Najat Vallaud-Belkacem détaille le plan pour la jeunesse – Entretien à L’Étudiant

Enseignement supérieur et recherche Publié le 14 avril 2016

Prolongation des bourses étudiantes lors de la recherche du premier emploi, hausse de la rémunération des apprentis, défense de la priorité jeunesse… La ministre de l’Éducation nationale, ancienne étudiante boursière, détaille en exclusivité pour l’Étudiant les mesures pour la jeunesse.

Quelles leçons le gouvernement a-t-il tiré de la mobilisation étudiante et lycéenne ?

Les organisations de jeunesse ont mis le doigt sur une réalité : pour tous les jeunes, quel que soit le diplôme, la recherche d’emploi est un parcours du combattant de plus en plus long. L’accès à l’autonomie est devenu de plus en plus compliqué et nous oblige à repenser nos politiques publiques. Songez que nous créons une caution locative pour les jeunes jusqu’à l’âge de 30 ans ! Il y a quelques années, personne n’aurait imaginé qu’il faudrait attendre cet âge pour y parvenir ! Aujourd’hui, c’est une réalité.

On a beaucoup demandé aux jeunes de s’adapter à la flexibilité du monde du travail. C’est au tour de l’État et des partenaires sociaux de s’adapter à leurs contraintes spécifiques.

Vous créez une aide à la recherche du premier emploie (ARPE) pour les jeunes diplômés en situation d’inactivité, qui entrent dans la vie active. Pouvez-vous nous préciser les modalités de cette nouvelle aide et quand les jeunes pourront-ils en bénéficier ?

S’agissant des jeunes diplômés du supérieur, cette aide prendra la forme d’une prolongation de leurs bourses étudiantes durant quatre mois. Quatre mois, c’est le temps moyen – d’après les études du Céreq – que met un jeune diplômé pour trouver un emploi. Pour les CAP, bac pro qui ne touchaient pas de bourse à proprement parler, nous créons une allocation spécifique de 200 euros pour les quatre mois suivant l’obtention de leur diplôme et le début de leur recherche active d’emploi.

Concrètement, comment les jeunes diplômés pourront bénéficier de cette nouvelle aide ?

Nous sommes en train de finaliser les modalités techniques du dispositif. Ce n’est pas une aide automatique : il faudra demander à en bénéficier, ne plus être en formation et être en recherche active d’emploi. La démarche sera souple et simple et nous travaillons à la mise en place d’une plateforme numérique pour que les jeunes perçoivent cette aide dès la rentrée, en septembre 2016.

Pensez-vous que cette aide à la recherche d’un premier emploi pourra vraiment améliorer le quotidien des étudiants les plus modestes ?

Oui. Je pense que tous les jeunes diplômés d’origine modeste y trouveront leur intérêt. Elle va leur permettre de chercher un emploi dans de bonnes conditions. J’étais moi-même étudiante boursière il n’y a pas si longtemps. Je connais très bien cette période où, juste après avoir obtenu votre diplôme, vous devez rechercher un emploi alors que, en perdant votre statut étudiant, vous n’avez plus accès à une chambre en cité U, plus accès au resto U, plus de mutuelle, plus de bourse… Vous êtes parfois obligé de retourner chez vos parents. Ce ne sont pas des conditions idéales pour chercher sereinement du travail.

Mais cette aide va aussi apporter de la fluidité au marché du travail. Beaucoup de jeunes se retrouvent à devoir trouver un emploi très vite après l’obtention de leur diplôme et finissent par accepter des emplois ne correspondant pas à leur niveau de qualification ou à leurs goûts, ce qui a des effets néfastes. Si un jeune diplômé prend un poste sous-qualifié, il prend la place de quelqu’un de moins qualifié qui aurait pu y prétendre. Avec cette aide, ils auront un peu plus de temps pour trouver un emploi qui leur correspond.

Quand sera revalorisée la rémunération des apprentis et de combien ?

Aujourd’hui, elle dépend du diplôme préparé, du niveau d’avancement dans le diplôme (première année, seconde année de CAP, par exemple) et de l’âge. Ces trois critères rendent son calcul compliqué : vous pouvez préparer le même niveau de diplôme mais avoir une rémunération très différente parce que vous n’avez pas le même âge. Pour remédier à cette injustice, il faudra une négociation entre partenaires sociaux. Mais l’État a voulu sans attendre donner un signal : au 1er janvier 2017, nous allons relever les salaires minimaux touchés par les apprentis entre 16 et 20 ans pour qu’ils soient au même niveau de rémunération. Une mesure estimée à 80 millions d’euros.

Pourquoi lancez-vous une négociation sur les difficultés d’insertion professionnelle des jeunes entre partenaires sociaux et organisations de jeunesse ?

L’objet de cette négociation est de faire réfléchir les partenaires sociaux (syndicats de salariés et d’employeurs) à la manière de lever les freins que rencontre la jeunesse : mobilité, logement, mutuelle, l’équipement nécessaire pour sa formation… Les branches professionnelles doivent réfléchir davantage à leur rôle sur ces sujets. Elles pourraient, par exemple, participer au financement du permis de conduire quand il est indispensable pour trouver du travail, notamment pour les apprentis.

Comment le gouvernement peut-il mieux écouter la jeunesse ?

Au-delà des 11 mesures jeunesse annoncées le 11 avril, le gouvernement va créer un Conseil d’orientation de politiques pour la jeunesse, placé auprès du Premier ministre. Ce sera l’instance où nous rendrons compte de notre action et envisagerons les mesures d’amélioration de notre “Priorité jeunesse”.

Enfin la “clause d’impact jeunesse” entrera en vigueur fin avril. Désormais, tout projet de loi ou de décret adopté, qu’il porte sur la famille, la retraite, le travail, ou tout autre sujet, devra faire l’objet d’une étude d’impact sur la jeunesse, pour évaluer s’il risque de dégrader la situation des jeunes, et, si oui, comment l’éviter et au contraire en profiter pour inverser la donne.

Que dites-vous à ceux qui vous reprochent de faire de la jeunesse une priorité seulement en 2016 après une confrontation avec la rue ?

Nous n’avons pas à rougir d’avoir adopté ce plan suite à une mobilisation des organisations de jeunesse. Surtout pour un gouvernement de gauche. Il y a de quoi être fier au contraire quand on se montre à l’écoute, qu’on entend, et qu’on décide d’un plan inédit de lutte contre la précarité de ces jeunes. Pour autant, avons-nous attendu 2016 pour faire de la jeunesse une priorité ? Ce serait être de bien mauvaise foi que prétendre cela. Depuis 2012, le budget de l’Éducation nationale a augmenté de 5 milliards d’euros. Depuis 2012 ce gouvernement a créé 260.000 emplois d’avenir pour les jeunes peu ou pas qualifiés, 50.000 Garantie jeunes, rendu universel cette formidable expérience qu’est le service civique…

Toutes ces mesures ont bénéficié à des jeunes qui, avant 2012, n’avaient aucune perspective. Sur la nécessité de soutenir la jeunesse de ce pays nous avons des convictions sincères et des ambitions fortes. C’est pour cela que compléter, enrichir, améliorer notre panel de réponses comme nous venons de le faire après ce travail avec les organisations de jeunesse, non seulement cela me paraît naturel mais je considère que c’est une très bonne nouvelle.


Propos recueillis par Marie-Caroline Missir et Étienne Gless pour L’Étudiant.

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