Revue de presse

Presse Publié le 4 juillet 2012

Marianne – Hebdomadaire : La ministre relance le plus vieux débat du monde

En affirmant sa volonté de faire « disparaître » la prostitution en pénalisant les clients, Najat Vallaud-Belkacem a ravivé une vieille polémique qui divise les féministes et… le PS. Elle s’explique

Son annonce en solo a pris tout le monde de court. « Je souhaite que la prostitution disparaisse », a lancé le 24 juin Najat Vallaud-Belkacem dans un entretien au Journal du dimanche. Le seul moyen de « protéger l’immense majorité des prostituées », selon la ministre des Droits des femmes ? La pénalisation des clients. Aussitôt, sa prise de position abolitionniste enflamme la tweetosphère. Les féministes, comme Caroline De Haas, applaudissent. Les sceptiques moquent sa naïveté : autant interdire la faim dans le monde ! Les artistes s’en mêlent, comme l’actrice Sylvie Testud qui tweete sa réticence : « Ne faites pas ça. Interdire la prostitution, c’est mettre des femmes en péril. »

« NVB », l’anti-Duflot

Coup médiatique maîtrisé ou premier couac ministériel ? Najat Vallaud-Belkacem jure à Marianne n’avoir rien prémédité. « Cela fait partie des sujets dont je dois me saisir, dit-elle. Je savais qu’il était clivant, mais les réactions m’ont montré à quel point la réalité de la prostitution reste méconnue : qui sait que l’espérance de vie d’une prostituée est de 40 % inférieure à celle de la population ? »

Najat Vallaud-Belkacem n’a que 34 ans et déjà du métier. Deux métiers, ministre et porte-parole du gouvernement. Son irrésistible ascension dans la galaxie socialiste l’a propulsée à la tête d’un ministère des femmes ressuscité après dix ans d’absence. Qu’importe si son offensive sociétale télescope les priorités de l’exécutif, « NVB » veut agir vite pour exister. « Nos autorités politiques étaient au courant », assure-t-on à son cabinet. Mais un fin connaisseur du PS diagnostique plutôt une sortie prématurée et non concertée : « On a du mal à imaginer qu’elle ait reçu la consigne de s’exprimer là dessus ! Najat souffre du porte-parolat gouvernemental, elle est plus à l’aise sur les questions du droit des femmes. » Dès le 25 juin, l’ex-conseiller de Jean-Marc Ayrault et député de Seine-etMarne Olivier Faure s’est empressé de tempérer les déclarations de la ministre. Sur Europe 1, il salue une intention « louable » mais ajoute que le risque d’une position trop stricte sur la prostitution serait de « voir se développer cette activité dans la clandestinité ». Un désaveu ? « Il dit la même chose que moi : la nécessité de protéger les victimes », tempère Najat Vallaud-Belkacem. « La règle en politique dit que tout se joue dans les trois premiers mois, Najat a très bien fait », assure la sénatrice Laurence Rossignol, qui fut au PS l’une des premières à défendre, en 2005, la répression pour les clients de prostitué(e)s. « Il y a encore cinq ans, de tels propos auraient été inimaginables, poursuitelle. A l’époque, j’ai même entendu des collègues masculins argumenter : “Tu veux tous nous envoyer en prison ?” Depuis, l’affaire DSK est passée par là, on est prêt à discuter. »

Car Najat Vallaud-Belkacem, c’est l’anti-Duflot. A l’inverse de la ministre écolo épinglée pour avoir livré sa position personnelle sur le cannabis, la ministre des Droits des femmes n’a pas gaffé, mais a simplement relayé la ligne du PS : durant la campagne, François Hollande a promis de supprimer le délit de raco- lage passif créé sous Nicolas Sarkozy et s’est dit favorable à « l’ouverture de la réflexion » sur la pénalisation du client. Après des années de discussions internes, la convention pour l’égalité adoptée au PS à la fin 2010 réclame la sanction du « client prostituteur » en s’inspirant de l’approche suédoise : éducation, prévention, réinsertion des prostituées et pénalisation des clients. Un an plus tard, la résolution votée à l’Assemblée par des parlementaires, à l’initiative de Danielle Bousquet (PS) et de Guy Geoffroy (UMP), embraye en préconisant la création du délit d’achat de service sexuel. « Les prostituées ne sont pas des coupables mais d’abord des victimes. En réprimant le racolage passif, on leur a infligé une double peine, on les pousse à se déplacer, rendant la prévention plus difficile », souligne Najat Vallaud-Belkacem, qui fustige la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure de 2003. « Je ne nie pas qu’il existe des personnes qui ont fait le choix de la prostitution, mais je m’intéresse à l’immense majorité, 85 % de femmes sous le joug d’un proxénète, poursuit la ministre. La pénalisation du client est l’un des éléments du dispositif ; en Suède, ça marche bien, en Norvège, moins bien. Cela fera partie des discussions. Notre objectif est de réduire les voies d’entrée dans la prostitution, en travaillant sur l’éducation entre les sexes, mais aussi de multiplier les voies de sortie, la formation, la reconversion professionnelle… »

Du côté des associations, l’échappée de la ministre ravive le vieux clivage entre les « abolitionnistes » ¬ le Mouvement du Nid ou Osez le féminisme, proche du PS, qui saluent son courage ¬ et les « réglementaristes », qui réclament un cadre pro- tecteur pour que les prostituées exercent librement leur activité. Parmi ces derniers, Françoise Gil, sociologue et membre du Syndicat du travail sexuel, décrit un PS miné par l’idéologie : « Ils refusent d’entendre la réalité. En Suède, où la pénalisation du client existe depuis douze ans, les femmes travaillent la peur au ventre, les proxénètes baladent les filles sur des ferries au large des côtes scandinaves. Cela ne fait qu’entraîner plus de clandestinité ! »

« Trouver un consensus »

Du coup, la question continue de diviser la gauche qui craint de s’attaquer à un sujet partageant l’opinion. Interrogée par Marianne2, la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann fait voler en éclats le consensus de façade : « Moi, je ne veux plus d’alcooliques et je ne veux plus de toxicomanes ; après, on fait quoi ? Je ne comprends pas pourquoi on dépense notre énergie sur des questions de moeurs périphériques alors qu’il existe déjà des lois. Qu’on s’occupe des questions économiques et sociales, on ne va pas commencer à faire comme Sarkozy ! » Najat Vallaud-Belkacem sait qu’un long chantier l’attend : « Défendre l’abolition, ça ne veut pas dire que la prostitution disparaîtra du jour au lendemain, c’est réfléchir à un projet de société pour lutter contre cette violence. » La ministre des Droits des femmes a déclaré au JDD qu’elle travaillerait avec Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. Oubliant de citer la garde des Sceaux. Or, « pénaliser la prostitution, cela relève de la politique pénale », rappelle Christiane Taubira, qui, le jour de la déclaration de la ministre des Droits des femmes, a reçu un coup de fil de Matignon lui demandant son avis : « J’ai répondu que c’était très compliqué. » Seul élément annoncé, la méthode : début 2013 se tiendra une « conférence de consensus », inspirée des réunions médicales de réflexion à l’américaine qui réunissent un jury présumé neutre, chargé de rendre son avis, après avoir écouté des experts. Ensuite, une loi pourrait être adoptée. Et si l’opinion n’adhérait pas à la pénalisation du client ? « Il faudrait le faire parce que c’est cela, le sens du progrès », nous répondait déjà Najat VallaudBelkacem en 2011, à l’époque où elle était chargée des questions de société au PS. Aujourd’hui, elle dit plutôt : « Il faudra trouver un consensus. » Prudence de ministre.