Retrouvez ici le discours de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre, prononcé à l’occasion de la visite de Matteo Renzi, président du Conseil italien.
Retrouvez le discours de Matteo Renzi sur cette page.
Monsieur le président du conseil, cher Matteo Renzi,
Monsieur le Ministre Italien des affaires étrangères, cher Paolo Gentoloni,
Monsieur l’Ambassadeur, cher Giandomenico Magliano,
Madame l’adjointe à la Maire de Paris, chère Marie-Christine Lemardeley,
Monsieur le Recteur de Paris et Chancelier des Universités, cher François Weil,
Messieurs les présidents d’université,
Mesdames et messieurs les professeurs,
Mesdames et messieurs les étudiantes et les étudiants,
En ce lieu, en ce moment, à vos côtés, un mot me vient immédiatement à l’esprit.
Un mot qui résume ce qui nous unit.
Un mot qui résume ce qui a été atteint au soir du 13 novembre.
Un mot pour lequel il vaut la peine de se battre.
Ce mot, c’est celui d’humanisme.
Oui, au sein de cette université, aux côtés du président du conseil italien, en votre compagnie à toutes et à tous, voici, je crois, un mot qui fait sens et qui nous rassemble : l’humanisme.
Pourquoi ? Parce qu’il est né justement de la confiance en l’homme, de la promotion et de la diffusion des savoirs. Et je n’ignore pas le rôle joué par l’Italie, et, en particulier, cher Matteo Renzi, de Florence dans cette naissance.
Oui, l’Italie fut, pour la France de cette époque, à la fois une source d’inspiration, et en même temps, une rivale.
Mais ce fut une rivalité généreuse, qui a pour nom émulation, et qui voit la Brigade menée par Du Bellay, qui deviendra ensuite la Pléiade, suivre le chemin tracé par Dante et Pétrarque.
C’est un combat pour davantage d’humanité. Pour comprendre la richesse et la complexité de l’être humain.
Humain. Oui. Humain, comme le fait d’apprécier un concert. D’apprécier d’être en terrasse avec des amis. D’apprécier tout simplement de prendre un peu de temps, un vendredi soir, parce que la semaine n’est pas encore complètement achevée mais qu’il flotte déjà dans l’air un parfum de week-end.
Humains, comme l’étaient toutes ces victimes d’une violence aveugle, et je tiens à saluer ici les étudiants et les enseignants-chercheurs qui ont payé, ce soir-là, un lourd tribut. Ils étaient français, roumains, portugais. Italiens aussi.
Des victimes de 19 nationalités qui, par leur diversité même, nous disent ce qu’est l’humanisme. Cette idée merveilleuse d’une République des lettres, et d’une communauté forgée autour d’un amour du savoir, de la connaissance, et de la culture.
Et parce que l’université, dans son nom même, convoque l’universel, elle est, profondément, un lieu qui nous unit. Cette union, nous la retrouvons dans une salle de concert, sur des terrasses : dans ces endroits où il fait bon vivre ensemble, mais aussi réfléchir ensemble.
En effet, les terrasses ne sont pas uniquement des lieux de détente. Ce sont aussi, à bien des égards, des lieux d’échange, et même, de savoir.
Les enseignants-chercheurs, les chercheurs et les étudiants le ressentent avec une acuité particulière : le savoir n’est pas un métier qui s’exercerait à heures fixes. C’est une vocation propre à chacune et à chacun d’entre nous.
C’est pour cela que le savoir unit bien au-delà des lieux qui lui sont spécifiquement dédiés : les universités, les écoles, les laboratoires. Oui, le savoir s’élabore, se discute, se renouvelle aussi sur des terrasses.
Ce n’est donc pas un hasard si les portes de la Sorbonne ouvrent sur une place, où les bars et les brasseries sont nombreux.
Oui, étudiants et enseignants-chercheurs savent qu’autour d’un café, leurs recherches avancent parfois davantage que dans la solitude de leur bureau.
Combien d’articles nés de la remarque d’un confrère adossé au bar par un soir de printemps ?
Combien de plans de thèse enfin achevé grâce à une discussion avec un condisciple qui s’est terminée au cœur de la nuit, au milieu des tables et des chaises rangées, sous l’œil à la fois compréhensif et fatigué du serveur ?
Voilà ce qu’est aussi l’humanisme : cette conviction que le savoir, l’art et la culture se vivent quotidiennement, et que l’on ne s’arrête jamais, au fond, de s’y consacrer.
Alors, si nous sommes, depuis ce 13 novembre, bouleversés, atteints et émus, ne laissons pas ce déluge de haine et de violence obscurcir nos esprits.
Au contraire, au cœur des événements douloureux que nous vivons, l’exigence, la rigueur et la lucidité sont d’autant plus nécessaires que nous sommes profondément choqués.
Soyons fermes. Fermes sur nos principes. Fermes sur nos convictions. Fermes sur nos valeurs.
