La question migratoire hochet des populistes. – Entretien dans France & Monde

Réfugiés Publié le 22 juin 2025

Najat Vallaud-Belkacem et Benjamin Michallet interpellent les pouvoirs publics dans un livre sur la question migratoire, qui sera au cœur de la présidentielle de 2027.

L’impact économique, « l’attractivité » de la France auprès des demandeurs d’asile, criminalité, intégration… Dans le livre Réfugiés, ce qu’on ne vous dit pas (éd. Stock), Najat Vallaud-Belkacem et Benjamin Michallet ont compilé toutes les études en France et à l’étranger, qui explorent la question migratoire.

Il faut se méfier du terme « migrants »

À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, l’ancienne ministre de l’Éducation nationale aujourd’hui à la tête de France terre d’asile, et le spécialiste des déplacements forcés publient un ouvrage pour donner les outils aux chercheurs, afin que la question migratoire ne risque pas d’« être qu’un outil entre les mains de ceux qui cherchent l’instrumentaliser », dit l’ancienne ministre. Les deux auteurs en sont convaincus : la question migratoire sera au cœur de la campagne présidentielle de 2027.

La question des réfugiés est très complexe et c’est aussi un sujet sensible politiquement. Votre livre est-il un travail engagé ?

Najat Vallaud-Belkacem. C’est surtout un livre qui se veut scientifique, fondé en toute choses sur la recherche. Mais il n’y a pas d’incompatibilité entre le fait de se réclamer de la raison et le fait d’être engagé. A fortiori dans un monde où le mal qui guette c’est la désinformation et la manipulation.

Benjamin Michallet. La réalité des faits, ce n’est pas une opinion. Le parti pris de ce livre, c’est de confronter une thématique humaniste à l’épreuve des faits. Quand on prend les recherches, les données, les faits, quand on recadre les choses juridiquement, alors on se rend compte qu’on est loin de l’imaginaire qui l’entoure. Et qu’il existe toute une palette de politiques publiques qui nous permettraient de faire des choses très bien au bénéfice de tout le monde.

Même s’il s’agit de votre spécialité et de votre engagement, avez-vous appris des choses en écrivant ce livre ?

NVB. Moi j’ai appris combien la recherche à travers le monde permettait de répondre factuellement aux principaux points de tension, de crispation, voire d’angoisse qui nourrissent le débat public français. L’un des buts de ce livre est de réclamer des pouvoirs publics qu’ils ne laissent plus le sujet migratoire n’être qu’un outil entre les mains de ceux qui cherchent à l’instrumentaliser. Dans notre pays aussi de telles recherches pourraient exister, si tant est qu’ils mettaient à disposition des chercheurs qui ne demandent que cela, ces données.

BM. Au-delà ce qu’on trouve dans ce livre, c’est ce qui se passe sur le terrain sur tous ces sujets. Quand on allie les deux – de la recherche technique, quantitative, statistique et une surcouche de connaissance des processus du terrain, des questions européennes… – on aboutit à une approche consolidée, riche et complète de ces thématiques complexes.

Vous utilisez dans votre titre le mot « réfugiés ». Pas « demandeur d’asile » ou « migrant ». Pourquoi ?

NVB. « Migrants » c’est un terme dont il faut se méfier. Il s’est imposé dans le débat depuis une quinzaine d’années par la voix des hostiles aux nouveaux venus, qui y melent allegrement ce qui relève de la migration volontaire – les travailleurs étrangers, les étudiants internationaux – et ce qui releve des deplacements forcés, les demandeurs d’asile, les refugiés. Ce mélange leur permet evidemment de présenter des chiffres très importants, tout y accolant l’unique image du demandeur d’asile en haillons qu’on « n’aurait pas d’autre choix que d’accepter » et d’installer ainsi l’idee de la submersion, de la perte de maitrise….

La vérité c’est que ce qui relève de la migration volontaire est parfaitement régulable par un État. Et c’est totalement légitime de le faire en fonction de ses besoins.

