14% de femmes maires : “il faut que cela change”

Droits des femmes Publié le 1 juin 2013

Retrouvez ici l’interview de Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, porte-parole du Gouvernement parue dans le magazine Maires de France du mois de Mai 2013 :

Najat Vallaud-Belkacem - interview à MairesDeFrance - Mai 2013

Où en sont les collectivités en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ?

Pas encore au rendez vous hélas. C’est mon rôle que de le rappeler en ayant à l’esprit que plusieurs grandes municipalités comme Reims, Nantes ou Rennes se sont mobilisées fortement sur ce sujet. Dans la fonction publique territoriale, les femmes sont sur-représentées parmi les agents non-titulaires, et c’est une situation qui a très peu évolué depuis 2001. Elles sont de plus sur-représentées dans les filières généralement  moins valorisées comme le social, le médico-social ou l’administratif. Les deux phénomènes se cumulent, ce qui m’amène à poser un constat assez sévère sur cette situation. S’ajoute à cela un problème de rémunération : elles gagnent en moyenne 9 % de moins que les hommes, et cet écart dépasse 16 % chez les cadres. Enfin, le plafond de verre joue aussi dans les collectivités : les femmes n’occupent que 18 % des postes de direction alors qu’elles représentent 60 % des cadres de rang A, catégorie dont sont généralement issus les cadres de direction. Les maires doivent avoir ces chiffres en tête chaque fois qu’un recrutement est en cours.

Selon de récents chiffres du CSFPT, les collectivités recrutent de plus en plus sur des postes à temps partiel. Selon vous, cela constitue-t-il un risque en matière d’égalité hommes/femmes ?

Ce qui pose problème en matière de temps partiels, c’est le temps partiels subi. Comme dans le privé, 80 % des salariés à temps partiels du secteur public sont des femmes. Qui dit temps partiels dit rémunération partielle et retraite partielle. C’est un des sujets qui a été abordé dans le cadre de l’accord national interprofessionnel en discussion au Parlement. Il va de soi que ce que l’on va imposer au secteur privé doit être un élément d’appréciation pour la fonction publique territoriale : fixation d’un horaire minimum de 24 heures par semaine, ouverture de droits sociaux quel que soit le nombre d’heures effectuées (indemnités journalières, formation professionnelle, droit à la retraite), sur-rémunération dès la première heure complémentaire, limitation du fractionnement de la journée de travail.

Qu’attendez-vous des collectivités en matière d’égalité hommes/femmes ?

Je veux qu’elles libèrent leur formidable capacité d’innovation et se fixent quelques objectifs simples. D’abord l’exemplarité en matière de ressources humaines : elles doivent se doter d’un plan d’égalité hommes/femmes avec rédaction d’un rapport de situation comparée, des engagements en termes d’articulation des temps de vie professionnelle et personnelle, avec aussi des efforts pour diversifier les choix de métiers afin d’éviter la sexuation des métiers. Elles doivent ensuite intégrer la dimension du genre dans leurs politiques publiques : développer des outils mis à disposition des agents pour promouvoir l’égalité hommes/femmes, réaliser des statistiques genrées pour mieux cibler leurs politiques publiques afin qu’elles soient profitables aux femmes comme aux hommes. La collectivité pilote de nombreux dispositifs dans lesquels elle peut promouvoir l’égalité hommes/femmes, comme par exemple les jobs d’été. Elle peut aussi agir vers ses fournisseurs et les associations qu’elle subventionne.

Enfin, les collectivités doivent promouvoir les droits des femmes, notamment le droit à disposer de son corps, domaine dans lequel les collectivités ont un rôle à jouer par exemple en facilitant l’éducation à la sexualité et l’accès à la contraception.

Certaines communes sont-elles plus avancées sur ce thème ?

