Gaîté lyrique : « laisser des gens à la rue n’a jamais été une bonne politique » – Entretien dans Libération (19/03/2025)

Mardi matin, les forces de l’ordre ont procédé à l’évacuation de la Gaîté Lyrique, pour mettre fin à l’occupation, est-ce qu’il y avait une meilleure solution ? 

Bien entendu. Les jeunes qui s’abritaient à la Gaîté Lyrique demandent simplement une solution d’hébergement adaptée à leur situation. Il y a parmi eux de très jeunes personnes, isolées, vulnérables, en attente de la décision du juge des enfants sur leur placement à l’Aide sociale à l’enfance. Ils ont besoin d’être hébergés à Paris en attendant la décision du juge, il est donc de la responsabilité de l’Etat et de la Ville de Paris de trouver une solution conjointe pour les mettre à l’abri.  

Les cas d’occupations se multiplient avec des jeunes dont le statut de mineur n’est pas reconnu, ou qui attendent les résultats de leur recours, de nombreuses collectivités se retrouvent dépassées. Comment faire pour mieux accueillir les jeunes mineurs isolés ?  

Dans d’autres territoires, comme la Métropole de Lyon, les acteurs publics ont trouvé des accords pour assurer la mise à l’abri de ces jeunes. L’Etat et les collectivités ne doivent pas utiliser la complexité de leur situation administrative pour se renvoyer mutuellement la balle, et devraient respecter le principe de présomption de minorité, en application de la Convention internationale des droits de l’enfant, et prendre en charge ces jeunes au moins jusqu’à la décision du juge.  

Une majorité des jeunes qui forment un recours seront finalement reconnus mineurs : ils intègreront la protection de l’enfance. Les autres doivent pouvoir accéder à l’hébergement d’urgence, qui est inconditionnel. Laisser des gens à la rue n’a jamais été une bonne politique. Elle nuit aux principaux intéressés mais aussi au voisinage et alimente la précarité autant que le désordre, le sentiment d’impuissance et in fine le populisme. 

On a souvent en tête l’image des hommes lorsqu’on pense aux mineurs isolés mais aussi aux demandeurs d’asiles. Est-ce que la réalité des femmes est ignorée ?  

Oui, la migration des femmes et leur intégration en France sont très souvent invisibilisées. Les femmes représentent 48% des personnes migrantes dans le monde, 38,5% des demandeuses d’asile en France, mais peu de gens le savent. À France terre d’asile, nous nous attachons à rendre visibles leurs histoires et à défendre leurs droits, par exemple avec ce rapport sur les femmes exilées isolées à Paris. Notre projet AMAL – autonomisation et protection des femmes migrantes – nous permet également de répondre à leurs besoins en matière de santé ou de lutte contre les violences sexuelles, dont les femmes exilées sont malheureusement très souvent victimes. Nous proposons aussi des cours de français et des ateliers d’accès aux droits qui leur sont spécialement dédiés. 

De nombreux acteurs sur le terrain s’inquiètent ces derniers mois – notamment après l’arrivée de Bruno Retailleau -, de la politique migratoire. En tant que présidente de France terre d’asile, vous ressentez la même chose ?  

Oui. Le gouvernement a supprimé plus de 6500 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile, alors qu’il en manque déjà beaucoup. Des milliers de personnes supplémentaires vont être mises à la rue. La circulaire de Bruno Retailleau du 23 janvier, en supprimant des possibilités de régularisation, va tout simplement fabriquer des sans-papiers, alors que ces personnes travaillent, vivent en famille en France depuis des années. Elles seront privées de droits, auront plus de difficultés à apprendre le français, à travailler, à trouver un logement. Bref, c’est une machine à créer de la précarité.

Comment la gauche peut-elle faire face à la droite et son extrême qui imposent sa vision et son calendrier sur la politique migratoire ? 

En tout cas sûrement pas en imitant l’extrême droite, ce qui n’a pour effet que de la renforcer à chaque fois. Je crois que c’est d’abord en regardant et racontant la France et les français tels qu’ils sont, que la gauche pourra contrecarrer les coups de boutoir de l’extrême droite. Les tensions, les inquiétudes face à un monde menaçant, la tentation d’en tenir l’étranger pour responsable d’office, sont là. Mais l’aspiration à une société accueillante, solidaire, est aussi majoritaire en France. Malgré les milliards investis par l’extrême droite pour imposer le rejet des étrangers dans le débat public, elle perd en réalité la bataille culturelle.  Il faut donc lutter pied à pied contre ces groupes qui multiplient leurs attaques depuis des années. S’ils se sentent de plus en plus légitimes à agir, c’est aussi parce qu’une partie de la droite hier “républicaine” reprend de plus en plus leur vision xénophobe de la société à son compte.  La gauche doit défendre l’accueil des exilés dans des conditions dignes, leur protection et leur accompagnement dans leur insertion en France. Mais parce que tout se tient, c’est aussi, et peut-être surtout, par le reste de ses positions qu’elle apparaitra comme un recours préférable à la facilité des slogans réactionnaires : que son programme économique soit à la hauteur, car on sait que c’est quand l’économie va mal que les citoyens sont tentés de chercher des coupables. Qu’elle défende une vie démocratique plus riche, car plus de participation des citoyens, de vrais débats qui entendent les perceptions des gens y compris sur l’immigration, ça enlève des arguments aux partis d’extrême droite ; des services publics plus forts, un Etat transparent et efficace, une meilleure redistribution de la richesse parce que c’est tout cela qui favorise une plus grande confiance dans l’État et ses institutions, et donc une moindre perméabilité au populisme.

À retrouver ici: https://www.liberation.fr/societe/immigration/gaite-lyrique-pour-najat-vallaud-belkacem-laisser-des-gens-a-la-rue-na-jamais-ete-une-bonne-politique-20250318_H7ZH4G2WXRE5ZMPLMT6XBX227I/