Contre le harcèlement, je ne crois qu’à une chose : la présence massive des femmes en politique

Droits des femmes Éducation nationale Publié le 12 mai 2016

Elle a porté l’une des lois les plus ambitieuses sur le harcèlement lorsqu’elle était ministre des Droits des femmes. Najat Vallaud-Belkacem revient pour ELLE sur les comportements sexistes en politique et les actions qui restent à mener. Interview.

ELLE. Vous qui avez fait voter l’une des premières lois de la législature sur  la question du harcèlement, que ressentez-vous aujourd’hui ?

Najat Vallaud-Belkacem. Je suis rassurée qu’on ait fait voter cette loi justement, car avant elle, c’était le grand flou sur la définition exacte du harcèlement, ce qui pouvait conduire à des appréciations très disparates d’une  juridiction à l’autre, des classements sans suite, des requalifications voire des décisions cassées en dernier ressort pour cause d’imprécision des textes… En 2012, nous avons mis un point d’honneur à définir le mieux possible le harcèlement. Aujourd’hui, quel que soit le lieu où il  se déroule  (au travail, à l’université, dans la rue, en couple ou sur  le Web) le harcèlement est incriminé. Surtout la loi reconnaît comme harcèlement aussi bien un comportement répétitif que le cas où l’acte problématique  ne se produirait qu’une seule fois mais est tellement grave qu’il doit être poursuivi (par exemple, lors d’un entretien d’embauche où s’opèrerait un véritable chantage sexuel). Mieux défini donc, mais surtout mieux sanctionné : les peines encourues sont plus lourdes que par le passé. Avant 2012, la sanction était d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende. Elle s’élève aujourd’hui  à deux  ans et 30 000 €. J’avais par ailleurs veillé à introduire dans le texte la notion de « vulnérabilité économique » : si l’auteur du harcèlement connaît la situation de précarité de sa victime et en joue, c’est une circonstance aggravante. Enfin, tout avait été fait pour simplifier la procédure de dénonciation pour la victime, notamment par la meilleure prise en compte des témoignages des collègues de travail. L’objectif était  que les personnes victimes de harcèlement ne se sentent plus isolées. Aller devant les tribunaux sur la base d’un harcèlement sexuel n’est pas un acte facile. Contrairement aux bêtises qu’on peut entendre ici ou là, les dépôts de plainte de mauvaise foi sont rarissimes. N’allez pas croire que quelqu’un va porter plainte parce qu’on lui a fait une blague graveleuse. C’est un véritable parcours du combattant, qui est en soi une souffrance.

ELLE. Le renouvellement générationnel et la féminisation du personnel politique ne change donc rien à la question du sexisme et du harcèlement ?

Najat Vallaud-Belkacem. J’aimerais vous dire que les jeunes générations de responsables politiques sont naturellement vaccinées contre les errements de leurs aînés, mais je n’y crois pas beaucoup, sur ce sujet comme sur d’autres. Tout au plus peut-on dire que les jeunes responsables en question ont grandi dans des écoles mixtes qui leur ont a priori rendu plus familier qu’à leurs aînés le voisinage des filles et des femmes au quotidien. Les considèrent-ils pour autant comme de véritables égales, en particulier dans ce monde politique qui reste très « viriliste » ? Pas toujours. Moi je ne crois qu’à une chose : la présence massive des femmes en politique. C’est en étant nombreuses dans la place qu’on en fait aussi notre place. On dit souvent que quelle que soit la réunion, il faut que les femmes soient au moins 30 % des participants pour qu’elles soient enfin considérées pour ce qu’elles ont à dire plutôt que regardées comme des curiosités exotiques (ce qui se traduit au mieux par du paternalisme, au pire par du dédain pour leur contribution – « et que j’allume mon portable quand c’est au tour d’une femme de parler… » – quand ce n’est pas de l’agacement – « c’est fou ce qu’elles peuvent avoir la voix aiguë ! »)…  Voilà pourquoi il nous faut la vraie parité. Pas seulement au gouvernement comme c’est le cas aujourd’hui, mais aussi au parlement. Parmi les mesures que je suis le plus fière d’avoir fait adopter dans la loi Égalité femmes-hommes du 4 août 2014,  il y a le doublement des pénalités financières sur les partis politiques qui ne respectent pas la parité aux législatives par exemple. J’ai noté avec un certain amusement  que cela  provoquait en ce moment même quelques nœuds au cerveau dans certaines formations politiques… eh bien tant mieux, c’est le prix de la juste représentativité.

ELLE. En tant que ministre de l’Éducation nationale, quelles sont les actions à mener pour sensibiliser les élèves et les jeunes à ces questions ?

Najat Vallaud-Belkacem. J’en vois au moins trois  sur lesquelles nous avons beaucoup fait progresser l’école ces derniers temps :
– n’avoir aucune tolérance sur les comportements problématiques avérés : le harcèlement, le sexisme, autant que l’homophobie ou le racisme et l’antisémitisme font l’objet à ma demande de sanctions fermes de la part des équipes éducatives
– libérer la parole car ce qui permet au harcèlement de durer, c’est le silence qui l’entoure, la honte qui s’accroche aux basques des victimes au lieu d’aller culpabiliser les auteurs. C’est le sens de nos campagnes de lutte contre le harcèlement scolaire (cf le 5 novembre dernier, première journée nationale consacrée à ce fléau) ou encore du concours que nous organisons chaque année pour que les classes se saisissent du sujet et, sous couvert de réaliser une affiche ou un petit film, en parlent ensemble, se prêtent à des jeux de rôle, à des réflexions qui libèrent  les témoignages et invitent chacun à le dénoncer.
– et puis bien sûr la prévention :  l’enseignement moral et civique qui traverse désormais la scolarité des élèves de l’école primaire jusqu’au lycée est le lieu par excellence de l’apprentissage du respect de l’autre, de l’égale dignité, de la lutte contre le sexisme et toute autre formes de hiérarchisation des êtres.

> Retrouvez notre dossier complet dans le magazine ELLE du 20 mai 2016.

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