Colloque « Violences faites aux femmes et Santé », Reportage et discours


Ce vendredi 14 Mars 2014, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, ouvrait le colloque « Violences faites aux femmes et Santé », organisé par la MGEN et la Chaire santé de Sciences Po.
Retrouvez ici le reportage de la Mutualité française et le discours d’ouverture de la ministre.


Mesdames et Messieurs, chers amis,

 Les violences faites aux femmes sont une priorité de santé publique. Je vous le dis aujourd’hui et Marisol Touraine vous le redira ce soir, mais je crois qu’aucun ministre n’avait prononcé cette phrase dans la clarté avant moi. C’est dire comme nous partons de loin. La reconnaissance même des enjeux est un défi.

L’Organisation Mondiale de la Santé a évalué que les femmes victimes de violences perdent entre 1 et 4 années de vie en bonne santé. Elles touchent une femme sur trois sur la planète. Que faut-il de plus ?

Les risques associés aux violences et les comorbidités ? Elles sont parfaitement bien documentées et vous ne manquerez pas de les rappeler aujourd’hui. Celles qui sont les plus couramment soulignées sont la prématurité des nouveaux nés, l’abus de substance psychoactives, la dépression et les problèmes gynécologiques (le risque est alors multiplié par trois). Que faut-il de plus ?

Serait-ce un problème qui ne concerne pas l’assurance maladie ? La prise en charge ambulatoire d’une femme victime coûte deux fois et demi plus cher que la prise en charge d’autres femmes. Lorsqu’on prévient les violences, on prévient ces dépenses.

Non il ne faut rien de plus pour affirmer que les violences faites aux femmes sont une priorité de santé publique et la seule question qui se pose est de savoir si la réponse publique est digne d’une priorité.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui et notre système de santé paie le prix de longues années d’abandon sur cette question. Je dis cela en sachant que je parle devant des professionnels investis et convaincus, qui montrent chaque jour précisément que le système de santé quand il s’organise pour, a un rôle majeur à jouer pour soigner et accompagner les femmes victimes de violences. Je dis cela parce que la pire chose que l’on pourrait faire au commencement de ce colloque serait de se mentir sur le diagnostic. Et ce diagnostic n’est pas satisfaisant, je suis trop souvent interpellée pour vous dire autre chose.

Savez qu’une femme victime de violence sur quatre – ce sont les chiffres de l’enquête ENVEFF – fait appel au médecin comme premiers recours – médecin de famille ou médecin urgentiste – alors que seules une sur 9 se rend au commissariat. Si l’on veut aider le plus tôt possible les femmes battues, c’est dans le système de soins que les solutions se trouvent et nulle par ailleurs.

Permettez-moi une confidence. Quelques mois après ma prise de fonction, j’ai demandé à mes équipes de travailler sur l’hypothèse d’un dépistage systématique des violences lors des consultations de médecine générale. La question a paru incongrue. Et puis nous avons continué à recevoir ces témoignages de femmes qui avaient vu un médecin, qui avaient souvent un certificat d’ITT et que rien ni personne n’avait accompagné pour leur permettre de se protéger. Alors j’ai reposé ma question et nous avons regardé les choses de plus près. Savez-vous qu’aux Etats-Unis, l’American College of Obstetricians and Gynecologists recommande un dépistage systématique notamment chez toutes les patientes en gynécologie, en particulier au moment des grossesses. Savez vous que ce dépistage a été très sérieusement étudié au Royaume Uni par le National Screening Committee et que celui a conclu en effet à l’inefficacité d’un dépistage systématique, mais pas pour les raisons que l’on croit : il n’existe pas aujourd’hui d’outils, de tests, de questionnaires, dont l’efficacité est prouvée, mais cela ne veut pas dire que tous les médecins ne doivent pas être capables de repérer les violences et orienter utilement les patientes.  

Une expérimentation a d’ailleurs été conduite en 2008 à Hackney et Bristol dans 51 cabinets médicaux de la façon la plus rigoureuse, testant l’efficacité d’une série d’actions visant à former les médecins de ville à la détection des violences (deux sessions par cabinet) et à la mise en relation avec des services judiciaires spécialisés. Cette expérimentation appelée IRIS était une expérimentation contrôlée, comparant un groupe test et un groupe témoin.  Les résultats sont implacables : les programmes IRIS ont multiplié par trois le taux de femmes repérées comme victimes de violence ce qui a conduit le gouvernement britannique à le généraliser. Par trois. Prenez le temps d’y réfléchir, car ce chiffre est considérable lorsqu’on y pense. 201 000 femmes sont victimes chaque année de violences conjugales. Si un quart d’entre elles vont chez le médecin, cela représente 50 000 femmes et un médecin généraliste sur deux ou sur trois est amené à être confronté chaque année à l’une d’elle. Si parmi ces cas, 10000 femmes sont repérées, soignées et accompagnées vers des structures sociales, ce n’est pas du tout la même que s’il s’agit de 30000 femmes. C’est potentiellement la vie de 20000 femmes que l’on peut changer.

