Si la jeunesse n’a pas toujours raison…

Éditos Publié le 19 avril 2010

A la croisée de deux actualités qui interrogent nécessairement les solidarités intergénérationnelles, la réforme des retraites et les états généraux de la violence à l’école, me revenait à l’esprit un sondage récent qui m’a particulièrement interloquée. Selon cette étude réalisée par l’AFEV, plus de la moitié des Français ont une opinion négative de la jeunesse, 62 % d’entre eux ne la trouvent pas capable de se prendre en main et 41 % seulement pensent avoir des valeurs communes avec elle…

Triste constat auquel j’ai du mal à croire tant il me parait injuste à l’endroit d’une génération née durant ces interminables « Trente piteuses », qui est aujourd’hui (structurellement et pas seulement à la faveur de la crise) la première victime du chômage et de la précarité, première à souffrir du mal-logement, première génération à ne pouvoir attendre de son travail ou de ses études un meilleur niveau de vie que celui de ses parents. Des parents justement dont cette jeunesse va devoir désormais assumer l’héritage pas toujours glorieux : financement des retraites, remboursement des déficits publics, réchauffement climatique et dérèglements environnementaux en tout genre. Patrick Artus s’interrogeait en 2006 sur cette situation inédite dans un ouvrage opportunément intitulé « Comment nous avons ruiné nos enfants »…

« L’avenir est comme une bombe bénéfique ou maléfique, au mécanisme d’horlogerie profondément enfoui, mais dont le tic-tac résonne dans le présent, écrivait Hannah Arendt. Les jeunes générations sont, plus que les autres, celles qui entendent le bruit du tic-tac ». J’en suis pour ma part convaincue, mais si la jeunesse entend le tic-tac de l’avenir, qui entend le tic-tac de la jeunesse alors même que beaucoup des choix politiques, économiques et sociaux qui sont faits aujourd’hui, par d’autres que par elle, engagent son avenir ? N’est-il pas singulier d’imaginer qu’aucun des députés et des sénateurs qui voteront la réforme du régime de retraite ne vivra vraisemblablement personnellement l’horizon de 2050 dont ont nous parle, à l’exception (je lui souhaite) d’Olivier Dussopt, le benjamin du Palais Bourbon ? Je vous laisse le soin de la réponse en constatant, que la jeunesse se détourne malheureusement de la politique quant la politique se détourne d’elle.

Que dire de ce point de vue du plan Jeunesse annoncé il y a un an par Nicolas Sarkozy ? Rien. Comme il n’y a rien à dire du Plan Espoir banlieue, de la réforme de l’Université ou encore des lycées. Ce gouvernement n’a aucune ambition pour cette jeunesse qu’il craint et qu’il ne connaît pas et qui d’ailleurs n’a pas voté pour lui en 2007 pas plus qu’aux Européennes ou aux régionales… bien des raisons de ne pas s’y intéresser ou alors à coup de karcher !

La « République des jeunes », cette ambition née du Conseil national de la résistance et qui a donné vie, aux lendemains de la seconde guerre mondiale,  aux mouvements de jeunesse, reste aujourd’hui plus que jamais une idée neuve. Face à la droite qui contemple une jeunesse désenchantée, la gauche peut répondre par la construction d’une classe d’âge engagée et responsable. Et si nous trouvions, par exemple, le courage, comme nos cousins québécois, d’inscrire dans notre arsenal législatif une « clause d’impact jeunesse » ? Elle signifie là bas que tous les projets de reforme présentés en conseil des ministres qui ont un impact sur les générations à venir doivent être examinés dans un souci d’équité générationnelle. Une telle notion aboutit à l’élargissement du champ de la politique de la jeunesse d’une part, loin de la définition étriquée que nous en avons ici,  et surtout permet aux nouvelles générations de jouer un rôle structurant dans des débats aussi centraux que la répartition des gains de la croissance, la fiscalité, l’environnement, la régulation de l’emploi, le financement de la dépendance, la réforme des retraites etc.

