“Demain l’École” – Entretien de Najat Vallaud-Belkacem avec Régis Debray et Robert Damien

Éducation nationale Publié le 20 mars 2016

Retrouvez ici l’entretien accordé par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à la revue Médium, publiée sous la direction de Régis Debray.
L’entretien est paru dans le numéro 44-45 de Juillet-Décembre 2015 de la revue Médium, titré Demain l’École.

Médium : Ces dernières années, dans les quartiers majoritairement populaires (par exemple, situés au cœur de cités HLM), les collèges avaient mis en place des poches d’« excellence » avec ces classes bi-langues dont la vertu d’émulation collective était remarquable. Avez- vous prévu l’effet pervers négatif de sa réforme ? Devant des collèges égalisés dans leur offre, les parents de milieux culturellement les moins défavorisés ne seront-ils pas nécessairement incités à tricher cette fois-ci sans scrupule et à contourner la carte scolaire puisque le collège populaire de leurs quartiers ne leur proposera plus rien de distinctif ? La mixité existera donc encore moins à l’intérieur des collèges. Et le clivage comme l’ignorance entre catégories sociales n’en ressortiront-ils pas nettement renforcés ?

Najat Vallaud-Belkacem : Tous les collèges situés en éducation prioritaire ne disposent pas de classes bi-langues, loin s’en faut, mais il est vrai que les filières sélectives ont été parfois mises au service de stratégies d’établissements réputés difficiles pour renforcer leur attractivité, avec des succès variables.

De fait, dans le système inégalitaire du collège actuel à deux vitesses, la tentation était grande d’organiser une transaction implicite dans laquelle le collège acquiert un peu de mixité sociale en contrepartie d’une protection de certains élèves pour les familles les mieux informées. Je comprends les familles et les établissements qui ont fait ce choix, mais il a pour résultat d’aggraver la ségrégation scolaire entre les bons élèves et les autres, renforçant le déterminisme social déjà endémique dans notre pays. Le statut quo reviendrait à conserver le caractère léonin de notre système éducatif actuel, dans lequel le collège unique n’est préservé qu’au prix d’une sélection précoce tacite, fondée non sur les efforts de chaque élève, mais sur la capacité de leur famille à les protéger dans des filières spécifiques.

Je considère donc que l’enjeu est moins de préserver une organisation qui aboutit à 140 000 décrocheurs chaque année, que de refonder le collège unique pour qu’il récompense le travail de chaque élève par des chances égales de réussite, qu’il renforce la maîtrise des savoirs fondamentaux et permette à chaque élève d’accéder à l’excellence selon ses mérites et non plus selon son origine sociale. La droite, si l’on en croit le seul contre-projet qu’il m’ait été donné de voir (présenté par Bruno Lemaire), propose le choix diamétralement inverse : casser le collège unique pour institutionnaliser la sélection et l’orientation à onze ans, à rebours de tous les pays européens qui cherchent à augmenter le niveau de qualification avec un socle de connaissances de compétences commun à toute une génération.

De fait, la réforme engagée n’est en aucun cas le fruit d’une idéologie égalitariste qui ne viserait qu’à niveler en l’abaissant l’exigence éducative, mais au contraire l’ambition d’élever le niveau d’ensemble de nos élèves en s’appuyant avec pragmatisme sur des pratiques pédagogiques qui ont démontré leur pertinence. Donner davantage de liberté aux enseignants, favoriser le travail en petits groupes, garantir un véritable accompagnement personnalisé par des enseignants, c’est améliorer la réussite des meilleurs élèves comme de ceux en difficulté. C’est ainsi que l’on redonnera le bonheur d’apprendre, le goût de réussir, l’envie d’accéder à l’excellence.

