
Alors que Bruno Retailleau a mobilisé cette semaine des milliers de policiers pour « interpeller des clandestins », ce vendredi 20 juin marque la Journée mondiale des réfugiés. Najat Vallaud-Belkacem et Benjamin Michallet, auteurs de Réfugiés. Ce qu’on ne nous dit pas (1), appellent à une réflexion de fond sur le sujet.
À l’heure où l’imagination politique semble s’être tarie, il est devenu plus facile d’envisager la fin du monde que celle des inégalités qui le traversent et de leurs conséquences en chaîne. L’histoire a prouvé que des utopies collectives pouvaient transformer le monde : la Société des Nations, l’ONU, la construction européenne… Quel souffle de même intensité pourrait aujourd’hui nous aider à affronter la réalité mondiale des déplacements forcés ?
Se poser cette question suppose de sortir ce sujet du confortable et paresseux rôle qu’on lui fait jouer depuis des années, à savoir le plus rentable des écrans de fumée, à disposition de tout politicien sans scrupule et sans idées désireux de détourner l’attention de son incurie à résoudre les problèmes de ceux qui l’ont élu.
Se poser cette question, c’est se confronter au monde tel qu’il est et tel que, d’évidence, il sera. Et se souvenir que les déplacés forcés ne tombent jamais du ciel.
Une solidarité réelle
Alors viennent enfin les bonnes interrogations, quatre très exactement. En faisons-nous suffisamment pour résoudre les conflits et promouvoir les droits humains, seule manière d’éviter les persécutions, les tortures, les exactions et in fine les exils subis ? Avançons-nous suffisamment sur l’indispensable solidarité internationale réelle envers les réfugiés, dépassant la logique du chacun pour soi, et considérant y compris les préférences de ces derniers dans leur fuite éperdue ? Avons-nous progressé un tant soit peu pour anticiper les déplacements climatiques inévitables, faute de quoi nous serons toujours en retard sur les crises ? Et enfin, œuvrons-nous sincèrement à l’égalisation des conditions de vie, seule solution durable pour prévenir les migrations économiques contraintes ?
Face à la multiplication des conflits – près de 60 en 2023, 200 000 morts, 120 millions de déplacés, un quart de l’humanité́ qui vit désormais dans des zones de conflit… –, les institutions internationales peinent à répondre. Le Conseil de sécurité de l’ONU est paralysé. Le nombre de casques bleus a chuté de 100 000 en 2016 à 69 000 en 2024, et la montée des nationalismes fragilise la coopération mondiale. Conclusion ? Plutôt que de s’échiner à refouler les demandeurs d’asile hors de son territoire au mépris de plus en plus assumé de ses propres valeurs, l’Union européenne serait bien inspirée d’assumer ses responsabilités et de s’engager pour une politique extérieure et de défense commune efficace, capable de peser dans la sécurité internationale.
Déplacés forcés
Sait-on seulement que l’immense majorité de ceux qui fuient restent dans un pays voisin, et que la plupart de ceux qui poursuivent leur route plus au nord auraient en réalité préféré en faire autant, pour espérer revoir leurs vivants ou pleurer leurs morts ? Quand mettrons-nous enfin à l’agenda politique cette gouvernance mondiale des déplacés forcés, qui en tenant compte de leurs préférences, et des intérêts des sociétés d’accueil, rende possible dans les pays voisins un accueil digne et même source de profits pour la population locale, grâce à des investissements internationaux massifs et assumés ?
Quand, pour cesser de nourrir les trafics des passeurs, élargirons-nous les voies légales de migration ? Le multilatéralisme migratoire n’est pas une option si l’idée est un jour enfin d’organiser et d’humaniser. Il est temps de donner une force juridique au fragile premier pas vers une gestion concertée et transparente adopté en 2018, le Pacte mondial sur les migrations.
Un milliard d’humains exposés
Plus d’un milliard de personnes seront exposées aux risques climatiques en 2050, et des centaines de millions pourraient être déplacées. Pourtant, aucun cadre juridique international n’existe pour ces déplacés. Faut-il le rappeler à nouveau ? L’injustice climatique est criante : les pays les plus vulnérables sont les plus touchés et… les pays riches investissent six fois plus dans les énergies fossiles que dans le financement climatique international.
L’enjeu n’est pas la charité, mais la justice structurelle : permettre aux pays pauvres de résoudre leurs problèmes grâce à des accords commerciaux équitables, une réforme de la dette, un accès aux technologies et une meilleure répartition des ressources. Les dysfonctionnements du système international – subventions agricoles, brevets, dette – perpétuent la pauvreté et alimentent les migrations forcées.
Une taxe sur les transactions financières pourrait, à elle seule, générer 400 milliards d’euros par an pour financer le développement. Les intérêts privés qui s’y opposent au nom de l’enrichissement sans limite ont-ils réellement plus d’importance que ce formidable résultat à l’heure où, partout, les États réduisent drastiquement leur aide publique au développement ?
L’histoire a prouvé que la coopération mondiale peut relever des défis incommensurables, comme la mortalité infantile. Face aux défis contemporains, nous n’avons d’autre choix que la solidarité, et pour qu’elle soit pleine et entière, l’adoption d’une éthique universelle, à l’image du « voile d’ignorance » de Rawls : dans quel monde voudrais-je vivre si j’ignorais la place qui m’y serait accordée ?
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