Propositions pour l’emploi des jeunes : Entretien aux Echos

Jeunesse Publié le 13 juin 2014

Un mois avant la conférence sociale, la ministre dévoile ses propositions pour relancer l’emploi des jeunes. Elle appelle notamment le patronat à mieux s’engager sur l’apprentissage.

Les Echos : Un collectif de députés PS réclame la création de 150.000 emplois d’avenir et 150.000 contrats d’apprentissage supplémentaires. Est-ce une bonne idée pour lutter contre le chômage des jeunes ?
Dans une période atone en matière d’emploi, il faut utiliser tous les leviers possibles. François Rebsamen a déjà obtenu 45.000 emplois d’avenir supplémentaires. C’est bien. Ma responsabilité est de créer les conditions pour que ces contrats aidés soient dirigés plus en priorité vers les jeunes des quartiers défavorisés , en créant des outils qui permettent aux maisons de l’emploi de les mobiliser. Les jeunes de ces quartiers bénéficient de 18% des emplois d’avenir. C’est bien mais il faut se rapprocher de l’objectif de 25%.

Les Echos : Les emplois francs créés pour les quartiers défavorisés par votre prédécesseur ne fonctionnent pas…
Il ne faut pas s’entêter. Plutôt qu’un dispositif inventé à Paris, partons de ce qui marche sur le terrain. Dans les quartiers défavorisés, le chômage des jeunes atteint 44%, deux fois sa moyenne nationale. Nous sommes confrontés à trois problèmes : les pouvoirs publics n’y sont pas assez finement outillés ; les entreprises ne vont souvent pas chercher au-delà de leurs canaux habituels de recrutement ; et les jeunes de ces quartiers, plombés par des chances inégales au départ et une mauvaise connaissance du marché de l’emploi, ne savent pas comment accéder aux canaux informels du recrutement. Des modèles vertueux pour contrer ces trois difficultés existent, ils ont déjà fait leurs preuves. Je souhaite leur donner un coup d’accélérateur. Nous allons ainsi aider le cabinet Mozaïk RH, spécialiste de la diversification des recrutements, à créer des antennes dans dix villes. Nous étendrons aussi dans 30 villes les « clubs ambition » développés par Pôle emploi, qui offrent aux jeunes un accompagnement personnalisé et renforcé de trois mois. Enfin, je souhaite que dans chaque préfecture des cadres de haut niveau s’impliquent personnellement dans l’accompagnement vers l’emploi de jeunes des quartiers. Tout essentiels qu’ils soient, les contrats aidés ne sont pas l’alpha et l’omega d’une politique de l’emploi des jeunes. Il faut trouver des formules qui s’adaptent aux situations personnelles et hétérogènes des jeunes. Il faut aussi changer l’état d’esprit des entreprises à leur égard : avant d’être des demandeurs d’emplois, les jeunes ont d’abord quelque chose à offrir. Avec les nouvelles technologies par exemple, ils possèdent souvent un savoir-faire que ne maîtrisent pas toujours leurs aînés et que les seuls diplômes ne suffisent pas à valoriser.

Les Echos : Le Medef est tenté de repartir à l’offensive pour réclamer un Smic jeunes lors de la conférence sociale. Est-ce envisageable ?
Le patronat doit sortir de la posture qui consiste à répéter que la solution au chômage des jeunes réside dans un sous statut et un sous-salaire. Le Smic n’est pas le principal obstacle à l’emploi des jeunes. Et plutôt que de réclamer de nouvelles brèches dans le droit du travail, j’aimerais que le patronat applique les quatre accords nationaux sur l’emploi des jeunes signés en 2011. Je pense en particulier à celui sur l’alternance, qui prévoyait que les branches s’engagent sur des objectifs chiffrés. Les négociations de branches sur le pacte de responsabilité et de solidarité doivent permettre ces engagements. Et nous souhaitons avec François Rebsamen qu’à l’issue de la conférence sociale soit lancée une large négociation sur l’emploi des jeunes qui devra permettre de renouveler ces accords et de les compléter, en lien avec les pouvoirs publics.

Les Echos : Le gouvernement affirme miser sur l’apprentissage mais les aides publiques ont été réduites et les entrées dans le dispositif chutent. Comment redresser la barre ?
Le problème avec l’apprentissage n’est pas tant son coût, qui reste modeste, que de trouver des maîtres d’apprentissage. Aux entreprises de jouer aussi le jeu en osant miser sur des jeunes, en particulier dans le cadre du pacte de responsabilité. On peut aussi déployer davantage l’apprentissage dans la fonction publique. Aujourd’hui, on y trouve très peu d’apprentis car ils sont décomptés dans les plafonds d’emploi des administrations. C’est un frein sur lequel il faut s’interroger. Et puis nous devons être inventifs. Je souhaite ainsi que nous permettions aux bénévoles du secteur de l’animation et du sport d’être maîtres d’apprentissage.

Les Echos : Ces initiatives sont-elles à la mesure du niveau de chômage des jeunes ?
Ce qui sera à la mesure de l’enjeu c’est d’utiliser tous les leviers à notre disposition, sans exception. Je suis ainsi convaincue qu’une part importante de la solution réside dans l’entrepreneuriat des jeunes. Il y a un gros potentiel à exploiter : en France, les jeunes sont bien formés, pleins de talents et d’idées mais ils créent beaucoup moins d’entreprises que chez nos voisins. Un statut d’étudiant entrepreneur sera en place dès la prochaine rentrée afin de leur permettre de conserver leur sécurité sociale étudiante tout en étant formés à la création d’entreprise et accompagnés. Dans le cadre de la politique de la ville, je souhaite créer une vingtaine d’écoles de l’entrepreneuriat à la rentrée. Et les prêts à la création d’entreprises accordés par BPI France vont être doublés, de 7.000 à 14.000 euros, pour les jeunes de ces quartiers.

Les Echos : Le rapport Pécaud-Rivolier remis en début d’année préconise de développer les actions collectives pour lutter contre les discriminations. Allez-vous suivre cette recommandation ?
Je reste décidée à avancer dans cette voie. Le Medef avait exprimé ses craintes après la publication de ce rapport mais six mois après, j’attends toujours ses propositions… Je mettrai cette question en débat lors de la conférence sociale avec le souhait de déboucher sur un dispositif opérationnel. Nous allons par ailleurs développer un fonds de soutien pour renforcer les opérations de « testing » dans les quartiers difficiles pour lutter contre toutes les formes de discrimination, à l’emploi, mais aussi dans l’accès au logement, aux soins, aux loisirs…


Propos recueillis par Elsa Freyssenet et Derek Perrotte pour Les Echos.
Photo © Razak

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