Boyard-Hanouna : derrière la polémique, le débat confisqué – Tribune dans l’Obs

Presse ONE Publié le 15 novembre 2022

Il est temps « d’ouvrir le débat sur la réalité des pratiques économiques prédatrices de certaines entreprises peu scrupuleuses sur le continent africain », estime Najat Vallaud-Belkacem, directrice France de l’ONG One.

Cyril Hanouna a ainsi une nouvelle fois offert lors de son émission Touche pas à mon poste un spectacle affligeant de vulgarité en insultant violemment le député LFI Louis Boyard qui avait osé pointer la responsabilité des activités industrielles du groupe de Vincent Bolloré, propriétaire de la chaîne C8 hébergeant son émission, dans la déforestation et l’appauvrissement de certains pays d’Afrique. Derrière les indignations à peu de frais sur les réseaux sociaux, ce n’est pas seulement l’ARCOM que le député Boyard et son groupe devraient saisir, mais le procureur de la République, sauf à banaliser les injures et les outrages contre les élus, qui sont punis par des peines pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Mais au-delà de cet incident et de la polémique qui l’accompagne, il nous faut surtout ouvrir le débat sur la réalité des pratiques économiques prédatrices de certaines entreprises peu scrupuleuses sur le continent africain. Car c’est finalement de ce débat de fond que la violence et l’indécence du clash nous ont privés.

Cyril Hanouna a ainsi une nouvelle fois offert lors de son émission Touche pas à mon poste un spectacle affligeant de vulgarité en insultant violemment le député LFI Louis Boyard qui avait osé pointer la responsabilité des activités industrielles du groupe de Vincent Bolloré, propriétaire de la chaîne C8 hébergeant son émission, dans la déforestation et l’appauvrissement de certains pays d’Afrique. Derrière les indignations à peu de frais sur les réseaux sociaux, ce n’est pas seulement l’ARCOM que le député Boyard et son groupe devraient saisir, mais le procureur de la République, sauf à banaliser les injures et les outrages contre les élus, qui sont punis par des peines pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Mais au-delà de cet incident et de la polémique qui l’accompagne, il nous faut surtout ouvrir le débat sur la réalité des pratiques économiques prédatrices de certaines entreprises peu scrupuleuses sur le continent africain. Car c’est finalement de ce débat de fond que la violence et l’indécence du clash nous ont privés.La suite après la publicité

« Il en va de la vie de millions de personnes »

L’enjeu est d’importance. Il en va de la vie et de l’avenir de millions de personnes. Confronté au ralentissement de sa croissance, à une inflation bondissante et à une dette de plus en plus lourde, à des sécheresses répétées aux conséquences dramatiques, ce continent a récemment connu sa première augmentation de l’extrême pauvreté depuis plus de deux décennies. L’Afrique regroupe toujours 50 % des personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour à travers le monde. Près de quatre millions d’enfants mourront avant l’âge de cinq ans au sein des pays d’Afrique subsaharienne. Et ce sont 15 millions d’emplois par an qu’il faut créer sur le continent pour faire face à l’augmentation attendue de sa population.

Dans ce contexte, quelles sont les priorités des pays développés sur le continent africain, et les pratiques de leurs entreprises ? Cette question est d’intérêt général. Non seulement parce que de la réponse à cette question dépendent l’image et la place de notre pays sur la scène internationale, dans un contexte où la Chine et des pays émergents affichent leurs ambitions et achètent leur influence. Mais aussi parce que pour faire face efficacement aux enjeux sanitaires, climatiques, économiques, et migratoires qui sont les nôtres, nous ne pouvons pas négliger l’importance de notre partenariat avec les pays d’Afrique.

« Le groupe Bolloré n’a pas le monopole de l’absence de scrupules »

Pendant plus de 35 ans, les activités logistiques et portuaires du groupe Bolloré en Afrique, dont il s’est récemment délesté pour la somme record de 5,7 milliards d’euros, ont fait sa fortune. Ce groupe a été un acteur central de l’exploitation forestière et du commerce des bois tropicaux africains, au mépris des ravages de cette exploitation industrielle sur les hommes et l’environnement. Les activités africaines de la multinationale française, implantée dans 46 pays du continent, font l’objet de plusieurs poursuites judiciaires, dont une affaire de corruption présumée de deux chefs d’État pour obtenir la gestion de ports. Quels sont les investissements réalisés par le groupe ? Quel ont été le coût et le bénéfice de ces activités pour les pays concernés ? L’enrichissement de Vincent Bolloré a-t-il contribué à l’appauvrissement des pays africains concernés au lieu d’aider à leur développement ? A-t-il reposé sur la corruption de leurs dirigeants ? Ces questions doivent trouver des réponses.

Mais le groupe Bolloré n’a pas le monopole de l’absence de scrupules français sur le continent. Que dire du gigantesque projet d’exploitation pétrolier enfoui sous le lac Albert en Ouganda, dont Total possède 62 % des parts dans la holding chargée de construire cet oléoduc, qui traverserait 16 aires protégées en menaçant la biodiversité de la région et reposerait sur l’expropriation des habitants de près de sur 172 villages ougandais ? À l’heure de la COP 27, il s’agit d’un vaste chantier anachronique à 10 milliards de dollars visant à extraire un milliard de barils de pétrole pendant une durée de 25 à 30 ans, et qui pourrait émettre au moins 33 millions de tonnes de CO2 par an, soit plus de trente fois les émissions annuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunis. Il est urgent d’y mettre fin.

« Le comportement prédateur de certaines de nos entreprises »

La voix de la France se banalise quand elle dissimule, derrière ses engagements climatiques lors des sommets internationaux, son soutien à des projets dangereux pour l’environnement. Son image auprès des populations est déplorable lorsque, malgré ses promesses, notre pays résume sa politique africaine à l’illusoire défense d’un pré-carré au lieu de donner un nouvel élan à ses relations avec le continent. Quand le comportement prédateur de certaines de nos entreprises en vient à rappeler les fautes de l’ancienne puissance coloniale.

L’Union africaine a estimé à 221 milliards d’euros d’ici à 2025 le seul besoin de financement additionnel pour contenir le choc de la pandémie et amorcer la relance économique du continent qui n’a pas besoin de charité, mais d’investissements pour son développement économique et social. L’électrification du continent ou l’accès aux biens et services essentiels nécessitent l’apport de capitaux étrangers. Mais c’est à un développement raisonné et durable que nos investissements en Afrique doivent contribuer, pas à l’accélération des tendances qui plongent le continent dans la pauvreté et poussent sa population à l’exil.

Si le combat contre la censure qu’Hanouna et Bolloré cherchent à imposer est sincère, alors la presse doit enquêter sur ces enjeux et les élus en débattre pour prendre les décisions qui s’imposent. Cela mérite d’occuper plus de temps d’antenne et de place dans les journaux que les outrances et la vulgarité d’une sinistre télé-poubelle.

Par Najat Vallaud-Belkacem
Directrice France de One

Tribune publiée le 12 novembre 2022 sur le site de l’Obs.