Intervention de Najat Vallaud-Belkacem lors du lancement du téléphone grand danger, à l’Hôtel de ville de Paris

Droits des femmes Publié le 13 juillet 2012

Grand dangerCher Jean-Paul,
Chère Anne, Chère, Fatima, Chère Myriam,
Monsieur le représentant du préfet de Police,
Monsieur le Procureur,
Madame la président du CIDFF
Messieurs les représentants d’Orange et de Mondial Assistance
(…)
Mesdames, Messieurs,
Je ne m’étendrai pas, je suis entourée ici de personnes qui agissent chaque jour, pour permettre aux femmes de sortir du cycle de la violence conjugale, familiale, sexiste. Je suis d’abord ici pour remercier ces personnes et montrer que le dispositif Femme en très grand danger est précurseur. Je voudrais à cet égard insister évidemment sur le partenariat constructif qui a permis à ce projet d’émerger. Il est le fruit d’un travail conjoint entre le Parquet et le Tribunal de Grande Instance de Paris, la Police nationale, la Ville de Paris, le Conseil régional d’Ile-de-France, France Télécom-Orange, Mondial Assistance, ainsi que l’association CIDFF de Paris. En prenant modèle sur l’expérience conduite en Seine St Denis depuis 2007, Paris est à nouveau la pièce capitale du laboratoire d’idée pour les droits des femmes. Je voudrais chaleureusement saluer l’engagement déterminé et continu de la mairie de Paris sur ces questions et tout particulièrement l’impulsion donnée par Anne Hidalgo et aujourd’hui par Fatima Lalem dans la construction d’une politique intégrée des femmes victimes de violence.
Avec cette expérimentation, nous touchons du doigt ce que doit être la politique de protection des femmes victimes de violence : une politique partenariale, conduite en intégrant l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale et qui leur fait partager l’obsession d’un service public qui a le devoir absolu de répondre présent chaque fois une femme se trouve confrontée à l’urgence. Le back office est parfois compliqué à organiser. Mais pour cette femme, tout doit paraître simple et la réponse doit avoir été prévue à l’avance. La politique de protection contre les violences est une politique qui ne tolère pas les erreurs d’aiguillage ou les portes qui se ferment.
La réponse aux violences faîtes aux femmes est nécessairement locale. Nous le voyons bien à travers la manifestation d’aujourd’hui. Mais nous voyons aussi que l’Etat est un partenaire indispensable parce que ces services publics sont impliqués au niveau local. Indispensable, il l’est aussi parce que les expérimentations comme celle qu’a conduite la Seine Saint Denis depuis cinq ans sont faîtes pour être essaimées et qu’il est de la responsabilité de l’Etat d’organiser cet essaimage, notamment en pilotant des évaluations sérieuses. A cet égard, l’observatoire national des violences dont j’ai annoncé la création prochaine mercredi au Sénat aura pour tâche de suivre les évaluations et de conseiller les pouvoirs publics sur les bonnes réponses à apporter et notamment sur l’extension d’expérimentations telle que
celle-ci. Une concertation s’engage sur la mise en place de l’observatoire, au niveau national et en lien avec les acteurs locaux. Je serai ravi, dès qu’il sera créé, qu’il puisse prendre part très concrètement au suivi de l’évaluation de cette action sur le territoire parisien.
Si elle est un succès, l’expérimentation que nous lançons aujourd’hui est faîte pour être dupliquée ailleurs. Pour suivre cette expérimentation, envisager les conditions de son extension, un travail est engagé avec les ministères de la Justice et de l’Intérieur. C’est un travail de long terme que nous conduisons pour structurer les interventions de chaque acteur, acteurs nationaux, locaux, services d’assistance. C’est un travail partenarial, ce qui est une garantie de succès.
L’Etat doit capitaliser sur les réussites locales. C’est ainsi qu’il participera à la consolidation d’un service public que je sais aujourd’hui en souffrance et qui, disons le mot, est encore trop souvent défaillant. Il y a des expérimentations qui marchent et d’autres qui ne sont pas probantes. Le téléphone d’urgence a plusieurs avantages : il est peu onéreux, il peut être mis en place rapidement et est construit en fonction de la situation de la femme. Nous savons déjà à travers l’expérience de la Seine Saint Denis qu’il sauve des vies, même si nous avons besoin de savoir s’il s’adapte à d’autres territoires. C’est tout l’intérêt des expérimentations.