« Si la jeunesse n’a pas toujours raison, disait François Mitterrand, la société qui la méconnaît […] a toujours tort »

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11 commentaires sur Si la jeunesse n’a pas toujours raison…

  1. Delaitre Bernard

    Le 8 juin prochain Najat Vallaud Belkacem doit débattre à Reims du sujet suivant:”Faut-il avoir peur des jeunes”
    Considérant que les jeunes ont surtout peur de l’avenir, j’ai adressé via ce blog la question: ” Qelle est la position de Ségolène Royale concernant la réforme en cours du régime des retraites, et plus particulierement affirme-t-elle vouloir maintenir le départ à 60 ans à taux plein ?
    Question d’autant plus d’actualité que Martine Aubry vient d’affirmer qu’en cas de retour de la gauche en 2012, celle-ci rétablirait ce principe.

  2. lapatch

    bonjour
    Effectivement une amorce (ou un risque?) de divorce entre générations me parait très préoccupante (je songe à ce jeune protestant à la télé contre l’interdiction d’un apèro géant et balançant “on va bien payer vos retraites…”).
    Le phénomène est encore light, peut-être, mais j’entends parler de + en + de jeunes diplômés qui partent travailler à l’étranger, parce qu’ils ne voient pas leur avenir en France, idem dans certains pays d’Europe endettés (ex Portugal…)cela apellerait beaucoup de commentaires mais bon…
    Aux adultes qui ont une vision négative de la jeunesse, j’aurais tendance à rappeller que nos enfants sont le fruit de l’éducation que nous leur avons donnée, portent les valeurs que nous leur avons transmises, par nos actes bien plus que par nos discours – ou nos absences de discours-
    Il y a des moments où j’ai une vision très négative de certains “adultes” de ma génération…

  3. Armelle Puisar

    Bonjour, Ségolène Royal avait proposé en 2007 un service civique obligatoire, aujourd’hui Martin Hirsch met en place un service civique non obligatoire, ne peut on pas craindre que le dispositif soit dévoyé et ne se transforme en une sorte de sous emploi aidé pour jeune en difficulté d’insertion ou diplômé en mal d’embauche ? Là aussi, ce ne serait pas un bon signe. A Lyon, je crois que vous avez déjà expérimenté des choses ? peut on avoir votre avis ?

  4. kokosar

    La jeunesse, c’est la France invisible ou plutôt celle que Sarko ne veut pas voir, je suis d’accord avec Najat, même si comme Chris, je parlerais plutôt des jeunesses plutôt que de la jeunesse. 350 000 élèves qui sortent du système scolaire chaque année et au lieu de faire des états généraux de la réussite scolaire, on nous balance des états généraux de la violence à l’école, je trouve ça hyper révélateur d’un certain état d’esprit…

  5. choc pétrolier

    jeunes ce n’est pas une classe sociale , je suis d’accord avec chris .

    HA les concepts humanisme , des droits de l’homme…. vont être durement a vendable quand l’occident ne les appliquent pas chez lui .

  6. Nicouille

    La jeunesse est l’avenir de l’homme…
    Je ne peux que penser aux jeunes tant les ‘vieux’ ou plus âgés me font “déprimer”…
    Pourtant, j’en ai que 30, mais le temps ratrappe plus vite le sang qui coulle dans nos veines qu’il nous faut de temps pour bruler l’air de nos poumons…

    Ayant des élèves de CAP sur mes bancs, je ne les vois pas sur les bancs de l’Assemblée Nationale pour discuter de tel ou tel projet de Loi. Mais comment faire alors… un simple fédéralisme ou les écarts politiques seront régionaux et non plus nationaux… Ou alors, se perdre dans une bulle de pensée, se dire que l’avenir Mort Rose (bon le jeu de mot est naze) qui est le miens ne sera pas forcément celui de mon fils…
    Relevons les manches.
    Promis, après ma biére à la terrasse du café, une fois mon livre d’Appolinaire refermé, je reprendrais le combat (et accessoirement la route), Camarade…

  7. Eric

    Billet très juste qui rappelle un clivage important entre la gauche et la droite.
    Dommage que dans les commentaires, on trouve un petit malin qui ne trouve rien de mieux que de casser du sucre sur le dos d’un camarade.

