
Aux côtés du chercheur Benjamin Michallet, l’ancienne ministre, aujourd’hui présidente de l’association France terre d’asile, publie un livre sur la question des réfugiés en France et en Europe. Pour balayer certaines idées reçues et prendre le contrepied du discours, très relayé médiatiquement, des responsables politiques hostiles à l’immigration.
« Bizarrement, ma notoriété semble plus faible que celle de Najat », s’amuse de son côté son coauteur, l’économiste et chercheur Benjamin Michallet. Passé par l’Agence française de développement et le CNRS, il est spécialiste des questions de déplacements forcés et a participé à la plus grande enquête statistique menée à ce jour sur les populations réfugiées en France. Il siège également comme juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile.
Partageant la même inquiétude face à la montée d’un discours hostile à l’immigration en général et à l’accueil des réfugiés en particulier, que ce soit en France ou en Europe, ils ont conjugué leurs expertises pour publier, fin mai, Réfugiés, ce qu’on ne nous dit pas, livre qui fait le point sur la question et bat en brèche de nombreuses idées reçues sur la réalité de l’immigration et de l’asile en France.
Jeune Afrique : Vous le précisez dès l’introduction de votre livre, son sujet n’est pas l’immigration au sens large mais bien les réfugiés – d’où son titre –, les personnes venues demander asile. Mais vous soulignez aussi que souvent les appellations « déplacé forcé », « demandeur d’asile », « réfugié » ou « migrant » sont utilisées indifféremment. Commençons donc par parler précisément des demandeurs d’asile, qui sont en fait très minoritaires dans le phénomène migratoire global.
Najat Vallaud-Belkacem : Le phénomène a toujours existé. Simplement depuis une quinzaine d’années, notamment depuis l’afflux de Syriens qui fuyaient les combats dans leur pays, on se surfocalise dessus. Des gens hostiles à l’immigration y ont vu un moyen de nourrir l’anxiété des populations avec l’idée qu’on serait submergés, qu’on ne maîtrise plus rien.
Mais quand on parle spécifiquement du droit d’asile, il faut d’abord rappeler que c’est quelque chose qui répond à des règles bien précises, et qui a été conçu pour ouvrir la porte aux gens qui fuient des persécutions.
Que ce droit protecteur s’est construit au fil des horreurs dont a été capable notre monde, par exemple lorsque, malgré la menace nazie qui pesait sur eux, les juifs d’Allemagne ont la plupart du temps trouvé porte close lorsqu’ils tentaient de se réfugier dans les pays voisins et que leur fuite éperdue s’est bien souvent terminée dans des camps d’extermination. La convention de Genève qui est adoptée quelques années plus tard par quasi tous les pays du monde, sert à dire que cela ne doit plus jamais se reproduire.
Benjamin Michallet : Et il faut ensuite rappeler que les demandeurs d’asile qui débarquent au Nord, aujourd’hui, c’est une infime partie des mouvements migratoires. Ils prennent une place folle dans le débat public et les imaginaires. Mais l’essentiel des nouveaux arrivants est en réalité des étudiants internationaux, des travailleurs étrangers, dont les pays vieillissants comme les nôtres, en Europe, ont infiniment besoin.
Mélanger ces deux phénomènes, la migration volontaire et cette exception que constituent les déplacés forcés qui arrivent au Nord, c’est obérer notre capacité à penser des politiques migratoires intelligentes, y compris dans notre propre intérêt. Et c’est dégrader volontairement la protection qu’on offre aux persécutés. Il faut remettre de la clarté dans toutes ces questions.
Vous soulignez aussi que, contrairement à ce qui est souvent dit, l’ensemble des personnes qui migrent ne rêvent pas de se rendre en Europe ?
NVB : C’est un point important à rappeler. Quand vous écoutez les personnes qui ont fui leur région ou leur pays, leur premier choix n’est pas de partir loin de chez elles mais plutôt d’aller dans un pays voisin. Pour espérer revoir leurs proches ou pleurer leurs morts.
En général, les gens ne fuient loin que quand ils se trouvent dans une impasse dans les pays voisins, le Liban ou la Jordanie pour les Syriens, l’Iran ou le Pakistan pour les Afghans…
En fait la communauté internationale aurait vocation à être beaucoup plus coopérative sur ces sujets, à aider réellement, financièrement, ces pays voisins à bien accueillir, et qu’ils tirent parti de cette aide y compris pour leur propre population. Ce qui éviterait que les gens n’aient d’autre choix que d’emprunter les routes du désert libyen, de traverser la Méditerranée ou de se presser autour de Ceuta et Melilla.
La politique migratoire des pays européens se décide, pour partie au moins, au niveau européen. Or, on a le sentiment qu’à ce niveau, seuls les dirigeants les plus hostiles à l’immigration – Viktor Orban hier, Giorgia Meloni aujourd’hui – se font entendre. Est-ce une fatalité ?
NVB : Indéniablement, c’est leur parole qui est la plus audible aujourd’hui. Et face à ce discours hostile, on peine à en trouver un positif assumé à l’échelle de l’Union européenne, à part peut-être par l’Espagne. Que ce soit en Europe ou en France, on a l’impression que les humanistes attendent d’être sur la défensive pour s’exprimer. On ne devrait pas attendre, mais au contraire se souvenir que l’Union européenne a été bâtie sur l’idée ambitieuse de faire vivre des peuples ensemble, le mieux possible, et d’exporter dans le monde un modèle, des valeurs humanistes et de protection des droits fondamentaux.
