DISCUSSION GENERALE – PROJET DE LOI RELATIF AU HARCELEMENT SEXUEL

Droits des femmes Publié le 11 juillet 2012

Retrouvez ci-dessous l’intégralité de l’intervention de la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, le mercredi 11 juillet lors de l’examen du projet de loi relatif au harcèlement sexuel par le Sénat.
Monsieur le Président,
Monsieur le Président de la Commission des lois,
Madame la Présidente de la commission des affaires sociales,
Madame la Présidente de la Délégation aux droits des femmes,
Monsieur le Rapporteur,
Madame la Rapporteure,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,

Rendant hommage aux femmes victimes de harcèlement qui choisissaient de défendre leurs droits, un avocat du barreau de Paris reprenait ainsi, en 2007, la parole de ces femmes courageuses : « Cela valait la peine, la Justice m’a rendu justice ! ».
Nous étions en 2007.
On était loin d’imaginer alors que cette demande de justice, que cette demande de reconnaissance d’une situation de souffrance pourrait se trouver compromise par l’effet d’une abrogation par le Conseil constitutionnel.

Nous sommes en 2012, et le 4 mai dernier, le Conseil constitutionnel a abrogé avec effet immédiat le délit de harcèlement sexuel, au motif de son inconstitutionnalité.
Les premiers mots que je veux avoir devant vous ce jour, ce sont des mots de soutien pour celles, car nous le savons, ce sont les femmes qui sont pour l’essentiel concernées… Des mots de soutien disais-je, pour celles qui ont vu les actions qu’elles avaient engagées s’éteindre brusquement, sans recours ou presque…
Certes, cela a été rappelé, la chancellerie a donné des instructions de suite, et je veux remercier de cela la Garde des sceaux, pour que des faits puissent être requalifiés et des actions poursuivies sur d’autres terrains (violences volontaires, agressions sexuelles)… mais on sait que dans certains cas, cela n’a pas été possible ou cela n’a pas été reconnu par les juridictions.
Cette situation de souffrance sans recours nous oblige. Elle nous oblige tous, parlementaires, de toutes sensibilités, ministres…
Et je dois le dire, le Sénat, par sa mobilisation sans précédent, a été à la hauteur de cette ardente obligation. Et ce dès le 4 mai.
Vous avez tous ou presque dans cet hémicycle été acteurs de cette mobilisation, à la Commission des lois, sous l’impulsion de Jean-Pierre SUEUR, à la Commission des affaires sociales, sous la conduite de Madame Annie DAVID, ou encore à la délégation des droits des femmes bien sûr, avec l’engagement de Brigitte Gonthier-Maurin.
Sept propositions de lois, un groupe de travail auditionnant dans un temps record une cinquantaine de personnes, des rapports de grande qualité, de vos commissions et de votre délégation.
C’est un travail immense et je tiens comme la garde des sceaux à remercier les trois présidents, vos deux rapporteurs, Monsieur Alain ANZIANI et Christiane DEMONTES, avec qui nous avons travaillé en confiance et qui ont fait un travail remarquable.
Je salue également le climat très consensuel dans lequel l’ensemble de ce travail a été conduit et l’esprit de responsabilité qui animé les sénateurs de tous les partis.
C’est ce travail global, auquel le Gouvernement s’est associé au travers du projet de loi, qu’il nous appartient de faire fructifier ensemble désormais en rétablissant le délit de harcèlement sexuel censuré, et en apportant des avancées pour répondre à l’attente des femmes.
Vous l’avez écrit dans votre rapport, Monsieur le rapporteur, « le harcèlement sexuel est un fléau demeuré longtemps ignoré du code pénal puis méconnu dans la diversité de ses expressions ».
I. De quoi parle-t-on au juste ?
Il existe, comme souvent en matière de violences faites aux femmes, peu d’études pour nous révéler l’ampleur de ces délits et crimes. C’est un point sur lequel nous aurons un échange au cours de l’après-midi puisque comme vous, je reconnais qu’il nous manque une instance pour fédérer les enquêtes, en faire l’analyse, pour guider les pouvoirs publics.