Les gens qui cherchent un refuge c’est complètement autre chose. Le droit de l’asile s’est construit sur cette idée qu’on doit laisser, quand un État s’en prend à ses ressortissants, une possibilité d’accueil et d’aide ailleurs. Tous ceux qui demanderont l’asile ne l’obtiendront pas mais comment juger de leur situiation si on n’instruit pas leur dossier ? Par exemple en France en 2024, 130.000 personnes sont venues demander l’asile et seulement 55 % ont obtenu le statut de réfugiés.

BM. On introduit le livre en disant qu’il ne parle pas d’immigration. C’est à la fois provocateur et vrai. La migration volontaire, c’est une migration encadrée par le pays d’accueil et qui se fait pour son bénéfice : stimuler son économie, stimuler sa démographie, répondre à des questions de diplomatie internationale, répondre à des questions stratégiques… Ne traiter la migration qu’à travers la migration forcée c’est oublier cette vaste majorité qui est pourtant dans notre intérêt direct.

Ce qui est important, c’est aussi le sous-titre du livre : « ce qu’on ne nous dit pas ». Par exemple, pourquoi cette absence de recherche en France alors qu’on a une tradition statistique très ancienne et un institut statistique absolument remarquable ? 

Quoi d’autre ?

BM. Le fait que quand on met en place une politique d’asile et notamment d’accueil, évidemment ça coûte de l’argent immédiatement. Mais pour savoir si cela coûte véritablement de l’argent à moyen et long terme, il faut mettre en balance les bénéfices.

Faisons l’analogie avec l’Éducation nationale. A court terme, cela coûte bien évidemment de l’argent puisqu’on forme pendant 18 ans des gens qui ne travaillent pas. Mais ce sont les mêmes qui vont travailler pendant 45 ans après. Si on ne regarde pas ces 45 années où les personnes vont cotiser, alors on peut dire qu’il faut supprimer l’Éducation nationale parce que ce n’est qu’un coût. On voit combien cette vision-là serait absurde ? C’est pourtant celle qui est utilisée par nombre de polemistes s’agissant d’immigration.

Le chapitre 6 est consacré à la criminalité. A-t-il été compliqué à rédiger ?

NVB. On n’a voulu éluder aucun sujet. Est-ce que le fait de recevoir des étrangers et des demandeurs d’asile sur son territoire fait augmenter le taux de criminalité ? C’est évidemment une question legitime.

BM. On a pris la recherche qui existe et on a restitué les éléments qu’on y trouve. Ce qui est intéressant déjà, c’est de comparer des gens qui sont comparables, au moins sur les conditions socio-économiques. Chacun comprend bien les limites qu’il y aurait à comparer, sans plus de mise en perspective, le taux de criminalité entre des personnes qui sont très modestes et des personnes qui sont très aisées ? Vous avez, par exemple, un certain type de délits qui peut être lié à une certaine précarité comme les vols à l’étalage. Et d’autres, comme la criminalité en col blanc qu’on trouvera davantage chez les banquiers… Le propre des chercheurs c’est d’être capable de retravailler ces données-là pour pouvoir comparer ce qui est comparable. Et donc ce que nous dit la recherche c’est que les nouveaux venus ne sont pas plus criminels dans l’absolu. Qu’une déshérence administrative imposée peut les conduire en revanche à de la délinquance de subsistance. Et que bien sur une exploitation politico-mediatique de leurs exclusifs faits délictuels et criminels peut installer dans l’opinion publique l’idée qu’ils sont plus criminogènes que les autres.

À qui s’adresse ce livre ?

NVB. Il s’adresse aux pouvoirs publics à qui on dit “ faites de la transparence, permettez la recherche, éclairez le débat public ”.