  8. Poursuivre

    Merci pour ce message juste.
    En effet, il faut que notre société écoute sa jeunesse et même il serait sain qu’elle l’encourage à parler, à formuler ses désirs.
    C’est l’inverse qui se produit souvent.
    Et dès l’école. Comme si encourager à formuler un désir était un risque pour les adultes dans leur rôle d’éducateurs, d’autorité… Je suis totalement déçue par ce que vit ma fille de 8 ans à l’école. J’en ai 41 et j’ai l’impression que rien n’a changé depuis mes 8 ans à moi. C’est peut-être même un peu moins à l’écoute des enfants qu’à mon époque. En tout cas, je n’ai pas l’impression que l’école est tournée vers eux, mais qu’on leur demande à eux de se couler dans un moule, même si il est trop étroit. Et après ça continue. Se couler dans un moule, toujours, et jamais revoir la forme du moule… ce qui serait pourtant à réenvisager en permanence.
    Le problème vient peut-être que les adultes ne sont pas assez convaincus, assez sûrs de leur propre positionnement au monde pour pouvoir l’ouvrir aux jeunes : beaucoup de paresse intellectuelle, beaucoup de non-présence au monde.
    La jeunesse n’a pas toujours raison, pas plus qu’elle a toujours tort. C’est en l’écoutant qu’on peut l’aider à trouver sa voix mais plus encore, il faut l’encourager à parler, à formuler une utopie, ce qu’elle attend de la vie.
    Amitiés sans vous connaître, Najat.

  9. Gérard Eloi

    Ton texte est très bien écrit et présente de manière complète tout ce qui est en train de détruire notre société, Najat.

    Le problème de la violence à l’école, c’est l’intersection des ensembles “problèmes à l’école” et “violence “.

    Problèmes à l’école : trop peu de moyens, l’enseignement est, comme la culture dont tu parlais dernièrement, l’un des parents pauvres du monde actuel.
    Autre chose : démotivation des scolarisés. Démotivation compréhensible, car quand on a 15 ou 16 ans aujourd’hui, on commence à se rendre compte que demain, on n’aura le choix qu’entre vivoter au chômage ou accepter d’être “délocalisé” pour une centaine d’euros par mois…

    Violence en général : la violence a toujours existé. Quelquefois elle s’amplifie pour cause de désespoir. Désespoir parce que : dernière ligne de mon paragraphe précédent.

    Une société existe dès que sont apparus des liens…sociaux. Dont la solidarité. Solidarité qui est l’un des héritages du Conseil de la Résistance.
    Or, aujourd’hui, il est qusetion de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance.

    C’est le “travail” de Kessler, un proche de DSK et N° 2 du Medef :

    http://jerpel.fr/spip.php?article173

    Les jeunes craignent de ne pas avoir d’avenir : pas de boulot…
    Et les générations précédentes (les 2, les 3 X 20 ans,…, ) craignent de ne plus avoir d’avenir : plus de retraites, de soins de santé,…

    Remarque au passage : c’est jusqu’ici le boulot des jeunes qui finançait les retraites des aînés. Et ce fut le premier acte écrit de cette solidarité intergénérationnelle dont tu parles au début de ton billet, Najat.

    En cassant l’emploi et la motivation des jeunes, on a aussi cassé les aînés. Ce qui explique la cassure du lien intergénérationnel. Quand ça va mal, la société disparaît. C’est le “chacun pour soi”.

    C’est contre cette dérive que nous espérons encore réversible que tu luttes avec ton billet et ton regard responsable sur l’horizon 2050 que tu luttes, Najat.

    Bravo, et merci.

  10. chris

    Beau texte mais je reste toujours très sceptique au sujet de l’emploi du mot “jeune” ou “jeunesse”. C’est un concept très flou en fait: un médecin de 30 ans est un “jeune médecin” mais un maçon de 30 ans, c’ est déja un “vieux maçon”.

    En fait qu’est-ce qu’être jeune? Je connais des ados de 15 ans chiants comme la pierre et des octogénaires libres penseurs et adeptes de la désobeissance civile. J’ai peur que les mots “jeunes” et “jeunesse” ne soient trop limitatifs et enferment plus qu’ils n’ouvrent.

    A part ça comment vas-tu Najat?

    Bises!!!!!!!!!

  11. Olivier Dussopt

    2050 me parait loin, mais je signe :-) et je te remercie de tes voeux.

    Je te rejoins totalement sur le fait que malheureusement, les bancs de l’Assemblée ne ressemblent pas assez à la société…ni pour les générations, ni pour le sexe, ni pour les origines géographiques ou culturelles…
    Bises
    Olivier

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