à Simone Veil, ou, plus près de nous, dans l’agglomération lyonnaise, à Claude Bloch ou Benjamin Orenstein, tous trois déportés à l’adolescence, aujourd’hui survivants et qui laissèrent là-bas, dans La Petite Prairie aux bouleaux, leurs mères, leurs pères, leurs familles entières.

Le reste, un peu plus de la moitié des déportés issus de France l’ont été pour des faits de résistance, d’insoumission, ou parce que le hasard ou le phénotype les avaient désignés. On pense à Charlotte Delbo, à Germaine Tillion et sa mère, à Robert Desnos, à Marie-Claude Vaillant-Couturier. On pense à ceux qui furent raflés ici, dans le quartier, le lundi 1er mars 1943 et qu’on séquestra toute la journée avant de les obliger à monter dans un train en gare de Villeurbanne pour un périple qui conduisit la plupart d’entre eux au camp de Compiègne puis à celui de Mauthausen en Autriche annexée.
Plus de cent cinquante hommes.
Souvenons-nous des derniers qui nous rendirent visite ou qui prirent la parole ici, aujourd’hui disparus : Louis Croppi ou Roger Capezzone.
De ces déportés non raciaux, il revint à peine la moitié, mais encore beaucoup moururent dans les jours ou les semaines qui suivirent leur libération.
Lisez L’Espèce humaine, le terrible récit de Robert Antelme et vous saurez tout de ce mot terrible : survivant.
Lisez car même après la mort des survivants, leurs écrits se rebellent et la littérature se dresse face au révisionnisme.
Leurs mots ont la peau dure, plus dure que les mensonges.

Aujourd’hui les historiens savent beaucoup de choses sur la tragédie de la déportation. Comment cela s’est-il passé ?
Je sais que vous me pardonnerez ce simple survol car je ne peux pas tout en dire en dix minutes.
J’ai retenu quatre points.

En premier lieu, une idéologie très clairement raciste, glorifiant la race aryenne et projetant de soumettre le monde à l’Allemand de souche. Tout est écrit dans un livre paru en 1924.
L’étranger, l’impur y sont dénoncés comme responsables des difficultés de l’Allemagne.
C’est une idéologie du refus de la différence, du refus de l’autre. La haine et la xénophobie sont exposées dans Mein kampf.
Il faut le réaffirmer aujourd’hui, le racisme et le nationalisme conduisent toujours le monde à la guerre et à son anéantissement, et si on laissait faire encore, en quelques années l’Europe deviendrait à nouveau un champ de ruines, car, comme dit le poète :

« Contre les violents tourne la violence. » (Louis Aragon)

En second lieu, dès février 1933 et dans les semaines qui suivirent l’installation d’Hitler à la chancellerie, les nazis ouvrirent les premiers camps de concentration pour y interner leurs opposants : communistes, socialistes, catholiques, prêtres, homosexuels, quelques juifs pour commencer et tant d’autres. Ils enfermèrent ceux qui étaient différents d’eux.
Le 22 mars 1933 Dachau ouvrait sa machine carcérale où allait régner pendant douze ans la loi du plus fort, du plus injuste, du plus sadique.

On compta bientôt plusieurs centaines de camps ou camps annexes sur tout le territoire du IIIe Reich.
En quelques semaines ou quelques mois, l’Allemagne démocratique fut balayée, changée en dictature.
Le fascisme, quand il prend le pouvoir, aussitôt muselle la presse, détourne les institutions à son profit, s’empare de la police et de la justice… En quelques semaines il ne reste plus aux démocrates que leurs yeux pour pleurer.
Cela s’est passé toujours de la même manière.

En troisième lieu vinrent les programmes de stérilisation des « syphilitiques, tuberculeux, […] êtres atteints de tares héréditaires, […] contrefaits, […] crétins. » (Mein kampf) puis les centres de mise à mort des programmes T4 et 14f13. Programmes réservés, à partir de 1939, à la destruction des malades incurables, handicapés physiques et mentaux, épileptiques, trisomiques…
Des Allemands considérés comme dégénérés et inutiles.
Ainsi, les premiers gazés du nazisme ont été des Allemands. Il y eut aussi les morts de faim et les handicapés exécutés par balle.
Quatre-vingt mille Allemands furent donc délibérément exécutés pour crime de non-conformité au modèle standard.

Enfin, à partir de 1941-1942 les nazis développèrent vraiment les camps d’extermination ou camps de mise à mort immédiate réservés aux juifs, tsiganes, témoins de Jéhovah, et autres « sous-hommes dégénérés ».
Au début Himmler fit appel à ses experts du programme T4.

Il y eut six camps d’extermination, tous situés en Pologne :
Chelmno, Majdanek, Belzec, Treblinka, Sobibor et Auschwitz-Birkenau (qui était un camp doublement mixte : camp de concentration et camp d’extermination, camp pour les hommes et pour les femmes).

Une fois le « travail » achevé, Himmler tenait à ce qu’on ne laissât pas de traces. Nuit et brouillard sur le forfait telle était son obsession.
Ainsi toute la végétation a été replantée à Treblinka par-dessus les cendres d’un million d’êtres humains. Ni vu ni connu.

Dès les prémices, cette idéologie contenait en elle-même la négation de ses crimes. Les nazis ont manqué de temps pour tout effacer.
C’est pourquoi évoquer les lieux des supplices, comme nous venons de le faire aujourd’hui, c’est projeter de la lumière sur les cachettes de l’horreur.
C’est parler de la scène du crime.
Parler, parler, et voilà que le crime n’est plus un crime parfait.

Je suis allé à Auschwitz le mois dernier, avec cent trente collégiens de la métropole et du département du Rhône. Nous étions accompagnés par Claude Bloch ; sur la rampe où il échangea un regard avec sa mère, dernier regard avant que le gaz n’étouffe son dernier souffle de mère et que le feu ne réduise son corps en cendres.
Claude resta là, seul au monde, à quinze ans, survivant à la fumée qui montait dans le ciel.

Tout a été dit.
Je vais terminer cependant avec quelques vers de Pierre Gamarra, un poète de la Résistance ; voici un extrait de Chanson de celle qui attend écrit en 1942 :

Mon cœur est en sang, mon cœur est de miel.
Après un hiver revient le printemps.
Ecoutez les cris qui sont dans les vents
Par les nuits venues et les portes closes.

Monsieur le Maire, si vous le voulez bien nous reviendrons ici chaque année devant ce monument pour semer les graines de la mémoire et de l’Histoire.

Je vous remercie pour votre attention.
Graines de mémoire 29 avril 2017

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Un commentaire sur À Villeurbanne, discours très fort de Jean-Paul Chich pour semer les graines de la mémoire

  1. Breye

    à mon avis, ce monument cette mémoire, essayer de le faire pour se recueillir, surtout aussi pour S’INSTRUIRE FACILEMENT :::: je pense que les moyens actuels le permettent ::::en mon temps(69 années) l’instruction était faite par un échappé du vécu de l’enfer qu’on lui avait fait vivre

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