Il faut donc, au plan national, remonter à 2000 et à la grande enquête nationale sur la violence faites aux femmes pour avoir quelques éléments, complétés par l’étude de la Commission européenne de 1999. D’autres enquêtes ont été faites en 2007 en Seine-Saint-Denis comme le mentionne le rapport de la délégation aux droits de femmes.
Ces violences sont une réalité importante de notre société, que l’on ne peut ignorer : si je passe sur les 45 % de femmes qui déclarent avoir entendu des blagues sexistes ou sexuelles au travail, et la moitié d’entre elles de façon répétée, 13 % des salariées déclarent avoir côtoyé des personnes ayant eu une attitude insistante et gênante, voire des gestes déplacés. Elles sont en outre 9 % à déclarer avoir reçu des avances sexuelles non désirées au cours de l’année.
Autre donnée intéressante que vous nous avez fait partager, Madame la Présidente Gonthier-Maurin, le harcèlement en plus d’être une souffrance personnelle est un fardeau collectif : l’étude israélienne que vous citez évalue à 250 M€ le coût annuel de ce délit, qui provoque démission, mutations, ruptures de carrières pour les femmes.
Et pourtant, face à cette réalité, la réponse pénale apparaît en décalage : depuis 2005, 1000 procédures nouvelles par an sont enregistrées pour cette infraction. Plus de la moitié de ces procédures a fait l’objet d’un classement au motif que l’infraction n’était pas constituée. La très grande majorité de ces peines d’emprisonnement est assortie d’un sursis total. Quant aux peines d’amende, elles sont d’un montant moyen de 1000 euros seulement….
On le voit la procédure est exigeante : elle demande un investissement personnel très fort de la victime que les associations que vous avez entendu pendant vos auditions ont toutes souligné ; elle est ingrate aussi parfois pour les victimes car les délais d’instruction sont longs, car les preuves sont difficiles à apporter et puis parce que le délit tel qu’il résultait de la loi de 2002 ne punissait que les agissements sollicitant une contrepartie de faveurs sexuelles.
Le délit n’aurait pas été abrogé que nous aurions donc sans doute dû ouvrir ce débat, parce que la question est grave ; parce que sans signaux visibles pour considérer le harcèlement sexuel comme intolérable par notre société, on ne construit pas une société de justice, de respect et d’égalité entre les femmes et les hommes.
II. Urgence, sécurité juridique et concertation
Ce débat, nous l’avons finalement dans un contexte très particulier qui nous a conduit à agir en urgence, pour ne pas laisser de situation d’impunité s’installer et parce que la protection de la loi est un droit fondamental que le Président de la République et le Premier ministre nous ont demandé de rétablir.
L’urgence, nous en sommes toutes et tous convaincus. Mais avec la Garde des sceaux, nous avons aussi eu le souci de garantir la pérennité de ce nouveau droit, de nous assurer que la loi soit efficace, qu’elle soit appliquée et qu’une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité ne vienne pas mettre à bas une loi nouvelle, désespérer une nouvelle fois les victimes et les laisser douter de l’action publique, de notre engagement à tous.
C’est parce que nous souhaitions agir en urgence que le Premier ministre a mis en oeuvre la procédure accélérée. Je veux remercier le Président Sueur qui lors de notre audition nous a confirmé qu’il n’y voyait pas là une mauvaise manière faite au Sénat alors que nous sommes attachés comme lui au temps de travail parlementaire, à ce temps d’expertise que vous avez pris je crois depuis le 4 mai.
C’est parce que nous souhaitions combiner urgence et sécurité juridique que nous avons également consulté le Conseil d’Etat pour conforter notre analyse sur des certaines questions sensibles : la réitération ; la notion d’environnement ; l’échelle des peines ; les articulations à construire entre code pénal et code du travail.
Urgence, sécurité juridique mais aussi concertation. C’est un point auquel je suis attachée car nous avons avec Christiane TAUBIRA eu ce souci de construire un texte, en écoutant les associations, en le partageant avec les partenaires sociaux.