J’ai ouvert un dictionnaire de l’académie ce matin : « Soins : S’occuper de la santé, du bien-être moral ou matériel de quelqu’un. » Et vous connaissez bien sûr tous la définition que l’OMS donne de la santé « état complet de bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ». A quel titre, pourrait-on dire que les coups, que les paroles, que les intimidations, les strangulations, les barreaux de chaise, les coins de table, les portes fermées à double tour, les injures répétées, les viols ne sont pas une altération de cet état complet de bien-être dont le médecin a la responsabilité s’occuper ? Au nom de quels principes, peut-on apprendre la médecine sans donner aux médecins des outils qui permettent de détecter les violences quand elles existent ?

A l’occasion du 4e plan triennal interministériel contre les violences faites aux femmes, que j’ai présenté en novembre dernier, nous avons décidé de prendre ce sujet à bras le corps. Vous le savez sans doute le plan double les moyens alloué à la lutte contre les violences, en mobilisant 66 millions d’euros. Il met en place une nouvelle réponse des services publics aux violences, qui doit être systématique. Aucune violence déclarée dans un commissariat ne doit rester sans réponse pénale et sociale. Et les victimes qui poussent la porte des commissariats doivent en avoir l’assurance. C’est ce qui nous a conduit avec Christiane Taubira et Manuel Valls à encadrer le recours aux mains courantes. Et il faut surtout que la victime soit orientée vers une association spécialisée, ou vers un intervenant social exerçant dans le commissariat ou la gendarmerie. Nous nous sommes fixés l’objectif de doubler le nombre de ces intervenants sociaux sur l’ensemble du territoire. Nous avons renforcé la ligne nationale, le n° 3919, pour qu’elle soit ouverte 7 jours sur 7. La FNSF aura l’occasion de vous en parler tout à l’heure.

Il existe des solutions pour mettre les femmes à l’abri. Je pense par exemple au téléphone d’urgence pour les femmes en très grand danger. Patrick Poirret, qui interviendra cet après-midi, a été le premier à l’expérimenter. C’est un outil qui a fait ses preuves. Il a sauvé des vies.

Avec ce téléphone, il s’agit d’éviter le pire. En France, vous le savez, chaque semaine, 3 femmes sont tuées par celui avec lequel elles vivaient, ou avec lequel elles avaient vécu.

Protéger les victimes, cela suppose que la victime, et le cas échéant ses enfants, sachent où dormir. D’abord, nous le réaffirmons dans la loi, le principe, c’est le départ de l’agresseur. Par la force, si nécessaire.

Mais nous savons que les victimes n’ont pas toujours envie de rester dans le domicile du couple. Parfois, nous devons même leur recommander de partir, pour leur sécurité.
C’est pourquoi nous devons offrir des solutions d’hébergement adaptées, sécurisées. Avec Cécile Duflot, nous ne ménageons pas nos efforts. Nous avons programmé la création de 1650 nouvelles solutions d’hébergement dédiées aux femmes victimes de violences d’ici 2017.

Enfin, et c’est cela qui nous réuni aujourd’hui, j’ai souhaité que ce plan fasse de la lutte contre les violences une priorité de santé publique. C’est une première et cela a des conséquences très concrètes.

J’ai demandé à la Mission Interministérielle de Protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) d’élaborer nous avons élaboré des outils de formation, qui vous seront présentés tout à l’heure.

Je souhaite donc que l’entretien prévu au 4e mois d’une grossesse puisse être mis à profit pour améliorer le repérage des violences conjugales. Toutes les enquêtes montrent que c’est un moment décisif dans le parcours des victimes. Les professionnels en témoignent aussi. Les acteurs de la périnatalité ont signé la semaine dernière, au ministère des droits des femmes, un manifeste commun qui encourage les femmes victimes de violences à s’adresser à eux. Savez vous que des violences sont constatées dans 3 à 8% des grossesses et le taux de violences est encore 3 à 4 fois supérieur en cas de grossesse non désirée selon l’ENVEFF. Une étude longitudinale britannique a indiqué que pour un tiers des femmes qui connaîtront un acte de violence au cours de leur vie, le premier incident est intervenu pendant la grossesse, qui est donc un moment privilégié pour poser la question de la violence.

Chaque parcours est différent, mais il y a une réalité qui est commune à toutes les victimes : leurs difficultés ne se sont pas arrêtées du jour au lendemain, au moment où la justice a mis les mots sur ce qu’elles avaient subi.