Il s’adresse aussi aux médias parce qu’ils jouent un rôle absolument majeur : il y a bien sur ceux qui sont idéologiquement orientés et assument tout simplement de raconter n’importe quoi sur ce sujet parce que cela sert leur agenda politique. Mais il y a aussi ceux qui n’ont pas forcément conscience du rôle qu’ils jouent dans un traitement déséquilibré de cette question, et ce sont les plus nombreux. Heureusement une démarche vertueuse vient de voir le jour, La Charte de Marseille, pour un traitement plus deontologique des questions migratoires par les journalistes.

Il s’adresse surtout aux citoyens qui doivent se ressaisir de la question migratoire dans son ensemble. Que ce soit de la migration volontaire ou des déplacés forcés. Ce sont des sujets essentiels pour leur propre intérêt (exemple : ils ne veulent pas que l’âge légal de la retraite soit indéfiniment repoussé ou que les pensions baissent ? Oui mais avec notre démographie atone, la seule solution s’appelle avoir des travailleurs étrangers…) mais aussi pour le devenir de notre humanité : ce droit d’asile si précieux que les générations qui nous ont précédé ont construit malheur après malheur, on veut vraiment l’envoyer au fond de la Mediterrannée avec les 40000 personnes qu’on a laissé s’y noyer sans réagir ?

Vous dites aussi que la France n’est pas si « attractive » que cela pour les demandeurs d’asile. Pourquoi ?

BM. La première chose, c’est que quand on est déplacé forcé, les statistiques ont tendance à montrer qu’on va d’abord au plus près. On va bien souvent d’abord à l’intérieur de son pays.

Ensuite, on va traverser une frontière et on va aller se réfugier là où on est proche de chez soi. Typiquement la question ukrainienne est intéressante. Beaucoup de réfugiés sont restés en Pologne. Ensuite en Allemagne. Elle montre que notre système de redistribution ne rend pas notre système ultra-désirable aux yeux du monde entier.

Enfin, le fait de se déplacer sous la contrainte sans visa, c’est extrêmement coûteux. Faute de prendre l’avion, qui est quelque chose de très coûteux pour les pays du sud, il faut prendre les routes de l’exil et les voies illégales. C’est un péage à chaque étape et on paye avec du dollar, avec son corps, avec sa santé mentale ou sa force de travail. Donc, la France ne vit pas un appel d’air, bien au contraire d’ailleurs. Et quand on regarde du coté des migrations volontaires on attire plutôt moins d’etudiants ou de talents qu’on n’y aurait interet.

Aviez-vous à l’esprit en écrivant ce livre la campagne pour 2027 où la question migratoire sera, a priori, centrale ?

NVB. On a une certitude c’est que cette question – comme c’est la pente naturelle depuis plusieurs années dans notre pays comme dans d’autres – est un fioul permanent pour les populismes.

Nourrir les anxiétés autour de l’immigration, c’est devenu tellement confortable et rentable pour un série de politiciens soit cyniques soit sans imagination. Cela leur sert à montrer les muscles, dans une période de recherche d’autorité, tout en détournant l’attention des citoyens sur leur incurie à résoudre quoi que ce soit par ailleurs.

Les citoyens ne sont pas forcément sur la même longueur d’onde que leurs dirigeants et on aimerait qu’ils se donnent les moyens de juger, de maîtriser un peu mieux le sujet, puis de donner de la voix pour dire plus fort leurs préférences, plus hospitalières, plus solidaires. Un peu comme ils ont appris à le faire sur le changement climatique jusqu’à changer l’agenda politique en la matière des principales forces politiques.

BM. Fondons-nous sur la recherche. Chaque parti politique va progressivement composer son offre politique. J’ai entendu Horizon faire de premiers pas sur le sujet avec une évocation de l’immigration autrement que négative. Edouard Philippe en parle via le flambeau de la question démographique. Il existe une fenêtre pour que cette question soit abordée sous un angle raisonnable du point de vue économique, démographique et pourquoi pas politique au sens de la place de notre pays et de l’Union européenne sur la scène internationale.