Porter la plume dans la plaie…

Éditos Publié le 28 avril 2010

Une fois n’est pas coutume dans cette rubrique, je vous donne à lire l’éditorial du Monde d’aujourd’hui (daté du 27 avril). Parce que j’en partage la prise de position, bien sûr, mais aussi parce qu’il prend parti : j’aime ce journalisme-là, qui est un journalisme d’opinion assumé. Nous ne serons jamais assez nombreux pour dénoncer ce que le gouvernement est en train de faire, mois après mois, en sapant méthodiquement les fondamentaux de la République. L’UMP a sans doute le droit de prendre des risques avec l’esprit des lois, et ce qui fait notre bien commun depuis si longtemps dans notre beau pays: l’Etat, lui, ne peut pas être livré aux mains de quelques dangereux idéologues aux discours et aux méthodes dont seule l’irresponsabilité totale le dispute à l’indignité.


“Déchéance politique”

On l’a déjà souligné, ici même, à plusieurs reprises : le débat sur le port du voile intégral – burqa ou niqab – par des femmes musulmanes est un piège. Un piège ouvert par le président de la République lui-même, le 20 juin 2009. Ce jour-là, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, Nicolas Sarkozy déclarait : “La burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République” ; ce n’est “pas un problème religieux”, mais “de liberté et de dignité de la femme”.

A l’automne, une mission parlementaire avait pris le relais, mais son rapport, en janvier, admettait qu’il n’existait pas “d’unanimité pour l’adoption d’une loi générale et absolue”, réclamée par certains, notamment le président du groupe UMP à l’Assemblée. Au lendemain de la déroute de son camp aux régionales, le chef de l’Etat évoquait, à nouveau, une “loi d’interdiction conforme aux principes généraux de notre droit”.

Hélas ! pour les partisans de l’interdiction générale, le Conseil d’Etat, consulté, a estimé que celle-ci “ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable”. En dépit de cet avertissement, le chef de l’Etat et le gouvernement ont décidé de passer outre : le 21 avril, ils ont annoncé qu’un projet de loi serait déposé rapidement et discuté avant l’été. Le premier ministre, François Fillon, a même prononcé, à cette occasion, une phrase proprement stupéfiante : “On est prêt à prendre des risques juridiques parce que nous pensons que l’enjeu en vaut la chandelle” ! Aussitôt dit, aussitôt fait, par la grâce du ministre de l’intérieur – et des cultes.

L'”affaire de Nantes”, qui défraye la chronique depuis trois jours, en témoigne. Une femme est verbalisée, à Nantes, parce qu’elle conduit sa voiture recouverte d’un niqab, une tenue malaisée, selon le code de la route. Le 23 avril, Brice Hortefeux demande à son collègue de l’immigration, Eric Besson, d’étudier une éventuelle déchéance de la nationalité française du conjoint de cette femme. Motif ? L’homme serait polygame et, via ses quatre “épouses” qui touchent l’allocation de parent isolé, fraudeur aux aides sociales.

Peu importe, même s’ils étaient avérés et condamnés par la justice, que de tels délits ne soient pas des motifs de déchéance de la nationalité française. Comme dirait le premier ministre, “on est prêts à prendre des risques”.

Y compris celui de voir le piège de cette polémique se refermer sur ses initiateurs. Y compris celui de démontrer au grand jour, et sans précaution aucune, que l’application future de la loi annoncée sera l’occasion inévitable de dérapages incontrôlables. Y compris, quoiqu’en disent en chœur le chef de l’Etat et ses ministres, celui de stigmatiser la communauté musulmane dont la grande majorité recommande de régler le problème par la pédagogie et la persuasion. Y compris, enfin, celui de réveiller le jusqu’au-boutisme d’une infime minorité de musulmans ou de l’extrême droite. La burqa est un piège. Un piège stupide. Un piège indigne. Si l’on était aussi irréfléchi que M. Hortefeux, on demanderait volontiers sa “déchéance ministérielle”.

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4 commentaires sur Porter la plume dans la plaie…

  1. Gérard Eloi

    @ Ancien lecteur…

    La réponse d’Hortefeux est intéressante.

    Mais les faits restent ce qu’ils ont été : cette “affaire de Nantes” a été mise en “vedette” de manière très hâtive, et apparemment dans le but de donner beaucoup d’importance au “débat” (?) sur la burqa.

    Conduire en burqa ? Les téléphones portables sont bien interdits au volant. Pourquoi n’y a-t-il pas encore alors de loi “burqa au volant” ?

    Le mari de Madame serait polygame, et aurait fraudé les caisses d’allocs. Si c’est avéré, c’est évidemment répréhensible, et si fraude il y a eu, un remboursement est un minimum, ainsi qu’une amende, des intérêts éventuels,…Affaire de la justice.