Cette fermeté n’est ni l’insensibilité ni la froideur. Nous la puisons dans le sanglot qui monte en chacune et en chacun d’entre nous. Du dégoût et de la révolte, nous tirons notre force.
Oui, notre colère est grande devant ces actes. Mais cette colère ne nous conduira pas à transiger sur les valeurs qui sont les nôtres, et sur cet humanisme qui nous unit. Elle ne nous aveuglera pas.
Elle nous conduit au contraire à relever les défis qui sont les nôtres, en affrontant cette vérité dérangeante : le vendredi 13 novembre au soir, ce sont des humains qui ont tué d’autres humains. Ce sont des jeunes qui ont assassiné d’autres jeunes.
Le défi qui nous attend aujourd’hui est donc militaire et sécuritaire, mais c’est aussi un défi de la pensée.
Nous avons la charge des esprits. Nous avons le devoir de donner à nos élèves, à nos étudiants, les connaissances, les savoirs et les compétences nécessaires pour élaborer du sens.
C’est en donnant du sens que nous vaincrons, parce que le terrorisme et la radicalisation s’enracinent dans l’absence de sens.
Si la radicalisation peut s’opérer si rapidement par internet, il nous appartient de puiser dans les savoirs et les humanités les moyens de briser cette fascination morbide.
Il nous appartient de donner à nos élèves et à nos étudiants la culture nécessaire pour déchiffrer ces images, comprendre les techniques de montage et de manipulation qui font leur force.
Il nous appartient de puiser dans les pratiques des historiens, notamment l’identification des sources et l’analyse des documents, pour permettre aux élèves de ne pas succomber aux théories du complot.
Ainsi, devant un phénomène aussi complexe que la radicalisation, l’Ecole n’a pas de remède miracle. Mais elle peut y opposer la rigueur, le savoir, la réflexion et l’esprit critique. A la propagande, elle oppose l’humanisme et nos valeurs républicaines.
Et ces valeurs, il ne s’agit pas simplement de les enseigner. Il faut les vivre, les incarner, et nous montrer à leur hauteur.
La devise républicaine, liberté, égalité, fraternité, doit nous appeler à agir. C’est cela une devise : l’horizon de notre action présente. Et une devise dépérit dès que l’on oublie à quel point elle s’énonce à l’impératif.
Comment dire liberté quand les territoires les plus en difficultés soumettent les élèves, leurs enseignants et l’ensemble de la communauté éducative à des contraintes et des pesanteurs qui les empêchent d’exercer dans des conditions normales ?
Comment dire égalité à un enfant qui avant même d’avoir franchi le seuil de l’école est condamné, par le poids des inégalités économiques et sociales, à échouer ?
Comment dire fraternité si nous laissons chaque année 100 000 élèves sortir de l’école sans diplômes, et si nous estimons qu’une fois hors des établissements ils ne sont plus de notre responsabilité ?
Voilà pourquoi l’Ecole et l’Enseignement Supérieur peuvent agir : parce qu’ils peuvent donner à ces trois mots, un contenu véritable. Du sens.
En libérant, par le biais des bourses, les étudiants, pour leur assurer des conditions de vie et d’étude décentes. En donnant aux élèves les moyens d’élaborer une orientation qui leur offre ce qui est si nécessaire à chacune et à chacun d’entre nous : un avenir.
En diversifiant le recrutement de l’enseignement supérieur et en instaurant une véritable mixité économique et sociale, pour que la fraternité ne soit pas celle, illusoire, de l’entre soi, mais celle, réelle, de l’ouverture. En luttant contre le décrochage, qui est souvent une première rupture, qui en entraîne bien d’autres : avec la famille, les amis, et, en définitive, avec notre société et notre pays.
En donnant plus à ceux qui ont moins, pour que l’on cesse de considérer les inégalités économiques et sociales comme des fatalités contre lesquelles tout combat serait vain.
En agissant ainsi, pour la liberté, l’égalité et la fraternité, montrons que notre pays ne se contente pas d’une devise ambitieuse, mais qu’il fait le choix d’une ambition véritable : celle de mettre en pratique ses valeurs.
En nous appuyant sur les recherches, les études et les réflexions de nos chercheurs, apportons à cette crise une solution pérenne.
L’humanisme n’est pas la nostalgie des siècles d’antan. C’est aussi une réponse à la situation présente. Nos valeurs ne sont pas que des mots. Ce sont aussi des actes.
Notre force, dans les moments de douleur et de recueillement qui nous rassemblent, nous la puisons dans ce qui nous unit. Nous sommes humains. Nous sommes humanistes. Et notre plus grand défi, à travers ces épreuves, sera de le rester.
Je vous remercie.
Najat Vallaud-Belkacem,
ministre de l’Éducation nationale,
de l’Enseignement supérieur et de la Recherche
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