Discours d’ouverture lors de la Conférence européenne contre les discriminations et violences liées à l’orientation sexuelle

Droits des femmes Publié le 28 mars 2013

Contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre, la France a reçu à Paris, à l’initiative de Najat Vallaud-Belkacem, les représentants  de 56 Etats du continent européen et 200 représentants de la société civile. Retrouvez ici le discours d’ouverture de la ministre des Droits des femmes, porte-parole du gouvernement :

Najat Vallaud-Belkacem : Conférence européenne contre les discriminations liées à l'orientation sexuelle et l’identité de genre

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs,

Les récits des voyages qu’Arthur Rimbaud a réalisés il y a 140 ans à travers l’Europe, à Londres, Bruxelles, Paris, Milan, Stuttgart, sont donnés par des témoignages des services de renseignements dans lesquels les archivistes se délectent, mais qui sont d’une terrible cruauté pour notre continent. Quelque soit le pays dans lequel le poète se rend, les services de renseignement sont plus intéressés par ce qu’ils appellent sa « pédérastie active et passive» que par sa poésie. Partout A Rimbaud est exposé à la prison si sa sexualité est révélée. Dans une saison en Enfer, il rappellera ce périple : «…, j’ai vécu partout. Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. — J’entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l’Homme. — J’ai connu chaque fils de famille ! »

Dans quelques semaines à peine, en France, les familles qui tiennent tout de la déclaration des droits de l’homme seront aussi les familles homosexuelles. Quel chemin avons nous parcouru ! Mais qu’il est long le chemin qu’il nous reste encore à parcourir. Ce chemin est celui de l’ensemble de notre continent, avec ses avant-garde et ses retards, mais c’est un chemin dans lequel nous écrivons ensemble les nouvelles pages de la civilisation.

Ce qui nous réunit aujourd’hui est le dernier des droits de l’Homme, celui que ni la révolution française, ni la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1946, ni les pactes internationaux pour les droits civiques et politiques la communauté internationale n’avait pas protégé à défaut même de l’avoir envisagé. Et pourtant c’est peut être le droit le plus évident et le plus essentiel : le droit de l’homme à être soi-même, quelle que soit son orientation sexuelle ou on identité de genre.

Si notre réunion d’aujourd’hui est importante, c’est que nous savons que nous savons que nous avons en commun cette histoire, nous savons que tous nos pays sont traversés par la révolution de ce nouveau droit de l’homme, mais nous savons aussi que ce droit, aussi évident soit il, ne s’impose pas de lui-même, sans la force de la volonté politique. A vous tous, représentants de 56 pays du continent européen, militants, personnalités engagées, intellectuels, qui nous faites l’honneur de venir des quatre coins du continent et pour certains de très loin, je souhaite sincèrement la bienvenue, et je souhaite souligner l’importance que revêt votre mobilisation aujourd’hui à Paris.

Personne ne peut ignorer qu’encore aujourd’hui, il est dangereux d’être soi-même, dans la plupart des pays du monde, lorsqu’on est homosexuel. Il est dangereux pour deux hommes ou deux femmes de se tenir par la main. Comme l’a montré le premier rapport des Nations Unies sur cette question, dans toutes les zones géographiques du globe, les homosexuels sont encore poursuivis et réprimés, tels des criminels ou des malades, au mépris de cette dignité des êtres humains que nous avons placée au sommet de la déclaration universelle des droits de l’Homme.

Si nous nous réunissons aujourd’hui, c’est qu’ensemble, nous refusons d’y voir une fatalité. Collectivement, nous affirmons et réaffirmons notre engagement pour lutter contre les discriminations et les violences commises à raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre.

Notre réunion est une réunion politique, une réunion pour construire un projet commun en Europe pour l’égalité des droits, pour lui donner la force de l’évidence. Nous allons toute la journée parler, témoigner et échanger pour mieux connaître et mieux combattre ces discriminations là où elles se produisent, et pour identifier les mécanismes nationaux, régionaux et internationaux les plus efficaces. Mais nous allons aussi prendre des décisions et tracer les grandes lignes d’une véritable stratégie partagée.

La lutte contre ces discriminations est une nécessité et une urgence. Elle passe d’abord par le refus le plus strict des situations les plus intolérables. Dans cinq pays encore au monde, l’homosexualité est punie de la peine de mort. Dans 76 pays, elle est considérée comme illégale. Nous lançons aujourd’hui un appel clair et sans équivoque à ces pays qui sépare encore l’humanité selon l’orientation sexuelle.

Le gouvernement français a adopté le 31 octobre 2012 son premier plan d’action national contre les discriminations et violences contre les personnes LGBT. Ce plan, que j’ai préparé avec l’ensemble des associations est une première. Nous avons un mandat simple : conquérir l’égalité chaque fois qu’elle fait encore défaut.

Dans le cadre de cette stratégie, je me suis rendue à New York à l’occasion de la journée internationale des Droits de l’Homme, à la réunion du Groupe de défense des droits de l’Homme des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres aux Nations Unies.

En présence du Secrétaire Général des Nations Unies, qui a à cette occasion réaffirmé son engagement et sa détermination entière à faire avancer la protection des droits des personnes LGBT dans les enceintes onusiennes, nous avons, avec nos partenaires du Nord et du Sud, examiné comment dépasser les obstacles et comment avancer ensemble pour réunir le maximum d’énergies autour de nous.