Dès notre prise de fonctions, nous avons travaillé avec les associations et avons continué à le faire durant l’ensemble de la préparation du texte. Je n’ignore pas que certaines d’entre elles s’estiment encore insatisfaites, doutent de certaines notions ou revendiquent des aménagements plus lourds comme sur les peines.
Le travail de la commission des lois a permis déjà de répondre à des attentes et interrogations. Il nous faudra aller plus loin dans le travail d’explication du texte, pour lever les craintes.
La loi « parfaite » que certains attendent n’existe sans doute pas mais celle que nous construisons avec la contribution des parlementaires est claire, globale et nous la voulons efficace.
Cette loi doit être ensuite appliquée, c’est le sens de la circulaire pénale qu’a évoquée la Garde des sceaux.
Cette loi va être un signal pour les femmes victimes, pour les auteurs de harcèlement aussi, c’est le sens de la campagne de communication que nous ferons à l’automne.
Avec Michel SAPIN, nous avons aussi évoqué ce projet de loi avec les partenaires sociaux : toutes les organisations syndicales ont salué le souci de répondre à l’urgence et leurs attentes sur le texte
Dialogue enfin avec votre assemblée, avec les membres de vos commissions, avec la délégation aux droits des femmes
Je me réjouis que le travail collectif dans les auditions, dans les commissions ait permis d’examiner le projet de loi en même temps que les propositions de lois.
Le travail du Sénat a permis de fixer clairement les termes du débat: la question de la réitération ; la question de l’élément moral et des éléments matériels du délit ; les circonstances aggravantes et l’échelle des peines ; le débat sur la rétroactivité.
Vos travaux nous ont permis aussi de voir se construire le consensus sur quelques principes qui nous ont guidés : La nécessité d’une approche globale intégrant l’application de la définition dans 3 champs : code pénal ; code du travail ; statut général des fonctionnaires. Sur ce dernier point, le texte de la commission a apporté les compléments que le projet de loi n’avait pu introduire s’agissant du statut général La pertinence d’un élargissement de la définition du harcèlement, s’inspirant des directives, tout en conservant la nécessaire précision indispensable en matière pénale ; Un ajustement des peines et le souci de la stricte définition des circonstances aggravantes ;
Votre commission a, comme l’a dit Christiane TAUBIRA, enrichi ce texte et tranché des questions importantes : l’alignement des peines suer deux ans et 30 000 € d’amendes ; elle a simplifié le texte aussi pour le rendre plus clair encore.
III. Les améliorations du texte
Je souscris évidemment à l’ensemble des éléments qui vous ont été présentés par la Garde des Sceaux. Ils décrivent bien notre intention et les équilibres que nous avons trouvés. Je me permettrais simplement, pour ma part, d’insister sur trois points essentiels.
Nous avons eu le souci qu’aucune situation ne se trouve désormais laissée en dehors du droit
C’est un point novateur et décisif. Avec l’abandon de l’exigence de l’obtention de faveurs sexuelles, des faits qui n’étaient pas réprimés aujourd’hui pourront l’être demain.
Je pense aux situations vécues par certaines femmes : le harcèlement sexuel quotidien, que certaines femmes vivent et taisaient jusqu’à présent (c’est le « climat qui pourrit la vie des femmes » pour reprendre l’expression de Mme Tasca).
Mais ce sera aussi le cas pour ce que l’on peut appeler communément le « chantage sexuel », à l’embauche, mais aussi lors d’une demande de logement. Nous avons rejoint votre analyse : il y a bien une définition juridique du « chantage » dans le code pénal (article 312-10) mais elle se prêtait mal à notre cas et il valait mieux une définition précise, qui se trouve intégrée à la notion même du harcèlement sexuel.
J’ai d’ailleurs été sensible, Monsieur le rapporteur Anzianni, Madame la rapporteur Demontès, à votre analyse : bien distinguer le harcèlement à connotation sexuel et ce que l’on peut appeler commodément le chantage sexuel ; et pour autant, ne pas hiérarchiser entre les souffrances, la souffrance provoquée par un fait répété et la souffrance générée par un chantage sexuel.
Des peines aggravées dans une logique respectueuse de l’échelle des peines concernant les atteintes sexuelles aux personnes