S’agissant des classes bi-langues, je considère que ma responsabilité dès lors que nous devons faire des choix dans la répartition des moyens, c’est de généraliser l’enseignement d’une seconde langue vivante pour tous les élèves dès la Cinquième, plutôt que de prolonger des dispositifs qui ne bénéficient qu’à 16 % des élèves et qui concourent à la ségrégation sociale, même s’ils n’en sont pas seuls responsables. C’est une mesure qui bénéficiera à tous les élèves, sans nuire à ceux qui ont commencé une autre langue que l’anglais en primaire, je pense en particulier à l’allemand, puisqu’ils pourront débuter l’anglais dès la Sixième. Ainsi les dispositifs bi-langues dits « de continuité » seront maintenus, quand seuls ceux qui répondent à une logique de contournement sont remplacés par l’accès de tous les élèves à une seconde langue dès la cinquième. Je ne pense donc pas que la réforme aura un effet contreproductif sur la mixité sociale : ce qui pousse des familles à contourner la carte scolaire ou à se tourner vers le privé, c’est d’abord la réalité difficile du collège actuel, qui échoue à transmettre les savoirs fondamentaux au plus grand nombre. En le changeant, c’est bien son attractivité auprès de toutes les familles que je veux renforcer. Enfin, n’oublions pas que l’enseignement privé soutient la réforme et l’appliquera dans les mêmes termes. Comme l’ont rappelé ses responsables, le risque de fuite, agité comme un épouvantail à chaque réforme, relève du fantasme.

Médium : En histoire, la priorité doit-elle être donnée à l’ouverture sur des thématiques et des aires culturelles différentes de la nôtre ou à la construction de repères chronologiques concernant l’histoire de France ? Comment ne pas sacrifier la seconde à la première au risque de désorienter les élèves ? En d’autres termes, l’ouverture ne suppose-t-elle pas une appropriation préalable de son propre passé ?

Najat Vallaud-Belkacem : Vous avez parfaitement raison et cette progressivité sera plus explicite dans les améliorations qui seront apportées aux projets de programmes actuels. Je veux toutefois rappeler que ces projets prévoient justement que l’ouverture historique sur l’Europe et le monde succède à l’appropriation des repères essentiels de notre histoire nationale. Ainsi, les premiers apprentissages de l’école élémentaire sont exclusivement centrés sur l’histoire de France, pour transmettre les principaux repères chronologiques mais aussi connaître les grands personnages qui ont fait et incarné notre histoire commune. Au collège, le programme reste articulé, de manière chronologique, autour de l’histoire de France, en relation avec les évolutions de l’Europe et du monde. L’élève est ainsi conduit à situer l’histoire de France dans ce qu’elle a eu comme influence sur celle de l’Europe et du monde, et réciproquement. L’exemple que vous citez des Lumières et de la Révolution française est à ce titre édifiant : leur connaissance est le préalable indispensable à une ouverture historique plus large, comme la compréhension de la révolution américaine ou les liens à opérer avec l’Habeas Corpus anglais au xviie siècle. Plus généralement, nous avons besoin de transmettre l’histoire qui nous a construits, avec ses heures glorieuses comme ses pages sombres, pour renforcer le sentiment d’appartenance à une histoire commune et je considère que son enseignement doit nous rassembler. C’est essentiel dans la période incertaine que vit notre pays, confronté aux irruptions identitaires et à la tentation du repli. C’est pourquoi je veux sortir des passions qui accompagnent toujours les évolutions des programmes en histoire, accompagnées parfois d’instrumentalisations politiques. Je fais confiance aux historiens et au Conseil Supérieur des Programmes pour améliorer les projets actuels en ce sens, et je prendrai mes responsabilités pour les arrêter à l’automne prochain, en tenant compte des résultats de la consultation engagée auprès des enseignants comme des débats publics des dernières semaines.

Médium : La priorité accordée à la maîtrise de la langue n’implique-t-elle pas, outre la capacité de production de textes écrits et oraux, celle de la transmission des capacités d’expression par imitation, à travers l’apprentissage par coeur de textes littéraires (type prose, chansons, ou poèmes) en donnant priorité aux grands textes de notre littérature ? Les exercices d’écriture, de rédaction comme de récitation ne doivent-ils pas retrouver leur primauté dans une éducation de la transmission ?

Najat Vallaud-Belkacem : Mais il n’est pas question de supprimer ou de réduire ces exercices ! Au primaire, notamment, ils sont essentiels et je suis très attachée à ce que tous les élèves aient accès aux grands textes de notre littérature au collège et au lycée. L’éducation de la transmission que nous appelons de nos vœux suppose aussi que le savoir proposé aux élèves ne soit pas inerte ou théorique, mais qu’il puisse être mobilisé au service de l’acquisition des compétences qui leur permettront de se construire en tant que citoyens éclairés, en tant qu’adultes capables de faire des choix, de maîtriser leurs destins professionnels. Cela nécessite de favoriser des manières d’apprendre les savoirs fondamentaux adaptées au monde d’aujourd’hui, en s’appuyant sur le numérique, en faisant de l’éducation aux médias, en travaillant en petit groupe, en développant la collaboration. Je ne veux pas opposer les pédagogies, mais permettre aux enseignants, à partir d’un corpus commun, de rendre effective la priorité à l’apprentissage des savoirs fondamentaux.