Souvent, les violences qu’elles ont subies les ont blessées, blessures physiques, blessures traumatiques. Cela exige que l’on soigne ces blessures. C’est la condition d’un nouveau départ.

Nous devons mobiliser les Agences Régionales de Santé sur ces questions essentielles. Certaines le sont. Elles doivent toutes l’être. Je pense à quelques sujets sur lesquels les remontées que nous avons ne sont pas satisfaisantes, en particulier celui de l’articulation des Unités Médico-Judiciaires avec la médecine de ville et les établissements de santé. C’est un enjeu clé pour assurer un suivi continu des femmes battues. Face à une femme battue, on ne peut pas dire « attention ici s’arrête le soin, là commencent les constatations ». Un médecin est un médecin et sa responsabilité première est de soigner et d’éviter des ruptures de prise en charge très dommageables. Un autre défi est d’assurer une disponibilité de psychiatres ou de psychologues dans les UMJ, qui sont seuls susceptibles de rédiger des ITT psychiatriques, ce qui est indispensable pour établir la preuve de violences déclarées tardivement. Sur tous ces sujets, nous travaillons avec Marisol Touraine pour formaliser un parcours de soins pour les victimes de violences dans le cadre d’un protocole national. Nous venons de confier à plusieurs professionnels une mission pour préparer ce protocole. Leurs travaux s’achèveront au mois de mai. Ils seront ensuite déclinés au plan local par les agences régionales de santé.

Avec plusieurs d’entre vous, nous avons réuni à l’Académie de médecine, en septembre dernier, un colloque sur les dispositifs sanitaires et sociaux existant pour la prise en charge des auteurs de violences. Il y a beaucoup à apprendre de ces bonnes pratiques, notamment dans l’articulation entre le système judiciaire et la psychiatrie de secteurs. Je salue le Professeur Roger Henrion, qui nous y avait accueillis, et que je ne suis pas surprise de retrouver ici aujourd’hui. Mon ministère, je vous l’annonce ici, lancera le mois prochain un grand appel à projet pour susciter des expérimentations sur le contenu de ces stages et à l’issue de cette phase d’expérimentations diffuser un cahier des charges national.

Je veux conclure en vous remerciant pour votre mobilisation. En remerciant les professionnels de santé, leurs instances ordinales, leurs associations, leurs syndicats, leurs enseignants, qui ont pris la mesure de l’impact des violences faites aux femmes sur la santé dans notre pays.

En remerciant surtout les équipes de Sciences-Po, de la Mutualité française, de la M.G.E.N. et de la MIPROF qui ont travaillé ensemble pour la réussite de ce rendez-vous.

L’an passé, vous en vous en souvenez peut être, nos échanges avaient concerné l’ensemble des dimensions de la santé des femmes. Un certains nombres des recommandations issues de cette journée ont d’ores et déjà été suivis par le gouvernement. Je pense par exemple à la généralisation du dépistage du cancer du col, au lancement du site ivg.gouv.fr ou aux travaux lancés spécifiquement avec la MILDT sur « femmes et addictologie ».

Quand une méthode a fait ces preuves, on la conserve. Je remercie la Chaire santé de Science Po, en particulier Didier Tabuteau, Francois Bourdillon et Isabelle Gourio d’avoir accepté de renouveler ce défi passionnant. Pour préparer cette journée, une trentaine d’experts se sont réunis pendant deux jours et je les en remercie. Je remercie également vivement Marie Mesnil, qui a rédigé, comme l’an passé, les actes si précieux de ce séminaire.

Cette méthode de travail est formidable. Alors faisons comme l’an passé. Faites nous des propositions. Nous avons plus que jamais besoin de bonnes idées, de vos témoignages, de vos initiatives et j’espère vous l’avoir montré, formulons le vœu que ce colloque soit le point de départ d’une évolution durable, qui remet la lutte contre les violences au cœur du système de santé.

Je vous remercie.

Droits des femmes Publié le 15 mars 2014

Tags : , ,

Un commentaire sur Colloque « Violences faites aux femmes et Santé », Reportage et discours

  1. LANCIEN Dominique

    Vous avez raison Najat. Il faut absolument insister sur ces tragiques chiffres!!!Afin de contrecarrer les silences assourdissants des “médias” ainsi que les contre-vérités! J’ais un ordi. depuis 5 ans maintenant.Et à mon grand regret,Je constate combien j’ais eu raison d’investir dans cet outil décidément devenu indispensable si l’On veut obtenir de la VRAIE information et non des ramassis de “Bruits” collectés dans les “Caniveaux”! Merci encore Najat pour votre sincère implication.

Commentaires fermés.