« Contre l’inégalité hommes-femmes, il faut un sursaut collectif »: mon entretien dans le magazine Elle.

Presse Droits des femmes Publié le 11 novembre 2012

Le magazine ELLE publie cette semaine l’entretien que j’ai accordé à la rédaction sur les chantiers et projets du Ministère des Droits des Femmes: à retrouver en kiosque, en ligne ici, ou ici même, ci-dessous. Bonne lecture!

Egalité professionnelle, violences, modes de garde… la ministre des Droits des femmes évoque ses projets alors qu’elle a demandé une formation à l’égalité pour tous les ministres. Interview.

Par Patricia Gandin et Valérie Toranian

Etat des lieux après cinq mois d’exercice

Elle a l’air de sortir d’un amphithéâtre de fac plutôt que du Conseil des ministres. Allure juvénile, sourire frais, approche chaleureuse, Najat Vallaud-Belkacem, 35 ans, ne semble entamée ni par les journées à rallonge imposées par sa double tâche (ministre et porte-parole du gouvernement) ni par les tempêtes touchant l’équipe de François Hollande. Son enthousiasme à toute épreuve, sa volonté d’être efficace et sa ténacité suffiront-ils à la benjamine du gouvernement pour faire progresser les droits des femmes ? Elle sera soutenue dans cette mission par un comité interministériel, le 30 novembre prochain (le premier en douze ans !), consacré à ces problématiques et auquel chacun peut contribuer*. Etat des lieux après cinq mois d’exercice.

ELLE. Etes-vous satisfaite du chemin déjà accompli ?

Najat Vallaud-Belkacem. Je suis contente d’avoir été, avec ma collègue en charge de la Justice, à l’origine du premier texte de loi adopté sous ce quinquennat : le renforcement de la protection des victimes de harcèlement sexuel alors que la loi réprimant ce délit venait d’être abrogée. Mes priorités maintenant : l’égalité professionnelle et la lutte contre les violences faites aux femmes. Dans ces deux domaines, des lois existent, mais il faut les faire appliquer et ce n’est pas une mince affaire car il faut déconstruire les stéréotypes, les préjugés, les idées reçues.

« Les entreprises devront nous envoyer leur plan d’action et les accords négociés pour atteindre l’égalité professionnelle »

ELLE. Concernant l’égalité professionnelle, comment seront sanctionnées les entreprises pratiquant des écarts de salaires entre hommes et femmes et qui destinent la plupart des emplois à temps partiel, et donc précaires, aux femmes ?
Najat Vallaud-Belkacem. Ces questions ont été au cœur de la grande conférence sociale de juillet dernier. Nous avons relancé la dynamique : il n’y avait pas eu de négociations entre partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle depuis huit ans. S’agissant des sanctions à l’égard des entreprises qui ne jouent pas le jeu de l’égalité professionnelle, une loi de 2010 prévoyait des pénalités pour les entreprises de cinquante salariés et plus pouvant aller jusqu’au versement de 1 % de la masse salariale. Mais beaucoup y échappaient par manque d’inspecteurs du travail dévolus à ces contrôles qui se faisaient sur place. Du coup, rien n’a changé. Désormais, les entreprises devront nous envoyer systématiquement leur plan d’action et les accords négociés pour atteindre l’égalité professionnelle. Le contrôle en sera renforcé et bien plus efficace.

ELLE. Il faudra plus de fonctionnaires pour prendre en charge ces dossiers, alors que les caisses sont vides ?
Najat Vallaud-Belkacem. Non, nous ferons avec les postes existant, mais en redéfinissant leurs charges. Par ailleurs, mon ministère a mobilisé une vingtaine de très grandes entreprises assez exemplaires en matière d’égalité professionnelle pour qu’elles puissent accompagner de façon étroite, sur cette voie, leurs PME fournisseuses ou sous-traitantes. Enfin, faire l’égalité c’est, dès l’école, penser l’orientation différemment : 50 % des femmes actives occupent seulement onze familles de métiers sur quatre-vingt-sept et ce sont les moins rétribuées. Or, on a constaté qu’avec la mixité des métiers les conditions de travail et de salaire s’améliorent.

« Nous prévoyons aussi le retour le plus large possible à la scolarisation dès l’âge de 2 ans »

ELLE. Les femmes sont aussi pénalisées par des carrières entrecoupées de congés de maternité et de congés parentaux. Comment les protéger ?
Najat Vallaud-Belkacem. Bien sûr, il n’est pas question de toucher au congé de maternité. En revanche, le congé parental longue durée pourrait être partagé entre le père et la mère. Obligation, incitation ? Des négociations sont en cours entre les partenaires sociaux. En attendant, nous allons offrir de façon expérimentale, dès les prochains mois, des formations personnalisées aux femmes pendant les longs congés parentaux pour qu’elles puissent revenir plus facilement sur le marché du travail. Avant le 8 mars prochain, des accords devraient voir le jour.

ELLE. Et les places en crèche qui manquent cruellement ?
Najat Vallaud-Belkacem. Nous allons en ajouter, c’est une absolue nécessité. Le financement pourrait venir en partie des fonds structurels européens que le Président a réussi à mobiliser dans le pacte de croissance. Nous prévoyons aussi le retour le plus large possible à la scolarisation dès l’âge de 2 ans.

ELLE. Quelles solutions contre les violences faites aux femmes ?
Najat Vallaud-Belkacem. Un combat sur tous les terrains car ces crimes et délits trouvent leur source dans les inégalités entre sexes profondément ancrées dans notre société. Là encore, il faut de l’éducation et de la prévention. Elles passeront par la formation initiale et continue des enseignants, la mise en place systématique de séances d’éducation sexuelle à l’école, une grande fermeté face aux violences subies par les filles dans l’enceinte de l’école. Un observatoire national va être créé pour cerner précisément ce fléau et engager des actions parmi le grand public et les forces de l’ordre, la justice, les professions médicales…

ELLE. On a lu que les équipes de Pierre Moscovici « ricanaient » de vous voir bloquer le projet de loi sur la Banque publique d’investissement pour vérifier s’il respectait la parité.
Najat Vallaud-Belkacem. Eh oui, des freins existent ! Mais ça évoluera. D’ores et déjà, plus aucun projet de loi, ou décret, ne passera sans que l’égalité homme-femme ne soit interrogée. Le Premier ministre a demandé aux membres de son gouvernement de se soumettre à des séances de sensibilisation à cette égalité. Et puis, dans chaque administration, un haut fonctionnaire est en charge d’y veiller. Il s’agit pour chacun de prendre conscience qu’au-delà des chiffres connus, les processus engendrant les inégalités entre les sexes appellent un sursaut collectif.

ELLE. Si vous n’obtenez pas gain de cause, êtes-vous prête à démissionner ?
Najat Vallaud-Belkacem. Baisser les bras n’est pas dans mon caractère. Depuis vingt-six ans, il n’y avait pas eu de ministère des Droits des femmes. C’est un magnifique outil et je ne doute pas de mes moyens d’action. Je me sens très soutenue aussi par François Hollande. Et, puisqu’on souligne si souvent mon profil et mon âge, j’avoue travailler doublement pour convaincre et produire des résultats concrets.

ELLE. Quel temps vous reste-t-il pour votre vie de famille ?
Najat Vallaud-Belkacem. Peu ! J’aimerais voir plus souvent mes jumeaux qui viennent d’avoir 4 ans. En même temps cette expérience ministérielle est tellement exceptionnelle, les chantiers sont considérables, l’action est urgente… Cela justifie bien quelques sacrifices !

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