S’agissant plus précisément de la maîtrise du français, la science a démontré combien beaucoup se joue dès les premiers apprentissages, avec le langage dont l’acquisition est souvent liée à l’origine sociale. Des études internationales montrent qu’à trois ans, un enfant en situation de pauvreté a entendu trente millions de mots de moins qu’un enfant de milieu favorisé. La scolarisation précoce avant trois ans est donc essentielle et nous la développons depuis 2012, particulièrement en éducation prioritaire. Le programme de maternelle renforcera, dès la rentrée 2015, l’acquisition de la conscience phonologique en grande section, préalable indispensable à la lecture et à l’écriture. À l’école élémentaire, une évaluation de tous les élèves sera conduite au début du CE2 pour proposer des adaptations à l’intérieur des classes, en aval avec un accompagnement renforcé pour les élèves en difficulté avant l’entrée au collège, et en amont en déployant des outils pédagogiques adaptés, qui ont fait leur preuve. Enfin, au collège, la maîtrise et l’utilisation de la langue sera au centre du nouveau programme de français, qui intègrera des éléments culturels et linguistiques des langues anciennes afin de mettre l’excellence au service de la réussite de tous.

Médium : Condorcet, un des pères fondateurs de l’école républicaine française tient pour cardinale la maxime selon laquelle « il faut rendre la Raison populaire ». Les mots de « peuple » ou de « populaire » ont graduellement disparu des discours politiques sur l’école. La laïcité, pourtant, en découle comme la fraternité. Le projet d’une école populaire fondée sur la primauté de la Raison et du savoir acquis comme fondement de l’universalité conserve-t-il encore un sens ? Est-ce toujours le fondement de l’école de la République ?

Najat Vallaud-Belkacem : Nous sommes là au cœur des enjeux actuels : le lent mouvement de démocratisation du savoir par l’éducation, qui postule que tous les citoyens peuvent s’élever selon leur mérite à partir de la transmission commune d’un savoir fondé sur la Raison, est aujourd’hui mis en cause par plusieurs formes de relativisme que nous devons démasquer et faire reculer. Lorsque le peuple français doute de son école, il doute en fait de la République, dont les valeurs semblent éloignées de leurs réalités quotidiennes. C’est pourquoi le relativisme ambiant, dans lequel tout se vaut et nos valeurs se diluent, est un poison pour la cohésion sociale.

Ainsi, le relativisme qui refuse la démocratisation de la réussite, comme ennemie supposée de l’excellence, alors qu’il exprime la préférence pour l’inégalité des gagnants du système actuel. Avec la réforme du collège, je veux lui opposer l’exigence de Condorcet d’« établir entre les citoyens une égalité de fait […] premier but de l’instruction nationale ». Pour être populaire, l’école doit refuser l’élitisme dynastique et tenir la promesse républicaine d’égalité. Sans cette ambition attachée au collège unique, il est vain d’imaginer un avenir pour notre jeunesse, au moment où l’économie de la connaissance exige d’élever sans cesse le niveau de qualification des futures générations. Il est inquiétant de voir aujourd’hui une partie de la droite républicaine abdiquer cette nécessité impérieuse.

Le relativisme vis-à-vis de la Raison, ensuite, que certains opposent au respect des croyances individuelles ou collectives, dans une société qui doute d’elle-même, se détourne des idéologies et se réfugie parfois dans le repli identitaire fondé sur l’appartenance confessionnelle. C’est le combat pour la laïcité, dont l’école est la première dépositaire. Pour être mené, il suppose que l’on s’abstienne de tout épithète pour promouvoir le principe de laïcité avec sa force d’évidence : c’est la laïcité qui organise la cohabitation harmonieuse des convictions religieuses comme de leur absence, par la neutralité de l’État et de l’école, en séparant le savoir du croire, en transformant l’enfant en élève. Mettre à distance les convictions religieuses de la transmission du savoir, apprendre le respect des convictions personnelles, enseigner la nécessité de faire prévaloir des règles collectives de vie commune sur les choix particuliers, c’est l’enjeu de la pédagogie de la laïcité que l’école développe actuellement. Sa réussite suppose de refuser le dévoiement de la laïcité que proposent ceux qui veulent en faire un rempart contre les fantasmes d’invasion, comme si l’école était une citadelle assiégée.