A l’inverse, lorsqu’une expérimentation ne fait pas ses preuves ou si ces conditions ne permettent pas d’envisager des extensions, nous devons en tirer le bilan. Je pense notamment à l’expérimentation du dispositif électronique de protection anti-rapprochement, plus simplement appelée bracelet électronique, sur laquelle, à titre personnel, je m’interroge vraiment. Les seuils de peine retenus ne permettent pas aujourd’hui une véritable utilisation de ce dispositif. Conjointement avec la Garde des Sceaux, et le ministre de l’intérieur, nous allons nous pencher très attentivement sur cet outil que nous lègue le gouvernement précédent. Moi, j’ai un objectif simple, il faut que les expérimentations offrent de vraies perspectives d’extension, et c’est le cas je crois de l’expérimentation, « téléphone, Femmes en grand danger » qui nous rassemble aujourd’hui.
Savoir analyser les besoins et les failles des organisations locales, savoir mutualiser les bonnes pratiques est essentiel. Ce sera aussi le rôle de l’observatoire national. Une femme qui subit des violences conjugale et qui ne reçoit pas une protection adéquate est une proie. J’ai visité plusieurs associations, comme le Collectif Féministe contre le Viol. En écoutant des femmes victimes appeler leur numéro vert, j’ai entendu la souffrance des femmes. J’ai aussi entendu leurs parcours. Et j’ai été frappée par les similitudes. Si chaque histoire est différente, partout on retrouve cette volonté d’humilier, d’asservir, de briser, de casser. Je veux vous dire que nous allons tout mettre en oeuvre pour que les violences sexuelles faites aux femmes ne soient pas, ne soient plus le « silence de la République ». La loi relative au harcèlement sexuel n’est qu’une première étape, je l’ai dit au Sénat.
Nous allons reprendre le Plan interministériel de lutte contre les violences (2011-2013) pour nous concentrer sur un petit nombre de priorités et y mettre toute notre énergie. Il n’y a pas moins de 61 mesures dans ce plan, dont certaines qui n’ont connu pas même un commencement d’application. Nous avons échangé avec les associations sur le contenu et l’application de ce plan et j’entends leur insatisfaction. Je réunirai au début du mois de septembre, la commission nationale contre les violences faites aux femmes pour engager la concertation sur ces priorités. Mais les retours que j’ai du terrain me font apparaître comme une évidence qu’il est grand temps de reconnaître à nouveau la spécificité des femmes victimes de violence dans la politique du logement d’abord. C’est plus qu’une priorité, c’est une urgence. Car une femme qui doit quitter son domicile pour être à l’abri ne peut se sentir en sécurité que si elle est accueillie dans un lieu approprié et qu’elle n’a pas le sentiment d’être reléguée à une vie nomade. Je travaillerais sur ce sujet avec Cécile Duflot.
Une autre priorité dans laquelle je mettrai toute mon énergie au côté de C Taubira, sera le décollage du dispositif de l’ordonnance de protection. Le principe de ce dispositif est bon. Mais nous nous heurtons à une très forte inertie, au blocage le plus redoutable, celui des habitudes : il n’est pas acceptable que dans certains départements, le dispositif n’est aujourd’hui purement et simplement pas entré en vigueur. Il est temps de sensibiliser plus énergiquement les magistrats à ce dispositif qui a maintenant 2 ans, ainsi que, le cas échéant, d’envisager des ajustements. A titre personnel, je trouve que la durée de cette ordonnance est insuffisante (4 mois) pour permettre un accompagnement de la femme dans son parcours, avec des conséquences supplémentaires pour les femmes immigrées. Je m’interroge aussi sur l’intérêt qu’il y aurait à étendre ce dispositif à toutes les formes de violences familiales, qu’elles soient conjugales ou pas. Ce sont des questions dont je discute avec mes collègues évidemment.
Voilà les chantiers qui seront les nôtres et pour lesquels, je le dis avec une sincère humilité, nous avons tout apprendre des expérimentations comme celle d’aujourd’hui.