Ce Festival des raisons propose un travail à partir des cahiers de doléances du Grand débat. En quoi est-ce utile ?
On a souffert et on souffre encore d’avoir tiré un trait si rapidement sur la parole des Gilets jaunes. L’État, notamment, n’a jamais pris au sérieux ces témoignages de vies comprimées. Il a cru s’en tirer à bon compte en lâchant quelques rallonges budgétaires sans repenser profondément ses politiques publiques… Heureusement, les collectivités locales sont là, comme ce département, pour penser plus profondément les dysfonctionnements de notre société.
Six ans après les Gilets jaunes, n’est-ce pas trop tard ?
Non, ce n’est jamais trop tard. Ce qu’on vit aujourd’hui le démontre. Le vote en faveur du RN est la continuation de ce qui s’est passé à l’époque. De cette somme d’incompréhensions et de ressentiments. J’espère que cette initiative donnera enfin à l’État l’envie de s’emparer de ces cahiers.
Vous avez publié l’année dernière Le Ghetto scolaire, avec le sociologue François Dubet. Cette semaine, un rapport de deux inspections générales préconise une réduction du nombre de classes, face à la baisse démographique. Qu’en pensez-vous ?
Ça fait déjà quelques années que j’attirais l’attention sur le fait qu’on allait perdre 500 000 élèves d’ici 2027. Avec des conclusions très différentes. Plutôt que fermer des classes, il faudrait profiter de cette opportunité pour réduire le nombre d’élèves par classe et améliorer la formation continue des enseignants. Tout le monde a conscience aujourd’hui que ce qu’il faut améliorer c’est les conditions d’enseignement, pour les élèves comme pour les professeurs.
Dans votre ouvrage, vous abordez le lien entre mixité et résultats scolaires. Que pensez-vous des groupes de besoins ou de niveaux, en vigueur depuis cette rentrée ?
Ça m’inquiète, car c’est fait pour de mauvaises raisons, pour supposément ne pas entraver les élèves qui ont le plus de facilités. Or, le but de l’école devrait être de faire réussir tous les élèves et je ne crois pas que concentrer les élèves avec difficultés entre eux serve ces derniers. La recherche scientifique est sans appel: les groupes de niveaux cristallisent le niveau des élèves et agissent négativement sur l’estime personnelle. On perd en effet à la fois l’émulation et l’apprentissage par les pairs qui ont une importance majeure dans l’appétence pour l’effort scolaire. Enfin, les expériences passées nous montrent combien très vite ces groupes de niveau sont corrélés avec les catégories sociales. Cela va créer un nouveau “gap” social, alors que les élèves français souffrent déjà considérablement de cette ségrégation.
Vous expliquez aussi que la mixité une nécessité pour améliorer les résultats internationaux de la France. Pourquoi ?
Je suis frappée de la lecture trop superficielle qui est faite à chaque fois des classements PISA, alors que les rapports eux-mêmes sont très précis et complets. En fait les indications qu’ils nous donnent sur le niveau de nos élèves sont une moyenne. Si on ne prenait que les “bons” élèves français , on serait tout en haut de classement aux côtés du Japon ou de la Corée , et si on ne prend que les élèves en difficulté, on est très très bas, au niveau des moldaves ou des kazakhs. Ce fossé devrait nous interroger. Or, la plupart du temps et bien plus que chez nos voisins, les résultats sont corrélés à l’origine sociale des élèves. Lesquels ne fréquentent pas les mêmes établissements. C’est ce séparatisme scolaire que nous dénonçons dans le livre. Il faut agir contre ce déterminisme social et la mixité scolaire est la meilleure des réponses.
Craignez-vous qu’un gouvernement de droite dégrade la situation ?
J’ai déjà le sentiment que depuis Jean-Michel Blanquer, tant d’éléments de progrès ont été détricotés. Ce sont toujours les mêmes lubies conservatrices qui s’expriment: l’uniforme, le tri précoce, le mythe du mérite républicain qui ne tiendrait qu’aux efforts des élèves et ne serait pas vraiment impacté par les conditions sociales, l’enseignement supérieur qui ne serait pas fait pour tout le monde etc. Après, ça pourrait être pire encore , on pourrait voir le retour de l’apprentissage à 14 ans ou des autres inepties…
Comment analysez-vous le choix de Michel Barnier, comme Premier ministre ? La gauche a-t-elle une responsabilité en ne soutenant pas Bernard Cazeneuve ?
Je suis passablement irritée par ce genre d’interprétation. Je crois surtout que le Président de la République n’avait aucune intention de voir certaines réformes comme les retraites ou l’assurance-chômage, détricotées par la gauche. Il n’a jamais eu l’intention de nommer quelqu’un de gauche. La logique institutionnelle aurait voulu qu’il nomme le candidat du NFP. Il a préféré proclamer qu’un tel choix serait censuré et aller chercher ailleurs. Mais ce n’est jamais si simple, tout est construction de compromis et il aurait fallu laisser la logique parlementaire se déployer au lieu de s’y substituer . Et de finir avec ce choix aberrant qui ne respecte ni la majorité sortie des urnes ni le Front républicain qui s’était exprimé contre le RN. En choisissant Michel Barnier parce que ce parti l’a considéré « acceptable » il a donné de fait à cette formation politique une place centrale inédite . C’est une très mauvaise manière faite aux citoyens.
Au sein du Conseil régional Auvergne Rhône-Alpes vous étiez dans l’opposition à Laurent Wauquiez. Son bilan régional peut-il lui servir sur le plan national ?
(Soupir) Je suis bien placée pour savoir que ce n’est pas le cas. Il a mené dans cette région une politique économique et sociale désastreuse, n’a pas entretenu les lycées publics, ni favorisé l’aménagement du territoire ou le développement du ferroviaire ou la démocratisation de la culture. Il a régulièrement mélangé l’intérêt régional et son intérêt personnel. Dans cette période où le discrédit frappe déjà si durement la classe politique, l’imaginer revenir aux affaires nationales me navre. Voilà qui confortera tous ceux qui pensent que les politiques ne sont mûs que par leur intérêt personnel.
Entretien avec le Populaire du Centre, le 15/09/2022.
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