Quand les droits des femmes n’avancent pas, ils régressent… Alors, quelle nouvelle étape ? – Tribune dans l’Obs (08/03/2025)

Droits des femmes Populismes Publié le 8 mars 2025

Najat Vallaud-Belkacem 

Ancienne ministre des Droits des Femmes

Pour Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre des Droits des Femmes, l’enjeu est désormais de passer d’une égalité « devant » la loi à une égalité « par » la loi.

Est-il vraiment utile de revenir ici sur les menaces qui pèsent sur les droits des femmes à l’échelle du monde, et sur la très faible probabilité qu’elles épargnent les femmes ici, en France ?

En ce 8 mars 2025, un an après la constitutionnalisation, même imparfaite, de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), le moment est venu pour notre pays de se projeter dans d’ambitieuses réalisations qui protégeraient, quels que soient les aléas politiques de ces temps troublés, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Voilà plus de vingt-cinq ans, la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a complété l’article devenu depuis le premier de la Constitution en posant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Voilà plus de quinze ans, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a élargi dans ce même article le champ d’application du principe de parité aux responsabilités professionnelles et sociales. Voilà plus de dix ans, la loi du 4 août 2014, que j’ai eu l’honneur de porter, a consacré dans le droit la notion d’égalité réelle, c’est-à-dire la nécessité d’abattre une à une les entraves qui empêchent dans les faits cette réalisation.

La nouvelle étape qui constituerait une avancée majeure et infiniment protectrice serait désormais l’inscription de cette égalité réelle dans la Constitution.

Malgré des avancées remarquables, les textes précédents ont montré leurs limites quant à l’accès des femmes à toutes les positions d’exercice du pouvoir ou des responsabilités. Constitutionnaliser l’égalité réelle, c’est ouvrir un Acte II dans toutes les instances et à tous les niveaux de décisions politiques, économiques ou sociales.

Faire de notre Loi fondamentale un instrument de transformation sociale

Comment faire ? Avec quels effets ? A l’alinéa 2 de l’article Ier, plutôt que « favoriser l’égal accès », la Constitution pourrait « “garantir” une égalité réelle d’accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Une telle formule ferait de notre Loi fondamentale, placée tout en haut de la hiérarchie des normes, un instrument de transformation sociale. Elle reconnaîtrait la dimension systémique, matérielle et spécifique des déséquilibres que subissent les femmes. Elle imposerait aux pouvoirs publics un traitement différencié et adapté, conformément à la définition républicaine de l’égalité : faire des égaux et pas se contenter de « constater des égaux ». Elle leur ferait obligation de corriger les inégalités structurelles. Elle diffuserait et ancrerait durablement la culture de l’égalité dans toutes les sphères de la société

Voilà qui nous permettrait enfin de passer d’une égalité « devant » la loi, dont on prend conscience qu’elle n’est souvent que théorique, à une égalité « par » la loi.

Enfin, quitte à engager cette révision constitutionnelle, pourquoi ne pas parachever celle relative à l’interruption volontaire de grossesse ? Le vote du 8 mars 2024 a fait de la France le premier pays à inscrire l’IVG dans sa Loi fondamentale. La majorité sénatoriale a toutefois préféré constitutionnaliser une « liberté choisie » et non un « droit ». C’est bien plus qu’une nuance sémantique : une liberté individuelle, même fondamentale, n’exerce pas de contrainte directe sur l’organisation des services publics concernés. Ainsi, avec l’actuelle rédaction, un juge pourrait interpréter qu’une plaignante trop éloignée géographiquement, médicalement, du recours à l’IVG, ayant dû y renoncer, n’aurait pour autant pas vu sa liberté réellement entravée. Constitutionnaliser l’IVG en l’érigeant en droit fondamental, ce serait sanctuariser un droit chèrement acquis des femmes, dans un contexte budgétaire fragilisant, a fortiori par ces temps de regain masculiniste.

Mieux encore que des libertés constitutionnalisées, les femmes ont besoin de droits fondamentaux garantis par une égalité réelle.

Par Najat Vallaud-Belkacem

À retrouver ici: https://www.nouvelobs.com/societe/20250308.OBS101194/quand-les-droits-des-femmes-n-avancent-pas-ils-regressent-alors-quelle-nouvelle-etape.html