J’ai demandé à Vincent Feltesse, président de la communauté urbaine de Bordeaux et député de la Gironde, de travailler sur les bonnes pratiques des collectivités territoriales en matière d’égalité hommes/femmes. Son rapport se penchera sur les ressources humaines, la promotion de l’égalité dans les politiques sectorielles mais aussi chez les prestataires de service des collectivités. Il devrait être remis fin mai-début juin. 141 collectivités dont 95 communes ont signé la charte européenne pour l’égalité entre les hommes et les femmes ; j’encourage les autres à le faire. Cela ne coûte pas nécessairement de l’argent, la mise en œuvre n’implique pas de crédits nouveaux.

Vous allez présenter un projet de loi cadre pour le droit des femmes au printemps. En quoi les collectivités seront-elles concernées ?

Deux exemples. Il sera notamment prévu que les entreprises et les employeurs publics puissent, par une organisation adaptée, permettre aux femmes d’être mère et salariées et aux hommes d’être père et salariés. Ainsi, nous réserverons une partie du congé parental aux hommes. Autre exemple : on va faire créer davantage de logements d’urgences pour les femmes victimes de violences, nous aurons donc besoin des collectivités qui peuvent, par l’intermédiaire de leurs bailleurs, signer des conventions pour identifier des logements à réserver à ces femmes. Plus généralement, une politique en faveur des droits des femmes ne se mène pas depuis Paris, la mobilisation est au niveau du territoire, là où on connaît les habitants, le tissu d’entreprises. Les collectivités ont donc un rôle essentiel à jouer pour la préparation de cette loi cadre sur laquelle elles sont consultées.

Le plan crèche que le gouvernement va présenter sera-t-il guidé par l’objectif de réduire les inégalités territoriales dans l’offre de garde d’enfants ?

Aujourd’hui, les disparités territoriales en matière d’accueil de la petite enfance sont très importantes : d’un territoire à l’autre on peut passer de 9 % des besoins couverts à 80 %. Nous voulons apporter une réponse ambitieuse en termes de construction de places, mais aussi une réponse adaptée aux territoires, avec davantage de créations dans les territoires où il y en a le plus besoin. Il faut toujours mettre en relation cette question de la garde des jeunes enfants avec celle de la scolarisation précoce, dès deux ans. Nous nous sommes fixés des objectifs, par exemple que dans les quartiers prioritaires 30 % des enfants soient scolarisés dès deux ans, ce qui concerne aussi les collectivités.

Les collectivités seront-elles mises à contribution pour financer ce plan crèche ?

Le Président de la République a rappelé le 7 mars que ce plan est une priorité dans un contexte budgétaire important. Nous savons que les acteurs locaux comptent sur les financements de la CNAF et que l’attente des familles est immense. Le moment n’est pas venu de lever le pied. Je le dis aux maires qui vous lisent : si vous avez des projets, allez-y, nous serons derrière vous.

Y aura-t-il une contribution des collectivités au plan crèche ?

Nous allons globalement préserver l’architecture actuelle qui prévoit que la branche famille finance un peu plus de la moitié des places de crèche à travers les mécanismes de la prestation de service et des contrats enfance et jeunesse. Mais nous allons essayer de créer de la flexibilité pour mettre davantage de moyens dans les zones qui ont le plus de besoin.

Il y a moins de 14 % de femmes parmi les maires. Qu’en pensez-vous ?

Il faut que ça change. Le statut quo n’est pas acceptable. C’est le miroir de l’inégalité d’accès aux responsabilités politiques qui subsistent dans notre pays malgré les lois sur la parité. C’est dû au fait que les femmes continuent à être des nouvelles entrantes en politique, aux difficultés d’articulation des temps de vie professionnel et personnel quand les tâches domestiques et l’éducation des enfants pèsent encore à 80 % sur les femmes, mais aussi à des représentations éculées et à des stéréotypes qui font qu’on verra plus naturellement un homme qu’une femme à la tête d’une commune. Je crois beaucoup dans la loi pour forcer le cours des choses, et c’est pour cela que nous avons modifié le mode de scrutin municipal : la baisse du seuil du scrutin de liste va permettre d’appliquer le « principe du chabada » à un plus grand nombre de communes.