Le ministre de l’éducation, Vincent Peillon, et la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, publie le 26 septembre une tribune dans les colonnes du quotidien Le monde.
Le 10 juillet dernier, l’Etat et les partenaires sociaux s’accordaient unanimement pour relancer le processus de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cet objectif ne peut être disjoint d’un autre engagement : mettre l’égalité des filles et des garçons au cœur même de la refondation républicaine de l’école
Certains s’interrogeront encore. L’école mixte n’est-elle pas déjà le creuset de l’égalité ? La réussite scolaire des filles aux examens et la relative surreprésentation des garçons parmi ceux qui décrochent de notre système scolaire n’est-elle pas le signe que l’école compense largement les inégalités de genre ?
L’égalité entre les femmes et les hommes est aujourd’hui une valeur et une promesse de la République, en même temps qu’un objectif fondamental de l’institution scolaire. C’est précisément à l’aune de cette promesse et des espoirs qu’elle suscite qu’il faut mesurer le chemin qu’il reste à parcourir… et il est encore long. L’égalité en droit, la mixité scolaire n’ont pas suffi à abolir la différence de regard porté sur les filles et les garçons, la construction sexuée des parcours scolaires ni les violences sexistes à l’école.
L’école reproduit encore trop souvent des stéréotypes sexistes. La manière d’interroger, de donner la parole, de noter, de sanctionner et évidemment d’orienter, révèlent des représentations profondément ancrées sur les compétences supposées des unes et des autres. L’école est loin d’être neutre du point de vue du genre. Bien des études montrent qu’en classe, la parole est inégalement distribuée et les attentes différentes. Quand l’on suppose les garçons toujours capables de “mieux faire”, on croit souvent les filles au sommet de leurs capacités. On tend à attendre des unes le conformisme et des autres la créativité. Programmes et manuels entretiennent trop souvent ces représentations inégalitaires : combien de “grandes femmes” pour tous ces “grands hommes” dans les livres d’histoire ? Combien d’images valorisantes des femmes ?
Ces mécanismes involontaires, peuvent avoir des conséquences lourdes et directes sur les parcours scolaires, puis professionnels, des jeunes. Le paradoxe est connu : les filles ont de meilleurs résultats scolaires que les garçons mais leurs choix d’orientation – et plus encore les choix qui sont faits pour elles – demeurent très traditionnels et trop souvent restreints à quelques secteurs d’activité. D’une palette plus étendue, les parcours des garçons ne les détournent pas moins de certains domaines professionnels, considérés comme “féminins”. Les filles représentent ainsi à peine plus de 10% des séries industrielles et…plus de 90% de la série ST2S (sciences et technologies de la santé et du social). De même, alors que taux d’accès au baccalauréat des filles est largement supérieur à celui des garçons (76,6% pour les filles contre 66,8% pour les garçons) elles ne représentent que 43,5% des élèves inscrits en première année des classes préparatoires aux grandes écoles. Les filles ne sont d’ailleurs pas les seules à en souffrir : l’échec des garçons prend une part de sa source dans le décalage entre le message de la société qui les dit “plus forts” que les filles et la réalité de leurs résultats scolaires, décalage qui tend à délégitimer à leurs yeux la parole et les exigences de l’école.
Il est de notre responsabilité de provoquer une prise de conscience de ces phénomènes inconscients pour que les regards changent, que nous parvenions à ce « déconditionnement » des mentalités dont parlait déjà Yvette Roudy, ministre des droits des femmes en 1981. Il est de notre responsabilité que nous passions des déclarations d’intention et des textes de lois à une pratique quotidienne de l’égalité. Parce que nous voulons que les femmes et les hommes aient le choix, aient tous les choix possibles, parce que c’est un impératif citoyen, un impératif social et un impératif économique, nous construirons ensemble une éducation qui porte et transmet la culture de l’égalité entre les sexes.