C’est d’autant plus important que les citoyens européens ne cautionnent pas cette politique. Ils ne cautionnent pas les noyades en Méditerranée, les accords indignes comme ceux qui ont été passés avec la Libye ou la Tunisie… Ils sont beaucoup plus hospitaliers et solidaires que leurs dirigeants et ceux qui les manipulent.
BM : Des responsables comme Giorgia Meloni portent un discours très réactionnaire sur la migration, parlent beaucoup des réseaux illégaux, et cette vision finit par peser sur toutes les politiques migratoires nationales. In fine l’Europe a fini par transformer une politique d’asile en politique de rejet à la mer, de repoussoir par tous les moyens. Aujourd’hui l’Europe dépense des sommes folles pour empêcher les personnes de venir, avec un bilan humain terrifiant… Il faut absolument interroger ces choix et leur coût.
La tendance actuelle, même si elle a très vite montré ses limites, semble être l’externalisation de la gestion des réfugiés par les pays européens. Créer des « hotspots » à ses frontières, voire passer des accords avec des pays parfois lointains. Que vous inspirent ces tentatives, comme celle du Royaume-Uni avec le Rwanda ?
NVB : L’externalisation, c’est en fait une façon de refuser d’appliquer le droit d’asile. C’est créer les conditions pour que les choses se passent mal, avec des conditions de détention indignes dans des hotspots, des gens retenus contre leur gré alors qu’ils arrivent déjà au bout de leurs forces physiques et mentales. C’est passer des accords avec des pays qu’on voit violer les droits humains tous les jours sans que ça ne suscite de réaction… et finir par s’y habituer.
Évidemment, il y a un effet boomerang : les gens dont on parle, on en fait des bombes à retardement. Les pays auxquels on a demandé de les retenir, de gré ou de force, ont entre les mains un puissant outil de chantage contre l’Europe : la menace de « l’ouverture des vannes migratoires » quand ils n’obtiennent pas satisfaction sur tel ou tel sujet…
Et enfin, quand le Royaume-Uni tente d’envoyer les demandeurs d’asile au Rwanda, ou l’Italie en Albanie, de quoi s’agit-il si ce n’est de repousser toujours plus loin ces « indésirables qu’on ne veut pas voir », là où le traitement qui leur sera réservé pourra se faire à l’abri des regards de citoyens européens. Si l’Europe continue dans cette voie, il lui sera de plus en plus difficile de se présenter de façon crédible comme un modèle alternatif à celui de Donald Trump.
En France, l’un des sujets qui revient dans le discours d’une partie de la classe politique est celui des obligations de quitter le territoire – les fameuses OQTF – et des relations problématiques avec les pays accusés de ne pas vouloir accueillir leurs ressortissants expulsés, Algérie en tête. Pourquoi cette focalisation sur ce point précis ?
BM : Concernant la politique d’asile, il convient de souligner qu’avec la récente réforme de la loi française, tout refus d’une demande d’asile se double automatiquement d’une OQTF. Globalement la France est le premier émetteur d’OQTF en Europe mais c’est avant tout parce qu’on en émet à tout va, pour tout et rien, par conséquent le taux d’exécution est très faible.
L’OQTF ne pose pas de problème en soi, c’est un outil de souveraineté important. Mais actuellement, il est galvaudé. C’est devenu un instrument de propagande qui coûte très cher à notre société en encombrant les tribunaux, en frais de justice en tout genre puisque l’État perd régulièrement, et avec des effets désastreux sur les personnes.
NVB : Le pire c’est à quel point on crée les conditions de notre propre impuissance. On émet de plus en plus d’OQTF mais les moyens des préfectures ne sont pas augmentés en proportion, il n’y a pas plus d’agents pour procéder aux reconduites. Résultat : tout ce qui reste c’est la colère des citoyens qui pensent que rien n’est maîtrisé et la tentation qui s’installe chez eux de gouvernements plus autoritaires.
Face aux drames nombreux qui se produisent sur les routes migratoires, au traitement parfois inhumain infligé aux réfugiés, beaucoup s’étonnent d’entendre très rarement la voix des dirigeants africains, dont la parole serait pourtant légitime quand leurs concitoyens sont en danger. Partagez-vous ce constat ?
NVB : C’est un sujet qui me tient vraiment à cœur. Nous sommes là pour dire à l’Union européenne qu’il y a d’autres méthodes possibles sur les questions migratoires, mais aussi pour dire aux dirigeants africains, à l’Union africaine, qu’ils ont un rôle de protection de leurs populations qui, aujourd’hui, n’est pas joué.
Les pays de départ, les organisations continentales doivent se sentir concernés par le sujet. Ne serait-ce que pour envoyer des messages à ceux de leurs concitoyens qui envisagent pour d’autres raisons que la crainte pour leur vie – économiques par exemple – d’utiliser les routes si mortelles de l’asile. Nous voyons, nous, à l’arrivée, combien elles les ont terriblement abîmés. Donc oui, ça fonctionne à double sens, il y a une responsabilité des deux côtés.
Réfugiés, ce qu’on ne nous dit pas, de Najat Vallaud-Belkacem et Benjamin Michallet, éd. Sto https://www.jeuneafrique.com/1694499/politique/najat-vallaud-belkacem-les-citoyens-europeens-sont-beaucoup-plus-hospitaliers-et-solidaires-que-leurs-dirigeants/
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