Réforme du collège, refonte des programmes, Laïcité… – Entretien Bilan de l’année scolaire avec Libération

Éducation nationale Publié le 8 juillet 2015

Retrouvez ici l’entretien accordé par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, au quotidien Libération et publié dans son numéro du 8 juillet 2015.

Juste en face de son bureau, entre les deux grandes fenêtres qui donnent sur le jardin du ministère, rue de Grenelle, une affiche indique «Chef : personne qui commande, exerce une autorité, une influence déterminante. Cheffe : personne qui commande, qui exerce une autorité, une influence déterminante». La veille des résultats du baccalauréat (78,8% de réussite, – 0,1% par rapport à l’année dernière) la cheffe de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem répondait aux questions de Libération.

La réforme du collège a suscité un très vif débat dans la société. Considérez-vous, avec le recul, avoir commis des erreurs ?
Quand on refait l’histoire, on aimerait avoir conservé un calme olympien pendant les deux mois des débats, quelle que soit la tournure prise par ces derniers…

Mais comment expliquer que cela ait pris une telle tournure, parfois hystérique ?
Cela traduit, je crois, une grande défiance de l’opinion publique dans la capacité des institutions à se réformer. Beaucoup d’inquiétudes ont été émises, comme : «Les enseignants seront-ils prêts à changer leurs pratiques pédagogiques ?», «les chefs d’établissement vont-ils devenir du jour au lendemain, avec l’autonomie, des petits chefs qui imposeront leurs vues au reste des équipes ?» Cela faisait longtemps en réalité qu’on n’avait pas réformé l’école de façon aussi claire et aussi nette, en activant plusieurs leviers en même temps : l’autonomie, la façon dont on enseigne et ce qu’on enseigne… Modifier tout cela à la fois a donné plus de prise à nos détracteurs. Il leur a suffi de s’appuyer sur une imperfection réelle, comme le jargon des programmes. Ou fantasmée, comme l’islam qui se substituerait à la chrétienté dans les cours d’histoire, pour disqualifier la réforme dans son ensemble.

Si c’était à refaire, vous mèneriez de front les deux réformes, collège et programmes ?
Ce n’était pas prévu au départ. Quand je suis arrivée, il y a dix mois, au ministère, le président du Conseil supérieur des programmes avait quitté ses fonctions. J’ai nommé rapidement un nouveau président, mais nous avons perdu huit mois de travail. De fait, on s’est retrouvés avec cette conjonction de réformes dans le calendrier. Mais, je l’assume. Ce ministère est saisonnier, l’application des réformes doit correspondre au calendrier scolaire. Je réaffirme qu’il est important que les nouveaux programmes et les nouvelles pratiques pédagogiques entrent en application simultanément à la rentrée 2016.

Ce débat n’a-t-il pas révélé le dysfonctionnement du Conseil supérieur des programmes (CSP), une structure hybride donc peu lisible ?
On essuie un peu les plâtres, comme toute nouveauté. Cette instance a été instaurée à juste titre dans la loi de refondation de l’école de Vincent Peillon. Jusqu’ici, pour résumer, soit c’était les services du ministère qui écrivaient directement les programmes, soit des comités ad hoc qui se réunissaient puis se dissolvaient. Là, pour la première fois, nous avons une instance indépendante, qui réunit des personnes de la société civile, des chercheurs, des parlementaires… Beaucoup n’ont pas compris que les projets de programmes n’étaient à ce stade qu’une proposition. Ils vont être encore retravaillés et seront validés en septembre. La mission du CSP n’est pas facile : revoir tous les programmes, en les appréhendant dorénavant en cycle de trois ans. Et corriger les incohérences qui existent. C’est curieux comme, dans ces débats, personne ne rappelle les imperfections des programmes actuels et leurs lourdeurs.

Pour revenir à la réforme du collège, la droite, notamment Bruno Le Maire, considère comme une ineptie la généralisation de la deuxième langue vivante en cinquième, alors qu’une partie des élèves ne maîtrise pas le français.
On a tous tendance à avoir un avis sur le fonctionnement de l’école. Dans le monde du foot, on dit parfois qu’il y a 66 millions de sélectionneurs en France. C’est un peu pareil avec l’éducation, c’est comme si vous aviez 66 millions de ministres de l’Éducation… Je conviens que chacun puisse exprimer son avis, mais les pratiques pédagogiques sont aussi une science. Or, toutes les études démontrent que plus vous apprenez une langue vivante tôt, meilleur vous êtes dans cette langue mais aussi dans l’expression de manière générale. Opposer le français aux langues vivantes n’a aucun sens ! L’important, c’est d’acquérir les mécanismes d’apprentissage le plus tôt possible. On a rarement eu l’occasion d’en parler lors des débats mais, entre un élève de cinquième et de quatrième, il y a une énorme différence d’inhibition quand on prend la parole devant la classe par exemple. Plus il est tard, plus il est difficile de commencer une seconde langue. L’avancer d’un an est donc important.

