Pour l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem, la baisse de 20 % de l’aide publique au développement dans la loi de finances enferme notre pays dans une logique incohérente et régressive.
Sur les 40 milliards d’euros de baisse de dépense publique prévus dans le projet de loi de finances 2025 en cours d’examen, le secteur de l’aide publique au développement est particulièrement ciblé, puisqu’il se voit amputé de plus d’un milliard d’euros, soit 20 % de son enveloppe.
Le nez dans ses calculs comptables, notre pays s’enferme ainsi dans une logique absurde. En baissant drastiquement les financements dédiés à la solidarité internationale, le gouvernement marque un coup d’arrêt net à la progression engagée ces sept dernières années pour atteindre l’objectif des 0,7 % du revenu national brut fixé par les Nations unies en 1970. C’est incohérent, car contradictoire avec les engagements sans cesse répétés du Président, depuis la loi de programmation de 2021 qui prévoyait d’enfin atteindre cet objectif en 2025, jusqu’aux promesses tenues au Sommet de Paris par Emmanuel Macron pour un « choc de financement public » à destination des pays les plus vulnérables. C’est aberrant, car cette baisse intervient exactement en même temps qu’une campagne anti-immigration dictée par l’extrême droite : on sabre donc l’aide aux pays les plus vulnérables en même temps qu’on refuse aux plus vulnérables de quitter un chez-eux invivable. C’est terriblement régressif enfin, car en plus de cette baisse, le gouvernement décide de rompre le lien historique, vertueux, et très symbolique entre la taxation des flux de la mondialisation – billets d’avion, transactions financières – et l’aide publique au développement. Un lien qu’Emmanuel Macron, dans la continuité de ses prédécesseurs, avait pourtant promis de maintenir « envers et contre tout » il y a à peine quelques mois.
Ce retrait nous fragilise
A se convaincre que la solidarité internationale est un luxe que nous ne pouvons plus nous offrir, et non un investissement que nous faisons y compris pour nous-mêmes, notre pays, comme d’autres de nos voisins avec nous, s’enfermera dans l’inaction. À l’heure même où les conflits en Europe et au Moyen-Orient s’intensifient, où les crises humanitaires, sécuritaires, alimentaires et sanitaires se multiplient, cette décision budgétaire compromettra de façon inédite la lutte contre la faim ou pour l’accès aux soins et à l’éducation à travers le monde, et donc parce que tout est lié, la paix tout simplement. L’avenir du monde ne nous concerne pas seulement au titre de décideurs : ce retrait de la solidarité internationale nous impacte et nous fragilise aussi directement. Le Covid-19 nous a rappelé avec force que la vulnérabilité n’avait aucune frontière : avons-nous la mémoire si courte pour décider d’un tel sacrifice collectif à l’heure où nous devrions au contraire à tout prix renforcer notre investissement face aux menaces épidémiques liées au changement climatique ? Alors que le Soudan s’embrase dans une guerre civile, que l’Ukraine espère la fin de la guerre avec la Russie et qu’une force des Nations Unies, la Finul, est directement prise pour cible, avons-nous perdu tout sens de notre engagement privilégié dans le maintien de la paix ?
En se retirant de ses propres engagements vis-à-vis du monde, la France s’enferme enfin dans un terrible déni. Celui du rôle important qu’elle a joué, au même titre que ses voisins occidentaux, dans les dysfonctionnements structurels commerciaux, environnementaux, politiques du monde tel qu’il est aujourd’hui. Un renoncement quant à sa responsabilité dans le rapport toujours profondément inégal que les Nords entretiennent avec les Suds.
La faim donc ? Certes les conflits à répétition et les insuffisantes politiques publiques des pouvoirs en place y sont pour beaucoup. Mais comment oublier qu’en exportant pendant des années à bas prix nos denrées alimentaires excédentaires dans les pays en voie de développement, nos pays ont mené des politiques agricoles destructrices pour l’agriculture vivrière dans tant de pays là-bas ; et ce faisant, causé des dégâts profonds pour la sécurité alimentaire de laquelle ils décident donc de se désolidariser partiellement aujourd’hui.
Les cataclysmes écologiques ? Comment oublier que ce sont les choix de développement d’une partie du monde (la nôtre) qui se paient comptant par une autre partie désormais abonnée aux sécheresses meurtrières qui rendent les terres incultivables et tuent par millions les têtes de bétail, aux feux de forêts, aux inondations et autres catastrophes qui favorisent l’émergence des moustiques vecteurs de paludisme et la recrudescence et la propagation inédite du choléra ou de la peste…
Les flux migratoires en hausse ? Oui, les rapports commerciaux inégaux ont installé des générations de jeunes gens dans des vies sans perspectives. L’Europe a passé des années à se construire en forteresse aux migrations en provenance d’Afrique, des années à se laver les mains des morts par milliers dans ses mers. Et jusqu’à se décharger de ses responsabilités d’accueil digne des demandeurs d’asile, en les transférant à des pays tiers aussi respectueux des droits humains que la Libye, dont nous nous rendons otages au passage… Tout cela a-t-il changé quoi que ce soit pour nous, si ce n’est nous dégrader collectivement ?
Alors peut-être est-il enfin temps de nous poser la question d’un monde plus égalitaire tout simplement. Plutôt que de laisser nos « Nords » se détourner du monde qui leur a offert leur place privilégiée, au prix d’un passé qui, aujourd’hui les oblige, rappelons-nous que face aux grands défis de notre temps, nous ne pourrons choisir qu’entre la guerre ou la solidarité. L’histoire nous regarde. Ne nous enfermons pas.
Par Najat Vallaud-Belkacem
Tribune publiée dans Le Nouvel Obs, le 27/10/2024. https://www.nouvelobs.com/opinions/20241027.OBS95514/budget-dans-un-monde-qui-s-enflamme-la-france-s-enferme.html
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