Cessons de peindre le tableau de la France en cinquante nuances de gris

Éditos Porte-parolat Publié le 12 décembre 2013

En quelques jours seulement, nous avons appris au hasard de l’actualité que la Française Laure Prouvost remportait le Prix Turner d’Art Contemporain, l’un des plus prestigieux au monde, que la jeune entreprise française « Pretty simple » remportait le prix du meilleur jeu de l’année par Facebook avec plus de 100 millions d’utilisateurs dans le monde chaque mois, que le groupe Daftpunk était en lice pour remporter 5 Grammy Awards, les Oscars de la musique, ou encore que la série française « Les revenants » était en train de conquérir le monde en étant diffusée en Asie, après avoir trouvé le succès en Angleterre et aux Etats-Unis… Quelques exemples seulement, dans le seul domaine de la culture à l’échelle planétaire, qui pourrait donner lieu à un portrait haut en couleurs de la France d’aujourd’hui…

C’est pourtant à l’obsession du déclin supposé de notre pays que nous finissons toujours par succomber. Au début du mois de décembre, un premier journal avait initié l’exercice. Aujourd’hui un journal du soir y revient et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, livre le même résultat : 3 français sur 4 considèrent lorsqu’on les interroge par sondage… La ritournelle du déclin de la France est de nouveau sur toutes les lèvres.

Déclin : « Fait d’arriver progressivement au terme de son cours après avoir atteint son apogée »[1]. Au fond, lorsque les français parlent du déclin, ils sont amenés à s’interroger sur la France du passé. Qui sera surpris par ailleurs qu’ils préfèrent s’y projeter ? La « grande dépression » que nous avons traversée depuis 2008 a été d’une ampleur inégalée depuis 60 ans. La France a connu en 2009 le plus fort recul de l’activité depuis 1945. Elle a perdu plus d’emplois qu’elle ne l’avait jamais fait depuis que les statistiques de l’emploi salarié existent (1954). Elle a enregistré la plus forte augmentation du chômage depuis que le chômage existe dans sa forme contemporaine, c’est-à-dire depuis le premier choc pétrolier. Alors entre le « déclin » ou le « renouveau », les deux termes de la balance ne sont pas du même poids. On pourrait formuler la question autrement : «la situation est difficile », « une mauvaise passe à passer » ou encore « il faut se serrer les coudes ». Mais l’on préfère le mythe du déclin.

Le déclin de la France est devenu une mythologie collective. Une mythologie au sens de Roland Barthes, un discours complet, dans lequel le message signifié a pris le pas sur le signifiant, le mot vient en quelque sorte avant la pensée. Et cela est un problème.

Le mythe du déclin est dépolitisé en apparence. Il ne l’est pas en réalité. Parler du « déclin de la France » pour un homme politique d’opposition, c’est un peu comme se faire prendre le portrait dans les studios à la mode pour un acteur dans les années 1950. C’est une forme de test de respectabilité. Et souligner les énormes qualités, ses réussites, ses atouts de notre pays risquerait de rayer le portrait.

Ce qui est profondément nouveau dans la situation actuelle, c’est la défiance des français à l’égard des institutions. A trop entonner la rengaine du déclin, nous risquons le désenchantement. Les sociétés européennes et singulièrement la nôtre sont traversées par plusieurs types de doutes. Je le constate à chacun de mes déplacements. Doutes à l’égard de la technocratie et de sa capacité à identifier seule les voies du progrès. Doutes à l’égard du progrès lui-même. Doutes à l’égard des institutions, qu’ils s’agissent d’institutions de marché ou d’institutions publiques. Doutes à l’égard de l’avenir. Le pessimisme est depuis plusieurs années l’élément le plus caractéristique de notre pays[2]. Le désenchantement qui affecte notre jeunesse, en particulier, et sa perplexité face à l’avenir sont un fort marqueur de notre époque[3].

Depuis 19 mois, nous prenons ces questions à la racine. Nous ne restons plus à la surface des choses.

Notre pays n’a jamais eu autant besoin de réformes. Il n’est pas forcément besoin pour cela de se battre contre les vieux mythes. Une démarche empreinte de modestie dans la recherche d’un nouvel art de gouverner. Voila la clé. Lutter contre l’esprit de déclin c’est prendre des décisions qui procurent rapidement des résultats tangibles et concrets, notamment sur le front de l’emploi. Lutter contre l’esprit de déclin c’est affirmer haut et fort les exigences de solidarité, y compris en matière fiscale. Lutter contre l’esprit de déclin c’est donner la priorité à l’éducation.

 


Photo : Cyril Plapied – Creative Commons

[1] Dictionnaire Trésor de la Langue Française http://atilf.atilf.fr/

[2] European value surveys, world value surveys, International social survey program

[3] O. Galland, 2008, “Les jeunes et la société : des visions contrastées de l’avenir”, Les jeunesses face à leur avenir, une enquête internationale, A. Stellinger (dir.), Fondation pour l’innovation politique, p. 25-53 ; enquête Kairos Future-Fondation pour l’innovation politique.

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