Enfin, le relativisme vis-à-vis du savoir lui-même, alors que l’accès illimité à l’information et aux opinions se substitue de plus en plus souvent à la recherche de la connaissance objective, faisant le jeu des démagogues, des complotistes ou des marchands de savoirs au rabais. C’est l’enjeu pédagogique de « l’école du socle » que la refondation de l’école reprend et modernise aujourd’hui pour assurer l’accès de chaque génération aux savoirs fondamentaux, aux connaissances et à la culture indispensables à la compréhension du monde actuel, au jugement critique, à la mise en perspective qui échappe aux réactions strictement émotionnelles. C’est bien sur l’abaissement du niveau moyen des élèves que prospèrent aujourd’hui ceux qui font commerce, idéologique ou mercantile, de la naïveté ou de la bêtise. C’est par l’exigence éducative, par le rétablissement de l’autorité du savoir et du maître, par la promotion de la réussite du plus grand nombre, que l’école répondra au relativisme qui gangrène notre rapport à la connaissance. Tout l’enjeu de la refondation de l’école se tient dans notre ambition de lui redonner ses moyens et sa place dans la société, afin qu’elle remplisse pleinement les missions que la République lui a confiées de transmettre des connaissances et de former des citoyens, en faisant reculer les relativismes qui sapent les fondements de notre appartenance commune.

Médium : Le gouvernement engage une vaste politique de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Les lycées professionnels d’enseignement et de formation, dont le recrutement est essentiellement populaire, ne doivent-ils pas devenir le fer de lance de cette politique en formation initiale comme en formation continue ? Ne risquent-ils pas d’être marginalisés au profit des institutions privées ou patronales ?

Najat Vallaud-Belkacem : Le gouvernement est très engagé pour développer l’apprentissage mais il l’est tout autant en matière d’enseignement professionnel. Nous avons besoin des deux pour l’insertion professionnelle des jeunes. Ils sont complémentaires. D’ailleurs, le premier forme plus de 400 000 jeunes chaque année, quand le second en forme 700 000. Ce sont donc deux voies de formation initiale très importantes. L’apprentissage correspond bien à des jeunes qui souhaitent une formation davantage tournée vers l’expérience en entreprise. L’enseignement professionnel a lui l’intérêt, particulièrement en période de crise économique, de former les jeunes en alternant théorie et pratique, mais sous statut scolaire. Cela signifie que les jeunes doivent certes trouver des stages mais pas un contrat avec une entreprise. Ils dépendent de l’éducation nationale. C’est plus facile pour eux, et moins coûteux pour l’entreprise. Et le bac pro, ne l’oublions pas, représente le gros des troupes de nombreuses entreprises. Je pense notamment à Peugeot PSA, l’un de nos partenaires, qui recrute beaucoup d’élèves qui ont été formés par l’enseignement professionnel. Je vous rassure donc, les lycées professionnels ne seront pas marginalisés par le fait d’orienter également des jeunes vers des centres de formation des apprentis. Les deux sont des leviers essentiels de la politique du gouvernement en matière d’insertion professionnelle des jeunes.

Médium : Nous abordons l’ère de « l’instruction en milieu numérique ». Comment envisager l’impact du numérique sur les cadres traditionnels de l’enseignement ? S’agit-il à vos yeux d’un ensemble de techniques à enseigner comme autant de nouvelles matières ou doit-on envisager une restructuration plus large ?

Najat Vallaud-Belkacem : Les imaginations hardies projettent sur le « numérique » le pouvoir de porter toutes les grandes transformations à venir du corps social. L’éducation n’échappe pas à ces fantasmes, et je suis frappée par la vivacité des débats qui entourent la place du numérique à l’école. Pour les uns, il favoriserait la motivation et l’attention des élèves dans leurs tâches ; pour les autres, il nuirait à leur concentration et à la mémorisation. J’ai lu que l’autorité des enseignants serait définitivement sapée si le numérique se développait plus avant dans l’école. Ailleurs, il s’écrit que les heures de l’éducation nationale sont comptées si elle n’engage pas sa « révolution numérique ».