Le projet de loi permet de conserver une cohérence globale dans les peines pour les atteintes sexuelles aux personnes : le nouveau délit, avec ses circonstances aggravantes s’insère dans l’échelle des peines qui va de 1 an pour l’exhibition sexuelle à 5 ans pour l’agression sexuelle (hors aggravation) et à 15 ans pour le viol (hors aggravation).
Nous avons entendu les critiques, concernant notamment le fait que ces peines seraient trop légères, moindres que le « vol de portable ».
La révision globale de l’échelle des peines est peut être une question que vous aborderez dans cette mandature avec Christiane TAUBIRA mais il nous a semblé que ce n’était pas le lieu dans ce texte. Je vous sais sensible à cette prudence.
Enfin, je voudrais souligner la nouveauté introduite par le projet de loi : les discriminations qui font suite à des faits de harcèlement sexuel deviendront également punissables tant aux travers des textes du code pénal que de ceux du code du travail. S’agissant du code du travail, il s’agit en fait de rétablir une disposition dont la suppression était « involontaire »… les victimes n’ont pas à payer ce prix. Nous le rétablissons donc.
IV. Au-delà de la répression, l’accompagnement des victimes et la prévention
Je l’ai dit dès le départ, la répression n’est pas suffisante pour traiter le harcèlement.
D’abord, nous devons accompagner les victimes pour les informer sur les droits, la nouvelle loi. Je mobiliserai les réseaux d’accueil, d’information et d’orientation des femmes à cette fin. C’est là je sais une préoccupation soulignée par votre Délégation aux droits des femmes avec qui je partage plusieurs analyses.
Nous conduirons aussi un travail sur la prévention, sur les représentations, les stéréotypes.
Nous avons commencé d’aborder cette question de la prévention, dans le dialogue avec les partenaires sociaux puisque j’ai évoqué la question des violences au travail avec eux dans le cadre de la grande conférence sociale. Marylise Lebranchu l’a évoqué aussi avec les organisations syndicales de la fonction publique.
D’ores et déjà, le texte de la commission a pris en compte certaines des demandes exprimées sur vos bancs.
Cet automne, nous lancerons une campagne de sensibilisation sur les violences au travail. Nous la préparerons avec les associations et les partenaires sociaux, qui m’ont déjà tous dit leur disponibilité et leur intérêt.
Mais cela va au-delà, ma collègue Geneviève FIORASO a pris la mesure de cette question. Elle a engagé une réflexion sur les procédures disciplinaires que des associations nous ont signalées comme insatisfaisantes pour traiter les faits de harcèlement. Nous travaillerons ensemble sur le sujet de la prévention, de la sensibilisation dans les établissements d’enseignement supérieur.
Tout cela ne sera rien sans un travail en profondeur sur les représentations, les stéréotypes : Mesdames JOUANNO, Demontès, Gonthier-MAURIN, vous l’avez souligné, il faut sans doute davantage d’études sur le sujet, davantage de volonté aussi.
Je n’en manque pas et je conduirais ce combat.
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Mesdames et messieurs les sénateurs, le projet du Gouvernement a été construit avec le souci d’une approche globale qui permette d’associer la réponse pénale en pensant aux actions concrètes à mener sur le champ de la prévention, de la lutte contre les stéréotypes.
C’est une première réponse qui sera suivi d’autres, concernant le champ plus large des violences faites aux femmes.
Nous avons entendu les associations, très attentives, pour que la loi soit appliquée. Christiane TAUBIRA et moi y sommes attachées et je sais que le travail auquel vous avez tous contribué depuis le début du mois de mai y contribuera.
Je vous remercie de votre attention.
Najat VALLAUD-BELKACEM

Un commentaire sur DISCUSSION GENERALE – PROJET DE LOI RELATIF AU HARCELEMENT SEXUEL

  1. DOUME GERMOND KABONGO

    Une bonne intervention Excellence.
    Vous avez une vision et mettez y la volonté et la détermination, les choses vont bouger dans le bon sens. Courage Mme et marquez votre temps.

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