Notre école doit former des citoyennes et des citoyens émancipés capables de comprendre, d’interroger voire de critiquer le fonctionnement de la société et d’exercer leur libre-arbitre. Beaucoup se joue dans les premières années : la culture de l’égalité doit se transmettre au plus tôt, et nous y attacherons une importance toute particulière dans l’écriture des programmes. Nous y formerons les enseignants et l’ensemble des personnels qui concourent à l’éducation et à l’orientation des élèves, dans le cadre des Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Notre école doit former davantage de femmes chercheuses, ingénieures, scientifiques qui participeront au redressement productif dont notre pays a besoin. La répartition inégalitaire dans les filières nous conduit en effet à gâcher, sans même nous en rendre compte, des potentiels, des compétences, des énergies. Là encore, nous serons volontaristes et travaillerons en étroite liaison avec les partenaires sociaux, les collectivités territoriales, l’enseignement supérieur pour promouvoir une orientation qui ouvre aux jeunes filles et aux jeunes hommes tous les possibles et porte l’ambition d’une mixité plus forte dans toutes les filières de formation.
Notre école, enfin, doit se mobiliser contre les violences de genre, ces mots, ces gestes, ces coups qui excluent et infériorisent les filles. Installer le respect entre tous et toutes, apprendre le bonheur de partager un espace, du commun : c’est la mission de l’école. Elle suppose – quand les enfants de tous âge sont soumis par la télévision, par Internet, à un flot d’informations incontrôlables qui ne véhiculent pas toujours des valeurs de respect et d’égalité – d’aider les élèves à construire leur identité, leur rapport aux autres, à leur corps et donc de leur parler de sexualité. Il doit y avoir une place à l’école pour une information et une éducation émancipatrice sur ces sujets. La loi qui prévoit des séances d’éducation à la sexualité de la maternelle à la Terminale doit être rendue effective partout sur le territoire, dans toutes les écoles, tous les établissements.
Nous ne partons pas de rien. De très nombreuses initiatives, locales comme nationales, des partenariats entre l’école et les associations, construisent au quotidien une culture du refus des préjugés, des discriminations et des violences, une culture émancipatrice. Nous travaillons pour faire de ces innovations multiples une véritable politique. Et nous le ferons en nous adressant ensemble aux acteurs de l’éducation, pour que tous soient convaincus du caractère central de cette dimension de leur mission. “L’école, en instruisant, éduque à la liberté” apprenaient en leur temps les futurs instituteurs. Il est temps de compléter cette maxime : l’école doit éduquer à l’égalité.
Vincent Peillon, Ministre de l’éducation nationale ; Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement.
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Bonjour,
Ce mardi 9 octobre 2012, le président de la république a tenu un long
discours sur la refondation de l’école.
voir :
http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/2012/discours-de-m-le-president-de-la-republique-a-la.14050.html
Que penser quand cette “volonté du gouvernement de faire de l’égalité
filles – garçons un des fondements du socle républicain et donc du
système éducatif”, était totalement absente de son discours ?
Les promesses n’engageraient elles donc toujours que celles et ceux qui
y croient ?
Comment une politique réellement ambitieuse sur l’égalité filles-garçons
dans l’éducation peut-elle être crédible sans un soutien total exprimé
clairement par le chef de l’état ?
Lors de l'”Assemblée des femmes” cet été à La Rochelle, Madame
Pau-Langevin, ministre de la réussite scolaire, avait demandé aux
féministes de se rappeler au bon souvenir du gouvernement afin de ne pas
oublier cet aspect de la politique éducative. Je l’avais ensuite
interpelé au micro pour lui dire que je trouvais bien mince cette
“volonté” du gouvernement s’il pouvait “oublier” sans qu’on le lui
rappelle. Je ne pensais pas avoir raison à ce point.
Cette omission dans le discours du président de la république transforme
une volonté en vélléité et porte atteinte à la crédibilité du ministre
de l’éducation, comme à celle de la ministre des droits des femmes pour
faire aboutir des objectifs par ailleurs déclarés.
Mais après tout, le président de la république ne peut se tromper. Il a
du juger que le sujet n’est pas porteur dans l’opinion publique. C’est
toute la différence entre croire en sa politique et en taire une partie
parce que considérée comme politiquement mineure.
Bien cordialement avec tout mon soutien, madame la ministre, à votre action.
Patrick Altman