Mais la suppression des classes bilangues (deux langues dès la sixième) n’a pas été comprise. Pourquoi les priver d’un dispositif qui a fait ses preuves ?
Jusqu’ici, à défaut de réformer en profondeur, mes prédécesseurs avaient apporté des correctifs à la marge. Par exemple, ces options (bilangue, internationale…) faites pour rassurer les familles inquiètes que leur enfant soit tiré vers le bas dans un collège public du quartier. On les rassurait en laissant entendre : «Vos enfants, et quelques camarades, auront la garantie d’être mieux traités que les autres.» Je ne porte pas de jugement de valeur, mais c’est une réalité. Quand vous réfléchissez en termes d’allocation des moyens, vous allouez de fait plus à ces élèves-là, meilleurs a priori, qu’à ceux qui sont en moins bonne posture. A coups de classes bilangues et autres options… quelque 15 % des élèves bénéficient de 650 heures de plus que leurs camarades sur les quatre ans du collège. Comment voulez-vous avoir une égalité des opportunités de réussite ? Ce système confirme et conforte les inégalités scolaires qui sont souvent des inégalités sociales de fait. Après les attentats, on s’est tous posé cette question : comment mieux convaincre tous les jeunes des vertus des valeurs de la République ? Eh bien, cela passe nécessairement par une expérience du vivre-ensemble au collège. Il faut qu’on apprenne à croire que la réussite est possible pour tous les élèves.

Le meilleur moyen de garantir la mixité sociale n’est-il pas de jouer sur la carte scolaire ? L’État ne devrait-il pas reprendre entièrement la main, en passant par la loi ?
J’ai la volonté d’avancer de façon efficace et pragmatique. Il faut partir du terrain, faire du cousu-main, car on voit bien que d’un territoire à l’autre, la solution à apporter est différente. La démarche doit être scientifique. Pour cette raison, j’ai institué un comité de chercheurs reconnus sur ces questions. Rationnaliser la démarche permet d’éviter une bataille rangée des uns contre les autres. Cela doit permettre aussi d’avoir des outils pour mesurer le degré de mixité dans les établissements et les effets que pourrait avoir telle ou telle mesure. Ensuite, je compte sur le volontariat des collectivités. On est en train d’identifier plusieurs départements de gauche et de droite, pilotes, avec lesquels nous travaillerons dès la rentrée.

Ce qui veut dire que si un département n’est pas volontaire, il peut rester à l’écart ?
Oui, pour l’instant ma démarche est fondée sur le volontariat. C’est aussi une façon de démontrer les vertus de la mixité.

Le privé sera-t-il concerné ?
On travaille aussi avec l’enseignement privé qui est bien plus partant que ce que l’on imagine souvent.

Après les attentats, on a beaucoup parlé de laïcité. La gauche est très divisée sur cette question. Quelle en est votre conception ?
C’est le droit de chaque citoyen de croire ou ne pas croire. Et l’indifférence que doivent manifester les pouvoirs publics à l’égard de cette conviction ou absence de conviction. C’est pour cela que les fonctionnaires ne doivent pas porter de signes religieux, pour ne pas donner l’impression qu’ils privilégient ou discriminent tel ou tel citoyen.

Latifa Ibn Ziaten, la mère d’un militaire assassiné par Mohamed Merah, intervient, voilée, dans les écoles pour parler des valeurs républicaines. Est-ce un problème ?
Non, puisque ce n’est pas un agent de l’Etat. Quand on voit ce qu’apportent ces interventions, on doit surtout savourer la chance que l’on a d’avoir des personnes aussi engagées. C’est pour cela que j’ai voulu mettre en place cette réserve citoyenne après les attentats. C’est l’une des mesures qui fait le plus sens pour moi. Vous n’imaginez pas les milliers de courriers que j’ai reçus de citoyens prêts à contribuer d’une manière ou d’une autre à l’éducation des enfants, me demandant de leur ouvrir un peu les portes de l’école. Après les attentats, j’étais arrêtée dans la rue toutes les deux minutes par des gens qui me disaient «maintenant c’est à l’école que ça se joue pour que cela ne se reproduise plus». C’était formidable comme réaction, même si cela avait un côté un peu oppressant, surtout pour les enseignants.

