Mon audition au Sénat sur les violences de genre dans les territoires en conflit

Droits des femmes Publié le 7 février 2014

Retrouvez ici le texte de mon intervention au Sénat pour l'Audition sur les violences de genre dans territoires en conflit armé.

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Monsieur le Président,

Madame la présidente,

Mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs,

Le 18 février prochain, je serai avec le président de l’Assemblée nationale pour soutenir le projet de loi du ministre de la justice de Libye, Mr. Salah El Marghany, pour la protection des femmes victimes de violences sexuelles pendant la guerre. Ce projet est exemplaire parce qu’il prévoit un statut et des réparations pour les femmes violées. A la demande du Ministre de la Justice qui a besoin de l’appui de la communauté internationale, et qui sera avec nous à Paris le 18 février, avec des associations de victimes, nous souhaitons ainsi envoyer un signal au Parlement libyen, qui tarde à inscrire ce projet de loi à son ordre du jour. Ça n’est pas une ingérence dans les affaires internes d’un Etat souverain. C’est notre responsabilité collective, en tant que gouvernement, que parlementaires d’un pays qui a pris une part active à la libération de la Libye, sous mandat du Conseil de sécurité, de rappeler aujourd’hui l’obligation de mettre en œuvre les résolutions « Femmes Paix et Sécurité » de ce même Conseil de sécurité.

Aussi je me réjouis que votre assemblée, la délégation des droits des femmes du Sénat, sa présidente Madame Gonthier-Morin, ait décidé de consacrer ses travaux à cet agenda et m’honore de contribuer avec vous à combattre ce phénomène.

Vous l’avez tous dit, nous vivons dans un monde où le viol est utilisé comme une arme de destruction physique, psychologique et sociale, où « le corps des femmes est devenu un véritable champ de bataille ». C’est inadmissible.

C’est pourquoi, depuis sa résolution 1325 (2000) adoptée il y a 14 ans, le Conseil de sécurité a mis en place un cadre normatif et opérationnel robuste en suivant deux priorités.

La France y contribue dans le cadre de son action au Conseil de sécurité mais aussi sur le terrain, à travers son plan national d’action de 2010 qui est arrivé à échéance. Nous travaillons en ce moment à sa reconduction. Les discussions interministérielles sont en cours. Nous prenons bonne note de votre proposition d’associer les délégations des droits des femmes de l’Assemblée nationale et du Sénat à l’élaboration du prochain plan. Les parlementaires ont indéniablement un rôle à jouer notamment dans le cadre de la coopération avec les parlementaires des pays concernés. D’ores et déjà je peux vous dire que l’une des pistes qui est explorée est la déclinaison de ce plan par zones géographiques, notamment là où les forces françaises sont déployées. Là où nos marges d’action sont plus grandes.

Nous suivons deux priorités je l’ai dit. Elles sont complémentaires.

Première priorité : la lutte contre les violences sexuelles qui ne doivent pas tombées dans l’oubli ou rester impunies. C’est pourquoi la référence à la Cour pénale internationale n’a cessé d’être renforcée dans les résolutions « Femmes Paix et Sécurité ». La procureure de la CPI Madame Fathou Bensouda que j’ai rencontrée à plusieurs reprises est décidée à mobiliser la Cour sur les violences sexuelles. Notre coopération avec ses services est totale. Je jous invite d’ailleurs à la rencontrer. Quand les tribunaux nationaux faillissent, la justice pénale doit jouer un rôle. Une équipe d’experts pour lutter contre l’impunité liée aux violences sexuelles a été mise en place (résolution 1888). Elle est à la disposition des Etats. Elle a appuyé les enquêtes sur les crimes commis en septembre 2009 en Guinée et a appuyé Kinshasa pour ses enquêtes sur les viols de masse commis à Minova en novembre 2012. Le procès qui doit s’ouvrir à Goma pour juger leurs responsables sera un test de la volonté du gouvernement congolais à mettre fin à la culture d’impunité qui règne en RDC. Il faut maintenir la pression pour que cette culture cesse, au risque d’en être complice.

Punir donc. Guérir aussi. Vous avez évoqué le professeur Fodès. Je salue à mon tour son action décisive. Il a accepté de rejoindre le Comité d’orientation de la MIPROF.. J’ai visité le 10 janvier dernier l’institut de victimologie qui accueille les victimes de guerre et leur apporte une réponse thérapeutique. Je note avec intérêt votre proposition d’engager un partenariat entre nos médecins et les pays concernés

Et parce qu’il vaut mieux prévenir que guérir, la France a cherché à doter les opérations de maintien de la paix d’un mandat de protection contre les violences sexuelles là où elles sont les plus graves. C’est ainsi que nous avons obtenu l’inclusion de dispositions fortes concernant la protection des femmes contre les violences sexuelles dans le mandat de la MINUSMA au Mali. Je m’y rendrai à la fin du mois et notamment dans le nord où les femmes continuent à être victimes de violences sexuelles. Je visiterai la Maison des Femmes de Gao dont la France appuie la réhabilitation dans le cadre d’un partenariat avec ONU FEMMES.

Deuxième priorité : la participation des femmes dans la consolidation de la paix. Car c’est une évidence : aucun conflit ne peut être réglé, aucune transition ne peut être durable, sans la prise en compte et la participation de la moitié de la l’humanité.

