Par Najat VALLAUD BELKACEM
Ancienne ministre.
Gueule de bois. Un homme ouvertement misogyne, condamné pour agression sexuelle et qui a multiplié les propos dégradants et sexistes pendant sa campagne, vient de remporter l’élection présidentielle américaine. Une victoire qui s’inscrit dans une tendance générale, y compris en Europe et en France: la politisation de la détestation des femmes et des minorités de genre. La haine a gagné là-bas. Contre elle, il faut s’organiser pour qu’elle ne l’emporte pas ici.
Car Trump détricote les droits fondamentaux des femmes depuis des années : en juin 2022, les américaines perdaient la garantie fédérale du droit à l’avortement, après la nomination par lui quelques années plus tôt de trois juges conservateurs à la Cour suprême. En 2023, il est condamné au civil à verser 88 millions de dollars de dommages et intérêts pour agression sexuelle. En 2024, le voilà qui promet aux femmes qu’il les « protégera, qu’elles le veuillent ou non » et multiplie les attaques et les clips de campagne contre les personnes trans. A venir, avec la nouvelle majorité républicaine au Sénat, la restriction de l’accès aux pilules abortives qui érodera plus encore les droits reproductifs et la santé des femmes.
Narratifs masculinistes
Partout on a analysé l’élection américaine à partir du profond « gender gap » qui s’est exprimé, couplé au vote des « minorités » : 54 % des hommes latinos ont voté Trump, contre 37 % des femmes. La majorité des personnes noires ont voté Harris. Plus généralement, 54 % des femmes ont voté pour Harris contre 44 % pour Trump. Ce dernier a surtout pu compter sur le « bro vote », ces armées de jeunes et moins jeunes hommes gonflés aux narratifs masculinistes, à l’outrance et la violence langagière à l’encontre des femmes, et à la vision manichéenne (« c’est elles ou nous ») déployées par le candidat républicain (qui parle de femmes comme « des grosses truies, des chiennes, des clochardes et des animaux répugnants ») et ses plus grands soutiens. L’influenceur masculiniste Andrew Tate qui s’est réjoui du « retour du patriarcat » et du match des « hommes contre les gays et les gonzesses » ; le milliardaire Elon Musk qui célèbre l’arrivée de la « cavalerie » ; l’influenceur masculiniste suprémaciste Nicholas Joseph Fuentes qui s’est empressé de s’adresser aux femmes sur un compte instagram parfaitement accessible pour vos adolescents chers lecteurs: « Hey salopes, oui les hommes gagnent encore. Et devinez quoi ? Nous contrôlons vos corps. C’est votre corps, mon choix. ». Cette rhétorique tonitruante et théâtrale a autorisé ses partisans au fil des années -dont des femmes- à se livrer à une misogynie sans limite, qui sonne désormais dans le débat public comme une opinion, là où elle est un délit et une atteinte aux droits.
L’extrême droite et la droite conservatrice françaises persistent depuis des années à affirmer que la culture « woke » est importée des Etats-Unis, comme si nous n’avions pas une longue et propre Histoire d’injustices. Non, ce qui est importé des Etats-Unis, c’est la rhétorique de panique et de résistance à cette soi-disant « tyrannie des minorités obsédées par les sujets de société », qui n’estpourtant jamais qu’un état de vigilance constante contre les atteintes aux droits fondamentaux des individus.
S’organiser ici
Entre extrême droitisation de la politique et concentration des médias, on retrouve bel et bien en France la mêmedésinformation et la même liberté de ton dans l’expression de cette haine, que ce soit sur CNews qui parle d’IVGcomme « première cause de mortalité dans le monde », ou dans l’hémicycle où certains députés RN estiment qu’« une mère au foyer serait mieux à la maison à s’occuper de ses enfants » ou que les femmes sont des « salopes » qui doivent « faire la soupe ». Ce plaidoyer est extrêmement efficace : en 8 ans, par deux fois là-bas des femmes ont perdu contre Trump, deux fois ici la parité a reculé à l’Assemblée. Et à n’en pas douter, ladéfaite de Kamala Harris va donner des arguments ici à tous ceux qui, même dans des sphères plus « progressistes » n’attendaient que cela pour disqualifier l’émergence de candidatures plus diverses dans les lieux du pouvoir : le fameux « on vous l’avait bien dit que la société n’était pas prête» qui annonce les renoncements eux-mêmes préludes aux grandes défaites. Ces choses-là se hument dans l’air, et pas qu’en politique. Au point qu’on est à peine surpris d’apprendre que Sarah Ourahmoune se retire de la course à la présidence de la Fédération Française de boxe suite aux raids racistes et sexistes subis depuis des semaines. Pas surpris mais ecoeuré oui, car c’est loin d’être la première fois.
La poussée réactionnaire et masculiniste s’inscrit dans un mouvement mondial très déterminé : Orban en Hongrie, qui renvoie les femmes à leur strict rôle de mères, Poutine en Russie, qui a dépénalisé en simple infraction les violences conjugales… Ces projets de société ont des élans destructeurs au-delà des femmes et des minorités. Notez par exemple qu’ils s’accompagnent systématiquement d’une vision rétrograde pour la protection de l’environnement – le programme de Trump va conduire les Etats-Unis à émettre 4Mds de tonnes de CO2 en plus d’ici 2030 : Un « pétromasculinisme » qui glorifie la pollution individuelle et l’industrie fossile. Qu’ils reposent aussi aisément sur une vision belliqueuse et agressive des rapports diplomatiques :un « masculinisme géopolitique » qui érige des murs, cherche l’hégémonie par tous les moyens, provoque la guerre et la destruction. Enfin, que, élus démocratiquement, ils détruisent progressivement et inéluctablement la démocratie et l’Etat de droit de l’intérieur.
Il devient urgent de s’organiser pour éviter ces dérives en France. En comprenant qu’elles ne relèvent ni d’une fatalité,ni d’un penchant naturel de nos sociétés qui ne se discuterait pas, mais bien d’une guerre. Menée avec les armes du cynisme et de la haine. Que leur opposer auprès de nos enfants et adolescents ? une éducation à la tolérance et au respect des autres, notamment des femmes. Qu’opposer aucapitalisme débridé et à la concentration économiquedélétère qui favorise tout cela? un projet fondé sur l’équité et la justice fiscale, sociale, environnementale. Qu’opposer à la toute puissance politique et l’influence excessive de quelques privilégiés en roue libre ? Notre intolérance collective aux propos sexistes, notre exigence d’apaisement du débat démocratique, notre volonté de représentativité réelle dans les lieux de pouvoir, de savoir, de parole.
Ne laissons rien passer en France. Organisons-nous contre la haine.
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