Après trois ans de gauche au pouvoir, qui a promis de faire de l’école une priorité nationale, le malaise des professeurs est toujours aussi prégnant…
Ce malaise, existe depuis longtemps, et n’a cessé de se creuser au fil du temps : une reconnaissance qui n’est pas toujours au niveau, dix ans de destructions de postes… Puis la gauche arrive au pouvoir en 2012 et promet la création de 60 000 postes. A partir du moment où vous avez affaire à un gouvernement qui est à l’écoute, vous êtes encore plus exigeant à son endroit. Il faut rappeler aussi que nous avons dû affronter plusieurs problèmes en même temps. Il ne s’agissait pas simplement de recréer des postes là où ils avaient été supprimés, mais de faire face à une démographie des élèves en augmentation. Il a aussi fallu recréer la formation initiale des enseignants. Sur les 60 000 postes promis, 35 227 ont été créés. On a tendance à oublier que les 25 000 élèves-enseignants qui sont en formation font partie des 60 000 postes promis. Ce qui explique que les effets de notre politique ne sont pas encore pleinement visibles sur le terrain. Il faut juste un peu de temps.


Propos recueillis par Grégoire Biseau et Marie Piquemal pour Libération et publiés le 8 Juillet 2015.

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11 commentaires sur Réforme du collège, refonte des programmes, Laïcité… – Entretien Bilan de l’année scolaire avec Libération

  1. Luise

    “On les rassurait en laissant entendre : «Vos enfants, et quelques camarades, auront la garantie d’être mieux traités que les autres.» Je ne porte pas de jugement de valeur, mais c’est une réalité. Quand vous réfléchissez en termes d’allocation des moyens, vous allouez de fait plus à ces élèves-là, meilleurs a priori, qu’à ceux qui sont en moins bonne posture. A coups de classes bilangues et autres options… quelque 15 % des élèves bénéficient de 650 heures de plus que leurs camarades sur les quatre ans du collège. Comment voulez-vous avoir une égalité des opportunités de réussite ? Ce système confirme et conforte les inégalités scolaires qui sont souvent des inégalités sociales de fait.”

    Venez sur le terrain, comme on vous l’a demandé, ce que vous dites est totalement faux !

    L’OCDE parle de l’économie française, alors maintenez les bilangues et les européennes !

  2. destruction de l'école - importance de l'enseignement du latin et du grec

    L’importance cruciale de cet enseignement pour notre société est clairement soulignée par les Inspecteurs Généraux de l’Éducation Nationale dans le rapport de 2011 précédemment cité : l’idée même d’ “une décision de suppression radicale des enseignements de langues et cultures de l’Antiquité” leur paraît “impensable” :
    ” Une décision de suppression [de l’enseignement des Langues Anciennes] paraît encore plus impensable : pareille mesure, surtout dans la période actuelle, ne resterait pas sans effets sur le pays. Les conséquences prévisibles en seraient à la fois culturelles à long terme (ce serait consommer la rupture avec nos origines culturelles) et à court terme, politiques. Le coût social, politique et budgétaire d’une mesure de suppression programmée serait assurément important, puisqu’elle impliquerait tant dans l’enseignement secondaire qu’à l’université des mises à la retraite anticipée, des plans de reconversion, un repositionnement institutionnel de l’ENS Ulm, de l’École des Chartes, de l’Institut français d’Athènes et de l’École française de Rome. La nécessité d’accompagner pareille décision d’un discours politique ne pourrait que rallumer des guerres de religion.”