L’activisme du Conseil de sécurité s’est appuyé sur le volontarisme des deux derniers Secrétaires généraux. On en veut pour preuve la politique de tolérance zéro à l’égard des violences sexuelles commises par les casques bleus ou la nomination de femmes à des fonctions de Représentantes spéciales du Secrétaire général, au sud-Soudan (Hilde Johnson) ou pour les Grands Lacs (Mary Robinson).

Pour compléter ce dispositif, deux résolutions ont été adoptées en 2013.

En juin 2013, J’ai participé à New York au vote de la résolution 2106, qui traite spécifiquement des violences sexuelles, en présence du Secrétaire général Ban Ki-Moon, de Mme Zainab Bangura, Représentante spéciale pour les violences sexuelles dans les conflits et de Mme Angelina Jolie, Envoyée spéciale du Haut-Commissariat pour les réfugiés.

Le 18 octobre 2013, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2122 centrée sur le renforcement de la participation des femmes à la prévention et à la résolution des conflits.

Ces deux résolutions affirment l’importance de la participation des femmes dans les opérations de désarmement, de démobilisation et de réhabilitation, ainsi que dans les programmes de réforme des secteurs de sécurité et de justice conduits dans les pays en sortie de crise. Elles se réfèrent au Traité sur le commerce des armes qui fait le lien entre prolifération des petites armes et violences sexuelles. Elles soulignent l’importance pour les femmes de l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive dans les cas de grossesse résultant de viols. Elles chargent les Nations Unies d’associer les femmes à ses travaux, de les consulter dans leur prise de décision. Y compris le Conseil de sécurité. C’est inédit.

C’est ainsi que le 17 janvier dernier, le Conseil de sécurité s’est réuni en session informelle avec trois femmes syriennes, Mme Sabah Al Hallak, membre de la Ligue des femmes syriennes, Mme Rola Rekbi, membre de la Coalition des femmes syriennes, et Mme Sarah Abu Assali, représentante de la Ligue des femmes syriennes. Soyez assurés que la France soutient pleinement l’objectif de promouvoir la participation des femmes dans la résolution de la crise. J’ai présidé une réunion avec des représentantes de l’opposition syrienne et des activistes, en marge de la réunion ministérielle de l’Union pour la Méditerranée sur les femmes, en septembre dernier. Mon ministère a soutenu deux initiatives pour permettre aux femmes syriennes d’être entendues en Syrie, en apportant notre aide financière à deux radios. La radio ROZANA qui émet depuis Paris et la radio « Hiya » depuis Gaziantep. Nous soutenons avec mon collègue Laurent Fabius l’inclusion d’une part significative de femmes dans les délégations syriennes participant à Genève II et le renforcement, au sein de l’équipe du Représentant spécial conjoint, de l’expertise sur les questions de genre.

Permettez-moi en tant que ministre des droits des femmes de souligner l’importance que les droits des femmes soient respectés en temps de guerre comme en temps de paix. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes est notre socle commun. Elle doit être respectée sans réserve. La convention d’Istanbul contre les violences à l’encontre des femmes, dont le projet de loi de ratification a été soumis au Parlement est le seul texte normatif à vocation universelle qui traite spécifiquement des violences contre les femmes. Il est urgent que la France le ratifie. J’invite le Sénat à faire preuve de diligence quand le projet de loi de ratification qui est en cours d’examen par l’Assemblée nationale lui sera transmis.

Vous connaissez mon action en faveur de la participation des femmes aux instances de décision. C’est un message que je porte en France comme à l’étranger. L’élection de Catherine Samba-Panza à la présidence de la transition en RCA est un signal fort, et pas seulement pour les femmes en zones de conflit. Je regarde les femmes d’Afrique – qui représentent leur Etat – au Libéria – au Malawi ; leur gouvernement – au Sénégal ; qui sont à la tête d’organisations régionales – l’Union Africaine – des femmes qui étaient nombreuses autour du Président de la République lors du Sommet de l’Elysée en décembre, comme des exemples pour nous tous.

Et oui ce sujet des violences sexuelles a bien été abordé dans ce sommet. Il a fait l’objet d’une réunion de travail par les Premières Dames et leurs préconisations ont été endossées par les chefs d’Etats en conclusion de ce sommet.

Je suis très attachée à ce que la France défende sans concession les droits des femmes mais regarde sans arrogance les sociétés et les cultures très différentes de la nôtre, qui ont beaucoup à nous apporter. Nous avons toujours intérêt à rester éveillé, et bienveillant, sur les réalités du monde, notamment quand les femmes résistent aux difficultés, se mobilisent pour changer les lois de leur Etat, les mentalités dans leur société. Ces femmes en résistance sont une source d’inspiration, non pas en tant que victimes, mais actrices de leur vie, comme de leur pays.  La France doit les soutenir. C’est le message que je porterai à Kinshasa les 3 et 4 mars prochain avec ma collègue Yamina Benguigui, lors du Forum des femmes francophones organisé par le gouvernement congolais.

Notre diplomatie doit porter une vision ambitieuse des droits des femmes, dans toutes ses composantes, y compris à travers notre aide au développement. Le gouvernement s’y est engagé à consacrer 50% de son aide à des projets qui bénéficient à titre principal aux femmes. Sur le plan interne, la transposition de la directive « qualification » nous permettra une meilleure prise en compte des violences de genre. Cela ne m’empêchera pas d’étudier avec attention le cas sur lequel vous m’avez alerté… Soyez assurée de ma détermination à œuvrer au sein du gouvernement en ce sens.

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