La ségrégation scolaire sape les fondements de la République – Tribune dans Libération – 25/01/2025

Jeunesse Éducation nationale Publié le 25 janvier 2025

Pour Jean-Paul Delahaye, Najat Vallaud-Belkacem et Pierre Ouzoulias, l’absence de mixité sociale à l’école, notamment dans les établissements privés sous contrat, porte atteinte à l’indivisibilité de la République.

La publication des indices de positionnement social (IPS) des écoles, collèges et lycées donne à voir où sont scolarisés les élèves en fonction du rang culturel et financier de leurs parents. Sans surprise, l’enseignement privé sous contrat accueille très majoritairement les enfants et adolescents issus de la frange la plus favorisée de la population.

Pour ceux qui vivent dans des foyers modestes, la ségrégation scolaire est une réalité concrète. Des données chiffrées issues du classement par IPS des 30 055 écoles françaises illustrent des écarts abyssaux : alors que la moyenne nationale est de 110,5 points, celle du premier décile s’élève à 133,4 et celle du dernier décile est de 76.5. Ce séparatisme socioscolaire enferme tous les jeunes dans des replis multiples : sur soi, sur son milieu, sur sa culture, sur sa religion ou celle de ses parents, sur sa classe sociale.

L’école est le reflet des clivages sociaux

Il reste encore d’autres précieux enseignements à extraire de ces données. Ainsi, un examen portant exclusivement sur le dernier décile – les 3 005 écoles à l’IPS le plus faible – permet de localiser les territoires à séparatisme maximal. En effet, en regroupant les écoles présentes dans ce décile par commune, puis en calculant leur moyenne, il apparaît qu’Abbeville (Somme), Maubeuge (Nord), Mamoudzou (Mayotte) ou Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) ont des indices gravitant autour de 70 points, tout comme Perpignan, Metz et Limoges, qui sont les trois villes de 100 000 habitants les plus ségréguées de France. Cette cartographie révèle l’ampleur du phénomène séparatisme qui ne se limite pas aux seules banlieues urbaines. L’école est le reflet des clivages sociaux au sein de la société.

Il nous faut à la fois comprendre le souhait des familles qui veulent la liberté de choisir le meilleur pour leurs enfants, et c’est bien légitime, et l’obligation qu’ont les pouvoirs publics, au nom de l’intérêt général, d’encadrer cette liberté pour préserver un minimum de mixité sociale et scolaire. Pour cela, deux leviers sont identifiables. On ne fera pas de mixité sociale tant que la qualité de l’offre éducative sera aussi aléatoire dans notre école publique, c’est-à-dire aussi dépendante pour les élèves de leur lieu de scolarisation. Si cette garantie de qualité d’enseignement, d’encadrement, de climat scolaire, est assurée aux parents, alors on peut travailler à une autre répartition des élèves sur un territoire pour favoriser la mixité sociale. Des expérimentations sont conduites en ce sens depuis 2015 et les premières évaluations sont positives.

La mixité sociale est possible quand des politiques courageuses sont lancées nationalement et ensuite conduites à l’échelon local par des autorités académiques et des collectivités locales. Alors, pourquoi ce silence ministériel depuis 2017 sur ces expérimentations réussies qu’il faudrait généraliser ?

Concurrence financée en totalité sur fonds publics

La réflexion à conduire pour davantage de mixité sociale ne peut plus éluder la question de la participation de l’enseignement privé sous contrat au «scolariser ensemble». Nous sommes un des pays en Europe qui finance le plus la concurrence privée de son école publique, concurrence financée en totalité sur fonds publics pour ce qui concerne la rémunération des enseignants. C’est avec cet argent public que l’enseignement privé accueille de moins en moins de populations défavorisées alors que dans le même temps l’argent manque dans l’école publique pour lutter contre les inégalités qui touchent massivement les milieux populaires.

C’est l’indivisibilité de la République qui est menacée. Il faudra bien un jour exiger des contreparties à un enseignement privé très peu contrôlé et qui s’est érigé, contrairement à l’esprit et à la lettre de la loi Debré, en système éducatif quasi autonome et concurrent de l’école publique.

S’il s’opère depuis une vingtaine d’années un basculement politique des milieux populaires vers l’extrême droite, soyons assurés que le sort réservé à leurs enfants à l’école de la République compte à l’évidence pour quelque chose dans cette attitude. Quand le séparatisme scolaire vient renforcer une situation d’exclusion et d’injustice sociale vécue par la partie la plus fragile de la population, c’est notre pacte républicain nous mettons en danger.

À retrouver ici ! https://www.liberation.fr/forums/la-segregation-scolaire-sape-les-fondements-de-la-republique-20250124_CS5R3BE4AVFBBFKMM7436RE2JI/