Tout cela me paraît excessif. Bien sûr, les cadres des enseignements pourront évoluer – à l’échelle des établissements qui le souhaitent –, dans la mesure où le numérique favorise les expérimentations, que celles-ci touchent aux méthodes pédagogiques, aux pratiques d’évaluation, à l’organisation du temps scolaire… Je suis par principe favorable à ces formes d’expérimentations, dès lors qu’elles sont bien conçues et bien évaluées, et je veille à ce que le travail de ces enseignants et des chefs d’établissement soit mieux connu et reconnu. Mais je ne reprendrai pas à mon compte cette idée que le numérique devrait être la pierre d’angle d’une réorganisation de l’éducation nationale. D’ailleurs, nul besoin de numérique en vérité pour « inverser » sa classe, pour tester de nouvelles méthodes d’évaluation ou pour faire travailler les élèves en petits groupes dans une salle de classe réaménagée.

Les véritables enjeux du numérique me paraissent plutôt dans les compétences que les jeunes devront maîtriser une fois adultes, plongés dans une société toujours plus connectée. Ils ont beau faire un usage désormais quotidien des technologies numériques, à peine 7 % des 15-29 ans ont de très bonnes compétences informatiques. Savoir naviguer sur les réseaux sociaux ne signifie pas qu’on en comprend les enjeux, qu’on sait trier dans la masse d’informations en ligne ou protéger efficacement ses données personnelles. Ces questions ont un impact très concret sur la vie de nos enfants, et conditionnent notamment les métiers qu’ils pourront exercer demain. La responsabilité de l’école est donc pleinement engagée pour faire acquérir ces nouvelles compétences aux jeunes.

Un autre enjeu majeur est celui des possibilités qu’ouvrent les logiciels innovants pour adapter les enseignements au plus près du rythme des élèves, particulièrement pour les élèves en difficulté. Des expériences très intéressantes ont lieu sur le terrain, et c’est tout l’objet du grand plan numérique pour l’éducation, auquel un milliard d’euros sera consacré au cours des trois prochaines années, ainsi que l’a annoncé le Président de la République, de permettre à chacun de bénéficier de ces innovations.

Médium : Il est fort louable de vouloir aider ceux qu’on appelle « les mauvais élèves » ou « les élèves en difficulté ». Mais ne peut-on s’alarmer aussi des difficultés faites aux « bons » ? On constate un certain anti-intellectualisme dans nombre d’établissements où les élèves qui font honnêtement leur métier d’élèves, avec de bons résultats, sont rejetés par les autres et parfois mis au ban. Ne reviendrait-il pas aux pouvoirs publics de les mettre parfois à l’honneur, d’une façon ou d’une autre ?

Najat Vallaud-Belkacem : Je partage pleinement votre préoccupation des bons élèves et le constat que vous faites du climat scolaire dégradé dans certains établissements, sur fond de jalousie ou de rejet de la réussite scolaire et des élèves qui l’incarnent. Une telle atmosphère ne peut prospérer, sauf à mettre en cause le fondement de l’école, qui est de promouvoir l’effort et de récompenser le mérite des élèves. Nous avons pris récemment des mesures fortes pour apaiser le climat scolaire en rétablissant l’autorité des maîtres et en faisant respecter les règles de civilité et de politesse. L’école doit fixer les limites dont les élèves, en tant que futurs citoyens, ont besoin pour se construire. Elle doit aussi proposer des temps collectifs, à travers la participation aux rites républicains ou aux commémorations patriotiques, mais aussi par l’organisation solennisée d’un temps annuel d’échanges avec l’ensemble de la communauté éducative (cérémonie de remise de diplômes, valorisation les réussites des élèves, spectacles de fin d’année) qui sera systématisée à compter de la prochaine rentrée et inscrite dans les projets d’établissements.

Au-delà, l’école républicaine doit redevenir un creuset d’égalité pour l’ensemble des élèves, car rien n’est moins supportable pour certains élèves et leurs familles que le sentiment de ne pas avoir les mêmes chances, comme si le destin des élèves était joué d’avance. C’est le sens de la nouvelle organisation du collège mais aussi de la réforme de l’évaluation que j’ai engagée, non pour supprimer les notes, mais pour qu’elle favorise moins la compétition que la réussite, en étant à la fois plus exigeante et plus stimulante.
Ne nous y trompons pas : derrière l’entreprise de refondation de l’école et de rétablissement de l’égalité républicaine, l’enjeu de la réussite de tous les élèves est central pour augmenter le niveau de qualification de tous les élèves, y compris les bons. C’est en élargissant la base de recrutement des prochaines élites de notre pays que nous assurerons à la fois leur légitimité et leur performance, tant il est vrai que la baisse du niveau général constatée ces dernières années porte en elle à la fois le décrochage des plus fragiles et l’affaiblissement des meilleurs.


