«La situation des écoles marseillaises relève d’une incurie au long cours et hors norme» – Interview à Libération

Presse Éducation nationale Publié le 30 mars 2019

En 2016, au lendemain de la une de Libé sur l’état calamiteux des écoles marseillaises, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Education, commandait un audit aux services de l’Etat pour avoir une vision précise de l’état du bâti des 444 écoles marseillaises, dont l’entretien est de la compétence de la ville. Ce diagnostic, que nous révélons aujourd’hui, n’avait pas été rendu public.

Aujourd’hui en retrait de la vie politique, Najat Vallaud-Belkacem sort de sa réserve pour raconter les difficultés rencontrées à l’époque, pour obliger la municipalité marseillaise à faire les travaux. Elle a répondu à nos questions par mail.

Comment a été réalisé cet audit des écoles marseillaises ?

Nous avons déclenché les choses le 4 février 2016 avec notre lettre de saisine adressée au préfet à qui il était demandé de réaliser un état des lieux des risques sanitaires, d’hygiène ou de sécurité auxquels élèves et enseignants pouvaient être confrontés dans un certain nombre d’écoles.

Des visites conjointes des services académiques et des services techniques de la ville ont alors été organisées, sur la base d’un premier recensement alimenté par nos services comme par les remontées des associations (fédérations parents d’élèves, collectifs etc.). Puis un tableau de suivi a été mis au point. Suivi de réunions régulières entre services pour décider des travaux et de leur calendrier. Ce tableau a fait l’objet d’un suivi resserré jusqu’en mai 2017. Ensuite je ne sais pas ce qu’il en a été fait.

Avez-vous été surprise ou inquiète des informations qui vous ont été remontées à l’époque ?

Pas surprise, non, compte tenu des alertes qui nous ont conduites à agir. Mais inquiète, forcément, même si nous n’avions pas de situation de péril imminent repérée.

Quels enseignements en avez-vous tirés ?

Qu’une partie du patrimoine scolaire marseillais était laissée à l’abandon depuis des années, avec une forme d’indifférence incroyable. Le plus surprenant était de constater que cette ville, au fil des ans, n’avait absolument pas adapté les superficies scolaires à la démographie. Il n’avait quasiment pas été construit de classes supplémentaires pour accueillir les effectifs croissants du début des années 2000 – à une époque où cela arrangeait bien le gouvernement qui supprimait des postes d’enseignants… D’où, au-delà de l’état matériel des bâtiments, des classes surchargées.

Que s’est-il passé ensuite ?

Des travaux ont été faits en urgence par les services municipaux, un plan plus conséquent a été programmé avec des marchés publics, et la ville a lancé son plan de reconstruction des Est-ce que dans ce type de cas, c’est suffisant ?

écoles de type Pailleron (1), les plus dégradées, avec l’outil du partenariat public-privé, qui a été contesté.

Jean-Claude Gaudin, le maire, a-t-il été coopératif ?

Il a d’abord fallu tordre la main de la mairie, dont la première réaction a essentiellement consisté à minimiser les problèmes («Je ne dis pas qu’il n’y a pas ici ou là un robinet qui fuit mais de là à parler d’indignité !») et à dénoncer une «polémique politicienne et manichéenne organisée à l’encontre de la ville de Marseille». Puis Jean-Claude Gaudin a semblé prendre conscience qu’il ne pourrait pas tenir longtemps cette position ubuesque. Il est devenu plus «coopératif», d’autant que nous décidions de mettre plusieurs millions d’euros au service de ces travaux. A partir de là, la difficulté a surtout été d’être contraints par des délais très serrés pour décider des travaux urgents qu’il nous paraissait indispensable de réaliser pendant les congés scolaires.

Aviez-vous les moyens légaux de le contraindre ?

Seulement en cas de péril imminent constaté. La compétence des bâtiments scolaires relève en effet exclusivement des collectivités.

Est-ce que dans ce type de cas, c’est suffisant ?

En mode normal oui, les élus ne sont pas irresponsables. La situation marseillaise, comme pour le logement, relève d’une incurie au long cours et hors-norme.




Entretien réalisé par Stéphanie Harounyan et Marie Piquemal publié dans Libération du 30 mars 2019.