« Un déni de démocratie permanent » – Najat Vallaud-Belkacem dans Régions Magazine

Villeurbanne-Lyon Auvergne-Rhône-Alpes Publié le 12 septembre 2022

Présidente d’un des groupes d’opposition à la Région, l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem remet vivement en cause le mode de gouvernance de l’exécutif régional.

Pendant le quinquennat de François Hollande, elle a été ministre des Droits des femmes, de la Ville, et, bien sûr, pendant trois ans, de l’Education nationale. Après quelques années de retrait de la vie politique, passées chez IPSOS puis en tant que directrice de l’Ong ONE, Najat Vallaud-Belkacem a également retrouvé un statut d’élue l’an dernier, comme conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes, où elle préside le groupe Socialiste, écologiste et démocrate. Elle y incarne une voix forte de l’opposition à Laurent Wauquiez.

Régions Magazine : Dans notre précédent supplément consacré à Auvergne-Rhône-Alpes, il y a quatre ans, votre prédécesseur (PS) Jean-François Debat regrettait que « le débat démocratique apparaisse comme une contrainte pour le président de l’exécutif régional ». La situation a-t-elle évolué depuis ?

Najat Vallaud-Belkacem : Loin de là ! Prenez par exemple la dernière assemblée plénière fin juin : notre groupe a déposé 26 amendements dont certains nous paraissaient essentiels. Nous avons fait des propositions très concrètes, notamment en matière économique avec un amendement sur la lutte contre l’antibiorésistance qui est un vrai sujet actuel, ou encore des mesures pour améliorer les conditions de vie de nos étudiants. À chaque fois on nous a seriné la même chose : « c’est très bien mais je refuse votre proposition ». Et tout au long de cette assemblée plénière, le même refrain…
C’est bien simple, on n’est jamais dans le dialogue constructif, y compris sur des sujets qui n’auraient vraiment aucune raison de ne pas faire consensus, tels notre amendement pour rendre pérenne le plan d’urgence régionale suite aux épisodes de grêle apparus dans le Roannais et l’Allier en juin dernier.
Donc oui, ce déni de démocratie permanent ne date pas d’hier, oui il est clairement préjudiciable aux habitants au service desquels nous sommes supposés agir. Et oui, les élus de gauche que nous sommes apprécieraient de manière générale un peu moins de fatuité et un peu plus respect chez le Président de l’exécutif régional.

RM : La Région Auvergne-Rhône-Alpes est régulièrement citée pour la rigueur et l’efficacité de sa gestion. Partagez-vous ce constat ?

NVB : Laurent Wauquiez est un adepte de l’autosatisfaction et de la communication sur ce sujet. Laquelle communication finit d’ailleurs par peser sur les finances de la Région. Sur le fond non, on ne peut sûrement pas qualifier de gestion efficace le sacrifice des budgets de la formation professionnelle, les lacunes considérables en matière de développement de transports, d’adaptation à la transition écologique ou de grandes infrastructures, ou encore le manque de soutien à la recherche.

On finirait presque par le perdre de vue, mais un conseil régional est là pour préparer son territoire, l’aménager, en améliorer les mobilités et l’accès aux études de ses jeunes et de ses moins jeunes, favoriser le développement économique. Tout cela nécessite des politiques sérieuses d’investissement, et pas du court-termisme électoraliste. Comme cette volonté soudaine de financer d’une main, à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros un festival de musique privé et porté par une multinationale, pendant que de l’autre main, 4 M€ sont retirés aux acteurs culturels qui maillent notre territoire et le font vivre…

RM : Y a-t-il des décisions de la majorité régionale que vous approuvez, en faveur desquelles votre groupe peut être amené à voter ?

NVB : Nous ne sommes pas dans l’opposition stérile à tout ce qui émane de la majorité. On critique suffisamment cette posture pour ne pas vouloir faire pareil. On vote pour, quand on pense que la délibération est utile aux Auvergnats et Rhônalpins, c’est notre seule boussole. Par exemple, on a voté
en faveur du dernier plan régional Tourisme, même si on a tenté d’accentuer sa dimension sociale…

RM : Comment jugez-vous les récentes prises de position de la majorité régionale sur des thèmes sensibles comme la suppression de subventions à des institutions ou associations culturelles ?

NVB : Intolérables, tout comme les justifications qui les ont accompagnées.
Les acteurs culturels ont énormément souffert de la crise du Covid. C’est maintenant qu’ils ont besoin des pouvoirs publics et du soutien notamment de la Région. Et voilà que M. Wauquiez leur retire, sans sommation, 4 M€… C’est d’une brutalité sans nom. À la fois le montant de ces coupes, mais aussi la façon dont ça a été fait : il n’y a eu aucune concertation avec les acteurs culturels. Qui, pour certains, ont découvert la situation dans la presse… Les effets sur la vie de ces structures culturelles, leur capacité de création et leurs emplois vont être catastrophiques, et in fine c’est l’accès à la culture du plus grand nombre qui en fera les frais. Il n’y a pas de démocratisation culturelle sans soutien aux acteurs de la culture. Et pas de culture sans respect de la liberté de création.
M. Wauquiez semble considérer les subventions de la Région comme de l’argent personnel qu’il attribue en fonction de ses humeurs, de ses irritations, de ses calculs politiques ou de ses coups de cœur. Mais cet argent, c’est celui de tous les contribuables ! La moindre des choses serait que ces décisions respectent un minimum de transparence et de critères objectifs, qu’elles soient discutées en Assemblée, de manière sereine et argumentée. Rien ne va dans sa façon de procéder.

« On est passé à côté de la dynamique de la fusion des Régions »

RM : Lors de notre précédent supplément, nous nous trouvions encore dans le processus de fusion entre les deux anciennes régions. Avec le recul d’une mandature, comment jugez-vous cette fusion, voulue à l’époque par un gouvernement auquel vous apparteniez ?

NVB : Il y avait sur le papier un intérêt manifeste aux grandes régions : donner plus de puissance à un territoire, jouer sur les complémentarités des acteurs, décloisonner. Par exemple, on pouvait imaginer des laboratoires de recherche, des entreprises ou des festivals culturels y gagnant en capacité à rayonner à l’extérieur. Mais tout cela nécessitait, une fois la fusion adoptée, de l’accompagner de politiques d’aménagement du territoire, de transports, de soutien stratégique aux filières et même de
réflexion concertée avec les habitants sur l’identité de cette Auvergne-Rhône Alpes.
Pas grand-chose de tout cela n’a été fait dans notre région. Regardez comment ces sujets ont été traités en Occitanie par exemple. Je ne parle pas simplement du changement de nom, mais aussi du désenclavement des territoires éloignés des réseaux de mobilités et des bassins d’emploi : très vite déjà tous les leviers y ont été activés : plan de relance autoroutier, développement du ferroviaire, réduction du coût pour ses usagers, etc.
On a vraiment le sentiment ici d’être complètement passé à côté de cette dynamique. Quant à réfléchir à notre identité commune… On retiendra surtout que Laurent Wauquiez n’a eu de cesse ces dernières années d’opposer les Auvergnats et les Rhônalpins, expliquant aux premiers qu’il fallait qu’il les protège des seconds. Rien de bien enthousiasmant dans tout cela.

Propos recueillis par Philippe Martin de Régions Magazine.

Crédits photo LP/Delphine Goldsztejn.