Questions posées par Régis Debray et Robert Damien pour la revue Médium.

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3 commentaires sur “Demain l’École” – Entretien de Najat Vallaud-Belkacem avec Régis Debray et Robert Damien

  1. Hassan

    La “référence” des principes et des valeurs scolaires et étudiant)e)s d’une démocratie libre citoyenne et engagée a été, est, et sera toujours très discutée; la singularité et la particularité d’une existence collective doivent toujours être discutables, ouverts sur la tolérance et donc destinés à moins de silence sous-jacent ou adjacent la polémique des grandes et des petites maîtrises, d’une justice ou d’une injustice mal perçue par exemple…

    Tout en respectant les relativités humaines et vivantes de et pour tout ce qui se ressemble, ou tend à le faire, et donc autant l’apparence et l’appartenance pour chacun)e, la Raison et l’Ecole ne doivent avoir les sens qui tremblent, ni même la vue qui semble…les communs instruits appris et acquis du réel s’y perdraient peut être alors et souvent, très, ou tant ailleurs qu’en dehors, et la qualité d’une ou plusieurs valeurs s’évacueraient s’inverseraient ou se compromettraient d’originalités excessives et/ou dérivées parmi l’ensemble initial attentif et concerné des véritables potentiels, un peu comme les dialogues font, sont et disent la source d’une intelligence, personnelle et/ou collective, les savoirs ne s’évitent, ou ne s’empêchent guère d’autres et étonnantes performances, ni à leurs manières ni à leurs frontières, …, souhaitant pour le mieux, que ces “surprises” humaines définissent un appel un écho ou une volonté plutôt originale ou culturelle ou artistique qu’irrationnelle ou démentielle ou cruelle…

    En tous cas(°!°), les modes de vie individuelle et collective d’une société valorisante, citoyenne et bienveillante, autour et de ses ultimes et propres valeurs, (ne pouvant être aboutis et définis qu’aux sommes étendues et partagées généralement, légitimement et principalement à l’idée nouvelle et transmise d’un même progrès, d’une même histoire),ne peuvent s’appartenir, se réfléchir et se grandir qu’à partir d’un ensemble juste solide et multiple de savoirs, la hauteur égale d’un espoir, ou celle d’un équilibre permettant de reconnaître jusque différencier, du reste et à chacun)e, le vraisemblable et l’invraisemblable…

    Et, pour l’entretien/l’interview/le dialogue, la guerre s’est-elle un jour seulement éloignée, des années des siècles, des nouvelles des pas, des mesures des idées,… passé)e)s…

    Bien à Vous…

    Merci…

  2. B. Girard

    L’histoire n’est pas le récit d’un passé commun et son enseignement n’a pas pour but de « renforcer un sentiment d’appartenance ». Une histoire sans hommes, sans femmes, sans enfants, une histoire des chefs, des guerriers, une histoire des dominants, une histoire des blancs : c’est l’histoire de France que les programmes scolaires, surtout à l’école primaire, persistent à tenir comme la seule légitime alors qu’elle n’est qu’une construction très artificielle et dont les effets dommageables sont bien connus. Cette histoire, imposée par des considérations politiciennes est celle dont se nourrissent les pires représentations identitaires.

  3. Adamou

    Les réponses de la Ministre aux questions de cette interview traduisent une certaine volonté politique équilibriste pour faire de l’école le cadre républicain où les français dans leur ensemble, chacun en ce qui le concerne et en fonction de son niveau de compétence ou d’intelligence;puisse avoir sa chance de pouvoir contribuer au développement de la France.L’égalité,étant un principe sacro-saint de la France,évidemment que sa promotion ne peut se faire, en théorie qu’en pratique, qu’au niveau de l’école de sorte qu’il n’ait pas des oubliés du système.En somme,il s’agit là,d’un désir manifeste d’une ministre décidée à pallier, tout en sauvegardant bien entendu,les acquis existants dans ce domaine,aux insuffisances constatées, à travers des plans éducatifs innovants pour non seulement réajuster mais aussi et plus loin d’améliorer le système éducatif français.
    Dr Adamou Mairiga

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