Oui, progressivement, nous avançons. Nous aimerions que les choses aillent plus vite, mais nous devons bien nous rendre compte que les conditions sont complexes à réunir pour faire avancer la perspective d’une norme de droit international pour interdire les discriminations à raison de l’orientation sexuelle. L’important est de ne jamais cesser d’avancer. L’important est de rester déterminé. L’important est de n’admettre aucun recul.

Et déjà les progrès de ces principes sont tangibles : en quelques années, les initiatives se sont accélérées : deux déclarations ont été adoptées dans le cadre de l’ONU, en 2008, à New York et, en 2011, à Genève, chaque fois avec davantage de signataires. Cet élan a permis la première résolution du Conseil des Droits de l’Homme, adoptée en juin 2011, sous le « leadership » de l’Afrique du Sud. Ce texte qui rappelle expressément l’égalité entre les hommes quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, a ouvert la voie à une meilleure prise en compte de ces questions par les Nations Unies.

Ce mouvement, porté par les Etats, les organisations internationales et la société civile, ne doit pas s’arrêter. Je souhaite rendre hommage ici à tous les défenseurs des droits de l’homme et en particulier des droits des personnes LGBT pour leur combat exemplaire, dans un contexte où certaines législations les privent des libertés fondamentales que sont la liberté d’association, d’expression et de réunion pacifique.

C’est précisément pour soutenir leur combat que la France, avec ses partenaires néerlandais et norvégien, a créé un fonds de soutien, auquel nous nous réjouissons que les Etats-Unis aient cette année accepté de participé. Ce fonds destiné à encourager, sensibiliser et soutenir, là où les besoins sont les plus importants, les projets et actions de la société civile contribuant à la réalisation des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des personnes victimes des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

Si la France, avec  la Commission Européenne, a répondu présent  à l’initiative de l’Afrique du Sud, de lancer un cycle de conférences régionales, c’est que nous sommes persuadés qu’un travail de sensibilisation est aujourd’hui le meilleur moyen d’agir, en vue, ensuite, d’un traitement du sujet aux Nations Unies, au Conseil des Droits de l’Homme en priorité, puis, le moment venu, à l’Assemblée générale.

C’est pourquoi nous appelons toutes les bonnes volontés à nous rejoindre autour d’une stratégie commune.

En vue de nos travaux aujourd’hui je vous propose d’envisager ensemble trois piliers pour cette stratégie :

1. Le premier pilier tient dans la définition et la mise en œuvre de stratégies nationales de lutte contre l’homophobie. L’égalité est en marche dans nos pays. Elle ne doit pas attendre. Pour que les violences et les discriminations reculent partout, il faut agir dans de nombreux domaines : à l’école, dans le monde du travail, dans le domaine de la santé, dans tous les services publics comme dans l’espace public. On ne peut pas penser aux jeunes homosexuels sans penser aux drames que fait peser sur eux l’homophobie ordinaire, celle des insultes comme celle des silences, celle de la famille comme celle de la société. On ne peut pas répondre à ces défis sans agir dans un cadre global, qui implique tous les pouvoirs publics. La lutte contre l’homophobie doit devenir une politique à part entière des gouvernements modernes. Nous nous y engageons.

2. Le deuxième pilier de cet engagement est européen.

Pour ceux d’entre nous qui sont des Etats-membres de l’Union Européenne, nous avons un engagement commun pour la promotion des droits fondamentaux. Nous plaçons le respect des droits fondamentaux au sommet de nos valeurs. Nous voulons porter haut ces valeurs, la défense des libertés et le refus des discriminations. Nous voulons retrouver ces valeurs dans la politique extérieure de l’Union Européenne, qui suivra bientôt des lignes directrices engagées en la matière. Nous voulons adopter une nouvelle législation européenne contre l’homophobie, tenant compte de l’échec du projet de directive transversale, qui mêle trop de sujets pour aboutir. Nous voulons vivre dans un espace européen où les droits des personnes sont effectivement garantis, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Cela n’attend pas.

Un même mouvement est à l’œuvre au sein du Conseil de l’Europe, dont le Comité des ministres a adopté en 2010 des recommandations sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.

3. Le troisième pilier est la coordination de nos actions au plan multilatéral et notamment dans le cadre des Nations unies. La conférence européenne de Paris s’inscrit dans un processus mondial et présentera, au même titre que celles de Katmandou et de Brasilia, un rapport à la conférence d’Oslo, les 15 et 16 avril prochain. « Si tu veux aller vite, vas-y seul, mais si tu veux aller loin, alors il faut y aller ensemble », dit le proverbe. Contre l’homophobie, nous voulons aller loin. C’est pourquoi nous y allons ensemble, rassemblés avec les partenaires de l’Europe, avec les pays du Sud, avec les organisations internationales et avec les sociétés civiles.

Nous, Européens, devons être entendus dans ces enceintes et réunir un maximum de forces autour de nous. C’est à cette seule condition que nous pourrons porter le projet d’une reconnaissance pleine et entière du droit de tous les citoyens du monde au respect de leur identité.

Depuis qu’Arthur Rimbaud, nous avons fait une grande partie du chemin, peut être la majeure partie du chemin. Mais nous ne sommes pas au bout de ce chemin. N’ayons pas peur d’être ambitieux car il en va de la capacité même de notre continent à demeurer le lieu où s’inventent les droits de l’homme.

« Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées. » disait V Hugo dans son discours prononcé en 1849 au Congrès de la Paix qui peut encore aujourd’hui nous servir de viatique. Et ce jour là, « nous aurons l’esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière…, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l’éducation sans l’abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l’échafaud,… la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme,… l’amour sans la haine. Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour l’amener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle ».

Je vous remercie.

– Seul le prononcé fait foi.

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