    La question qu’on se pose : un policier verbalise pour burqa au volant. C’est son travail et je ne critique rien. Mais suite à ce PV, on découvrirait tout d’un coup la polygamie et les fraudes ? Veut-on nous faire croire que c’est pour faire “sauter” son PV que Madame aurait “dénoncé” Monsieur ? Et dirctement au ministre ?

    Un peu gros tout ça…

    Si ça t’intéresse, voilà ce que je pense de l’affaire des burquas :

    http://centpenseespourvous.blogspot.com/2010/04/burquoi.html

  2. Un ancien lecteur du Monde

    Voici le droit de réponse que Brice Hortefeux publié dans le Monde le 28.04.10
    Pouvez vous le publier SVP. Merci

    Longtemps, j’ai lu Le Monde avec l’attention et le respect que l’on doit aux institutions vertueuses et rigoureuses. Je savais, en ouvrant le quotidien du soir, que j’allais y trouver une information précise, fidèle aux principes de son fondateur. De la trace laissée par Hubert Beuve-Méry, le journal avait su conserver l’essentiel: un attachement actif à la laïcité, un humanisme entier, un respect exigeant des droits des personnes.
    C’est donc avec une certaine tristesse que j’ai pris connaissance, lundi 26 avril, de l’éditorial du Monde. “Stupide” et “indigne”: vous ne trouvez pas de mots assez forts pour dénoncer l’action conduite par le gouvernement afin de mettre un terme au port du voile intégral en France. Et en appelant à ma propre “déchéance ministérielle”, vous n’êtes pas loin de rejoindre Tariq Ramadan, qui m’accuse, lui, de “trahir les valeurs de la France”.
    Rien de moins! Venant d’un rhéteur proche des Frères musulmans, qui n’a jamais clairement condamné la lapidation, cette leçon de républicanisme est une curiosité. Je regrette que vous vous soyez embourbés aux côtés de ce prédicateur aussi habile que pernicieux. Car je n’imagine pas que vous puissiez cheminer avec ceux qui prônent l’asservissement des femmes.
    A mon tour, je vous pose une question: où sont passés les principes du Monde ? Auriez-vous oublié que vous étiez laïcs, humanistes et respectueux des droits des personnes ? Pour le dire autrement: dans l'”affaire de Nantes”, fallait-il que le ministre de l’intérieur reste silencieux ? Fallait-il que je cache ce qui se tramait derrière les déclarations de cette femme tenant une conférence de presse pour affirmer, au nom de la liberté, le droit d’être enfermée derrière un voile intégral ? Fallait-il que je taise les éléments d’information dont je disposais, tendant à montrer qu’un individu appartenant à la mouvance radicale du Tabligh vivrait avec plusieurs femmes voilées, ayant douze enfants et détournant le système d’aide sociale ? Mon silence aurait été une faute morale autant que politique.
    Parce que la République respecte les droits des femmes, parce que la République refuse qu’elles soient emmurées, instrumentalisées, humiliées, parce que la République défend la dignité des personnes, je devais veiller à ce que l’autorité judiciaire puisse effectuer son travail. Le dossier est suffisamment grave pour que le parquet ait décidé d’ouvrir une enquête confiée à la police judiciaire.
    Et il m’appartenait de saisir également le ministre de l’intégration, Eric Besson, pour examiner, en fonction de l’avancée de l’enquête, les conditions d’une déchéance de la nationalité française que cet individu a acquise par mariage. Car nous devons veiller au respect effectif de la loi. Lorsqu’un étranger devient français, c’est parce que la communauté nationale le reconnaît parmi les siens. C’est ce que le code civil nomme l'”assimilation”. Et c’est ce même code civil qui proclame que “la polygamie est constitutive d’un défaut d’assimilation”. Etre français, c’est une chance qui donne accès à des droits, mais c’est aussi un honneur qui suppose le respect de devoirs.
    Je ne céderai pas aux tenants du politiquement correct qui, toujours, préfèrent ne rien dire, ne rien faire, ne rien penser, pour ne prendre aucun risque. Je suis, pour ma part, convaincu que les responsables politiques ont un devoir de transparence. Je préfère déplaire au Monde que d’empêcher, par mon silence, la manifestation de la vérité, quelle qu’elle soit.

    Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

  3. Un ancien lecteur du Monde

    Moi je demande la “déchéance journalistique” du Monde, na!
    Quoique… je pense qu’elle est faite depuis longtemps.

  4. Armelle Puisar

    excellent éditorial ! On pourrait aussi dire que l’instauration d’une double peine, condamnation si il y a eu fraude ou polygamie + déchéance de la nationalité française, reste bien dans la culture d’Hortefeux. Ce mépris du droit me semble pas très compatible avec les fonctions de ministre de la République. Je vous le demande, doit-on passer en force lorsque le conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel rappelle le droit ?

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