    “Comment l’école pourrait-elle prétendre enseigner les valeurs humanistes si dans le même temps elle renonce à pratiquer les disciplines fondatrices de l’humanisme ? Le rôle de l’école n’est-il pas d’apprendre aux élèves à se situer par rapport aux évolutions sociales autant que de les y adapter ? La crise des humanités met en évidence les limites des stratégies adoptées depuis 1968 et celles des modèles successivement retenus pour réformer notre système éducatif.” (Source : L’enseignement des langues et cultures de l’antiquité dans le second degré – Rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale ” n° 2011-098 août 2011)

  3. destruction de l'école

    Quelques extraits qui rendent difficilement compréhensible l’abandon de ces dispositifs dans le projet de réforme du collège :

    “S’agissant des collèges relevant de l’éducation prioritaire, la présence de cette offre linguistique particulière est encore plus vitale que pour les autres établissements. Il s’agit de contrecarrer les phénomènes de fuite des catégories sociales moyennes et favorisées. Ainsi, certaines stratégies académiques ont conduit à installer dans tous les collèges classés en éducation prioritaire au moins une classe bi‐langues et une section européenne. Dans ces collèges, les élèves en parcours bi‐langues ou en section européenne relèvent certes moins souvent des catégories les plus défavorisées que le reste des élèves, mais la présence de ces dispositifs, dès lors que leurs élèves sont répartis dans plusieurs divisions, participe à la mixité sociale de l’établissement et favorise un effet d’entraînement positif au sein des classes.” (p. 16)

    “Les dispositifs classes bi‐langues et sections européennes ou de langues orientales ont rempli la plupart des objectifs qui leur ont été fixés lors de leur création. Ils se sont développés de manière continue, sous l’impulsion tant ministérielle qu’académique, en réponse à une certaine demande des familles.” (p. 37)

    http://www.reformeducollege.fr/Rapport_Inspection_euro_bilangues_412081.pdf?attredirects=0&d=1

  4. Grison

    Encore et encore n’importe quoi? Vous vivez vraiment sur une autre planète mme la ministre! Votre réforme personne ne la veut a part vos pseudos intelectuelles! Vous mentez encore et encore!!
    250000€ donnez à la FCPE comme subvention!! est-ce normal? donc normal qu’ils vous soutiennent en in et sont contre en off! J’ai honte d’avoir voté pour le PS!

  5. LANCIEN Dominique

    Je suggérerais bien à tous ces “Ronchonneurs” de fermer leur ordi. et d’aller se faire un bon plongeon ! Mais “ils” seraient encore capables de polluer les Vacances des Baigneurs(euses) qui auraient la malchance de se trouver à proximité !!!

  6. Maitre

    Toujours les mêmes propos sur les bilangues, quand allez vous évoluer et comprendre enfin?

  7. PF

    Vous avez débattu avec quelqu’un ? Cela nous aura échappé…Vous ne reconnaissez aucune erreur…Quel recul !!!
    “quelque 15 % des élèves bénéficient de 650 heures de plus que leurs camarades sur les quatre ans du collège”: mais tout le monde aurait pu en profiter si vos services ne bloquaient pas tout !! Quelle mauvaise foi…
    Je repose la question encore une fois: en quoi la suppression des sections bilangues et euros va-t-elle favoriser la réussite pour tous ? En quoi les EPI vont-ils aider les élèves en difficultés qui ont cruellement besoin de revoir les fondamentaux ? L’interdisciplinarité a bon dos…La réforme du collège s’inspire de la réforme Chatel..Pourquoi ne pas avoir fait un bilan de cette réforme qui sur le terrain dysfonctionne ???? Non, vraiment, je suis atterrée…

  8. débats ?

    “Quand on refait l’histoire, on aimerait avoir conservé un calme olympien pendant les deux mois des débats, quelle que soit la tournure prise par ces derniers…”
    Vous avez débattu avec qui ? Déjà pas avec les enseignants, les premiers concernés ! Ce sont pourtant eux qui sont sur le terrain, ils pourraient bien être de bon conseil, ne croyez-vous pas ?
    Vous avez débattu entre politiques, avec des journalistes …
    Débattez donc pour une fois avec les professeurs ! Certes, vous risquez de perdre votre calme car là, vous aurez du mal à convaincre. Ils ont compris depuis longtemps quel est le but de votre réforme : ECONOMIES de postes!

  9. petits chefs ?

    “Les CDEs vont devenir des petits chefs imposant leurs vues au reste de leurs équipes” dites-vous.
    C’est exactement ce que vous faites : vous imposez votre réforme sans écouter les enseignants (à part ceux qui sont d’accord avec vous, et c’est la minorité), sans discuter avec les profs d’allemand et de langues anciennes (les premiers à s’être inquiétés des conséquences de votre réforme) et en osant même promulguer le décret dès le lendemain d’une grande manifestation !
    Vous pensez être la seule à avoir raison sur toute la ligne ??

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